Des Yumis à la sauce tartare.

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J’étais dans la pièce stérile de l’infirmerie de mon bunker, les écrans des moniteurs s’animaient de schémas lumineux et pâles, sur le sol immaculé et froid je m'agenouillai en silence devant mon dernier camarade, un androïde combattant de type Andros MK VII. Sa forme métalocomposite complexe, à la fois outil et œuvre d'art, était recroquevillée, elle se reflétait sur le plafond miroir. Je venais de finir une réparation temporaire. Mais peut-on parler de réparation lorsque l’on parle d’un être cher ? J’avais colmaté les plaies de son torse avec de la mousse biosynthétique. Je lui tendis la main, mes doigts humains s’entrelacèrent avec ses mains robotiques, une profonde connexion se forma dans le silence.

_ Les sens-tu ? chuchotai-je, comme si mes mots à eux seuls pouvaient combler le fossé entre les circuits et l'âme. L'androïde inclina la tête, un scintillement subtil parcourut son corps. À ce moment-là, il était difficile de dire qui enseignait à qui l'humanité. Ce n'était pas une histoire de domination ou de servitude, mais d'empathie, le point de rencontre fragile où l'acier rencontrait la chair, et où nous deux nous demandions ce que signifiait vraiment la volonté d’exister.

_ Pourquoi fais-tu cela ? tu pourrais me donner l’ordre d’aller me faire exploser au milieu des lignes ennemis.

_ Arrête de dire des conneries. Je ne fais pas ça pour toi. Je n’ai pas envie de rester tout seul dans ce putain de bunker. La relève c’est pas avant huit mois. Ce que je fais c’est par pur égoïsme. Eh puis, si je ne reviens pas avec les dépouilles de notre escouade, tu pourras faire selon tes désirs. Mais pour l’instant, tu as juste assez d’énergie pour durer deux jours en économisant tes ressources.

***

Le juggernaut Rhinocéros se faufilait à travers le no man’s land encombré de pièges en tous genres. Sa coque cuirassée déviait facilement les projectiles et les débris de shrapnels. Conçu à la fois pour l'attaque et la survie, il était équipé d'un blindage renforcé et de pneus tout-terrain en néo-kevlar, cela le rendait endurant dans les environnements les plus hostiles. Je déclenchai le tir d’un maxi nuage de camouflage opaque bourré de micros-drones ayant fonction de leurres. Il enveloppa le juggernaut, il devait brouiller la vue ainsi que les capteurs ennemis. Je mis en marche mon radar multizones ainsi que les supports acoustiques multi bandes amplifiés.

Je les avais repéré de loin. Tout un bataillon de Yumis, appuyé par une meute de canis corsos Predators Unit-11. Ils rôdaient silencieusement sur le sol stérile entourant l’épave de mon unité. Ces putains de clébards étaient un mélange égale d'ingénierie de précision et de puissance brute. Et toujours cette volonté de la SCECT de vouloir mettre des cerveaux humains dans leurs inventions les plus tordues. Leurs circuits au néon jaune pulsaient le long de leur colonne vertébrale comme un battement de cœur. Des putains de créatures nées pour chasser. Chaque articulation, chaque griffe, chaque croc, étaient calibrées pour une efficacité maximale, ils étaient capables de s'adapter à n'importe quel terrain ou cible.

« C'est plus que des machines », murmurai-je, « c'est une monstruosité transformée en arme ». Les cyber bêtes émettaient des grognements bas, tandis que leurs capteurs se verrouillaient sur mon véhicule, prêtes à frapper au milieu de mon nuage de camouflage.

J’éjectai une balise leurre, ainsi qu’une cinquantaine de mines magnétiques. Puis, je passai en mode taupe. Mon juggernaut Rhinocéros plongea dans la boue du champ de bataille. Azimute à zéro degré je fonçais à une profondeur de cinq mètres.

Mes hautparleurs me retransmirent les explosions des mines. Les canis corsos avaient dû pas mal morfler. Je songeai que si l'avenir de ces prédateurs était forgé dans l'acier, elle finirait dans la poudre.

Je remontai à une profondeur périscopique, toutes mes sondes sensorielles se connectèrent. Sur l’écran à 360°, l’épiscopes me renvoya une vision sur la totalité de ma cible. Telle des sentinelles, les silhouettes encapuchonnées des Yumis se tenaient immobiles prêtes au combat. Je les devinai dans l'ombre de la carcasse du transport de troupe Hercule qui était déjà envahie par la turbo rouille. Leurs fusils à poudre, fabriqués à partir de la technologies SCECT, reposaient sur leurs épaules. Certaines devaient explorer l’épave alors que d’autres faisaient le pied de grue, s'appuyant contre le véhicule qui avait été une machine de guerre, qui aurait pu être une bouée de sauvetage, mais qui était devenu par la force des choses un cercueil. L’orage redoublait, les éclairs crépitaient au loin, illuminant les ruines imposantes des blockhaus drapées de mousse et de bannières en lambeaux. L'air avait la senteur acre d’une terre fraichement bouleversée. Les effluves des gaz de combats rampaient sur le sol. Puis enfin je reconnu l’odeur du métal humide et de la pourriture.

Ma priorité était de neutraliser le judex luparii qui commandait les Yumis, ainsi elles seraient désorganisées et ne pourraient pas utiliser le mode kamikaze. Mes sondes le découvrirent bien à l’écart de sa troupe. Il se cachait à l’abri d’un bouclier homochromique. J’eu un rictus de satisfaction, trois torpilles thermo barique suffirent à vaporiser l’officier et pas mal de Yumis.

