Chapitre 8
15 juillet 1961
— Poppy chérie, peux-tu me passer la crème solaire ? articula Jill, la tête enfouie dans le sable.
Le soleil italien lui allait comme un gant, apportant de jolies nuances caramel à sa peau couleur café. Cela faisait deux semaines que les deux jeunes femmes avaient posés leurs valises à Amalfi. Les habitants respiraient la joie de vivre, lisaient leur journal sans se presser et affichaient publiquement leur amour pour la régate. Mais ce voyage aurait pu s’avérer bien plus agréable pour Jill si Pippa n’était pas continuellement collé à Tom. Jusqu’alors, elle avait toujours pensé que son amie ne partageait pas les sentiments de cet homme. A présent, elle en doutait. Elle ne cherchait plus à le fuir, pire, elle le trouvait drôle. Jamais Pippa n’avait autant rit. Il faut dire que Tom revêtait à ses côtés la casquette d’un adorable gentleman. S’il dupait l’ensemble de son entourage, Jill, elle, voyait clair en son jeu. Et elle ne pouvait s’empêcher de l’aimer davantage.
— Si nous allions nous baigner ? lança Poppy, en lui tendant la lotion.
Elle replaça ses lunettes de soleil sur son nez pour observer l’horizon.
— Sans moi. Je préfère être poisseuse que collante et couverte de sable.
— Comme tu voudras, rétorqua Poppy, en haussant les épaules.
Si Jill ne voulait pas quitter leur emplacement, cela n’était en rien dû à une révulsion pour les bains de mer, ni par crainte des pickpockets. Non. Si la jeune Patel s’évertuait à rester ici, c'est parce de là où elle se trouvait, elle avait une vue imprenable sur la partie d’échec menée par Pippa et Tom. Installés confortablement à la terrasse d’une paillote, ils sirotaient lentement leur cocktail, espérant que ce moment ne prenne jamais fin. Jill aurait aimé pouvoir se glisser parmi eux. A défaut, elle avait soudoyé la fillette pour qu’elle lui rapporte chaque bribe de leur conversation. Celle-ci avait accepté à une seule condition : qu’elle lui offre non pas une mais deux boules de glace. Hélas son plan sentait le roussi. L'espionne préférait loucher sur les sorbets plutôt que jouer les James Bond Girl. Jill avait même cru voir, un instant, la fillette lui tirer la langue.
— Et si je gagne ? s'enquit Tom ignorant tout de ce drôle de manège.
— Si vous gagnez ? s'étonna Pippa.
— Oui. Aurais-je droit à une récompense ?
Il plongea ses yeux sombres dans ceux de Pippa.
— Vous êtes bien téméraire Monsieur Harris.
La jeune femme avança son pion puis emporta le cavalier de son adversaire.
— Si j’étais à votre place, je ne serai pas aussi confiant.
La légère brise vint caresser sa peau légèrement halée.
— Si je gagne, laisserez-vous tomber le vouvoiement ? proposa Tom, confiant.
Il croisa les bras sur sa chemise en lin blanche, fermé à tout débat. Pour lui, la question était tranchée peu importe la réponse fournit par son interlocutrice.
— Je peux l’envisager.
Même s’ils avaient appris à s’apprivoiser, l’aplomb avec lequel s’exprimait Tom l’impressionnait toujours autant. Quand il lui proposait une virée le long de la côte des Dieux, elle ne pouvait pas décliner son invitation. Tom savait se montrer très persuasif et charmant au possible. Il faut dire que décor pittoresque créait une atmosphère particulière. C’était comme chaque ruelle était une ode à l’amour. Chaque virage, chaque belvédère, chaque citronnier et bougainvillier étaient digne d’une carte postale. Jamais Pippa n’avait vu pareil paysage. Les cloitres, les couchers de soleil, tout était prétexte à la découverte et à la magnificence. Pippa aurait voulu savourer éternellement ces lieux magiques. Dans deux semaines, hélas, elle retrouverait la chaleur épuisante de la ville. Et cette idée l’affligeait.