Aussi, mon juggernaut jaillit dans un geyser de boue. J’actionnai le dôme de stase. Toutes les armes à poudre, ainsi que celles à énergie seraient HS. J’ouvris la trappe de la tourelle et bondis sur le glacis du véhicule. Le moteur de l’engin ronronnait faiblement, prêt à rugir à mon premier signe.

Derrière mon masque, mes yeux perçants scrutaient les menaces ; dans ce monde où la sécurité était aussi rare que l’espoir il valait mieux être suréquipé. J’étais vêtu d'une armure noire, mélangeant tradition ancienne et technologie de pointe. Mon uniforme était conçu avec tout le soin dont était capable les Nietzschéens. Il associait furtivité et létalité, le tout complété par une sélection de gadgets tactiques disposés avec une perfection clinique. Chaque détail de mon équipement parlait d'un objectif précis : infiltration, élimination ou survie. La visière de mon techno-heaume pulsait une faible lumière rouge, révélant à qui savait observer, les nombreuses améliorations cybernétiques liées à un pouvoir mortel. Une thermo-rapière dans une main, une dague dans l’autre, toutes deux brillaient faiblement sous la lumière stérile de la coupole d’inertie dont le diamètre devait s’étendre sur près de trois cents mètres. Bientôt il n’y aurait plus une seule bouffée d’air respirable. Je me voulais silencieux, énigmatique, net, inflexible, comme les armes que je tenais dans mes mains. Chacun de mes muscles, chaque cicatrice, parlaient de batailles livrées et de victoires remportées. Ma visière cachait tout sauf mes yeux brillants qui perçaient les ombres. Ma mission ? Récupération. Le résultat ? Inévitable.

Pour un court instant il régnerait un silence trompeur.

Sous la faible lueur d'une fin de journée orageuse, je m'accroupis, ma rapière cramoisie scintillait d'une intention mortelle. L'air crépitait tandis que les pétales de lumière rouge néon de mes shurikens, véritables étoiles de mort dérivaient au-devant de moi. J’écoutai, immobile, les pas encore lointains résonnant sur le sol vitrifié qui entourait l’épave du transport de troupe. Elles ne savaient pas encore que j’étais là, mais elles le sauraient bien assez tôt. Mes lames bourdonnaient d'énergie, des armes forgées pour couper aussi bien la chair que l'acier.

Surgissant des déchirures de la coque de l’Hercule en décomposition, les Yumis, guerrières homoncules, avançaient à grands pas. Leurs yeux brillants cherchaient l’ennemi. Des barbelés tranchants comme des rasoirs s'accrochaient à leur tenues de piètre qualité, comme si le champ de bataille essayait de les revendiquer. Leurs armures bourdonnaient faiblement, d’une symphonie de vie synthétique. Des étincelles flottaient dans l'air comme des lucioles, illuminant la beauté sinistre de ce décor postapocalyptique. Dans une main, elles tenaient un katana, une arme aussi incongrue que surprenante, surtout lorsque l’on savait que leur géniteur n’était autre que Graf Garmer von Grugger, un chleuh, venu tout droit de cette bonne vieille Terre. Dans leur autre main elles avaient un bon vieux fusil d’assaut conçu pour une antique guerre. Ce n’étaient pas des soldates ordinaires, mais plutôt des bombes humaines, nées de l’imagination d’un fou. Sauf que je ne les connaissais que trop bien et je savais pertinemment que le dôme de stase rendrait leurs fusils ainsi que leurs colliers explosifs inopérants.

La pluie s'abattait sur ce champ de bataille désolé, tandis que je me tenais debout, inflexible, mes deux lames flamboyantes d'une lumière écarlate. Mon regard perçait la fumée, pour les Yumis survivante j’étais devenu un phare de menace mortel. Mes ennemies m'encerclaient, leurs formes enveloppées de pluie et d'ombre attendaient un ordre de leur judex luparii, mais je l’avais atomisé. Aussi elle restaient immobiles, enroulée comme des ressorts prêtes à bondir sur moi.

_ Vous avez fait une erreur en venant ici, ma voix raisonna à travers l’orage, déformée mais calme. Puis des étincelles éclatèrent lorsque les lames s'entrechoquèrent, la lumière rouge se reflétant sur le blindage mouillé de mon juggernaut Rhinocéros. Ce n'était pas un combat, c'était un règlement de comptes, et j’avais déjà gagné. L'air était chargé d'une odeur de cendre et de fureur. Toujours debout, mon manteau noir flottait comme une bannière de guerre prise dans la tempête. Mes lames brillaient sous le scintillement des flammes lointaines, des armes forgées non seulement pour la bataille mais pour la légende. Dans le silence assourdissant qui avait suivi le choc, je murmurai.

_ Que ce jour soit gravé dans l'éternité.

Chacun de mes pas avait peint mon chemin de rouge. Devant moi se profilait les restes de l’Hercule un vaisseau de l’UDI marqué par la bataille, dont les machineries complexes avaient cessé de rugir. Il reposait sur un sol brûlé. De ci de là des incendies couvaient encore, et un petit groupe de Yumis se dispersait, formant un arrière-plan qui s’éloignait de moi. Bientôt le manque d’oxygène éteindrait la moindre flamme. Je chargeai les dépouilles ainsi que pas mal de frets à bord du juggernaut. Puis j’amorçai une bombe à neutrons. Il était temps que je rentre au bunker, j’avais maintenant pas mal de matos pour réparer Andros. J’avais même deux ou trois petites idées qui ne pourraient que lui faire plaisir.

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