— Tout va bien ? s'inquiéta Tom. Vous êtes bien pâle tout d’un coup.
— Ce n’est rien. C’est sûrement le cocktail qui me monte à la tête.
— Préférez-vous que nous allions prendre un peu l’air ?
— N’est-ce pas déjà ce que nous faisons ? rétorqua-t-elle avec amusement.
Tom afficha un rictus que Pippa ne parvint pas à déchiffrer. Une sorte de sourire jaune au bord de l’agacement.
— Vous faites diversion pour ne pas reconnaître votre défaite. Echec et mat ! Se réjouit-elle.
Tom regarda par-dessus ses lunettes de soleil.
— Bien joué, reconnu-t-il avec une pointe d’amertume.
— Et si nous allions la faire cette balade ? souffla Pippa, comme s’il s’agissait d’un secret, espérant ainsi redonner le sourire à son adversaire.
Elle détestait blesser les autres que ce soit volontairement ou non.
Le visage de Tom s’adoucit et il bondit de sa chaise. Cet empressement provoqua l’hilarité de Pippa. Elle attrapa son sac de plage, but les dernières gouttes de son Gin Tonic et se leva à son tour. Le soleil encore à son zénith brillait de tout son soul, offrant de jolies notes turquoise à la mer méditerranéenne. Pippa retira ses chaussures et posa ses pieds nus sur le sable brûlant. Elle serra les dents pour retenir un gémissement.
— Et si nous allions en direction des pins ? proposa Tom.
Pippa hocha la tête, incapable de décrisper la mâchoire.
— Avec un peu de chance l’air y sera plus frais, continua-t-il ravi.
Pippa sourit, loin d’imaginer qu’à quelques mètres derrière elle, Jill la fusillait du regard. Elle était jalouse. Cela aurait pu crever les yeux de n’importe qui. Elle aurait aimé que leurs âmes intervertissent de corps pour profiter de chaque aparté avec Tom. Elle mordilla sa joue, agacée par la situation.
— Jill, viens, brailla Poppy de l’eau jusqu’à la taille.
Et puis zut ! Si, elle ne pouvait pas avoir Tom alors elle devait au moins profiter de son séjour. Elle retira sa robe de plage et se jeta à l’eau, sous les applaudissements d’une Poppy survoltée. Comment pouvait-elle être aussi détachée face aux éléments ? Après tout, leur amie les abandonnait lâchement pour un homme qu’elle n’appréciait guère jusqu’alors...
Elle plongea la tête la première dans l’eau salée et en ressorti aussi gracieusement qu’une sirène.
— Où est passée Pippa ? constata Poppy, les yeux rivés vers la paillote.
— Je n’en ai pas la moindre idée, mentit Jill.
— Elle est bien cachotière ces derniers jours.
— Cachotière ? Je dirais plutôt invisible. On ne la voit plus. Elle est toujours fourrée avec ce Tom Harris...
Jill se laissa flotter sur le dos.
— Je croyais que tu tenais à ce qu’ils se rapprochent ? murmura Poppy, incapable d’entamer la brasse.
— Pas au détriment de notre amitié, trancha Jill d’un ton sec.
— Tu exagères ! Notre amitié est bien loin d’être menacée.
— Tu ne diras plus ce genre de choses lorsqu’ils seront mariés !
Poppy leva les yeux au ciel. Comme Jill pouvait être bornée ! D’autant plus lorsqu’elle cherchait à avoir raison. Tout échange était voué à l’échec.
— Elle agit simplement par politesse et dans l’intérêt de ses parents.
— Ses parents ? Ils ne sont même pas là pour le voir...
Poppy se retourna espérant apercevoir Pippa. Jill avait le don de la faire douter, même lorsqu’elle était sûre d’elle. La jolie brune se redressa, son attention rivée sur Poppy.
— Quand est-ce que tu vas te décider à te baigner ? lui demanda-t-elle avec malice.
Une fâcheuse habitude qu’elle avait prise lorsqu’elle s’apprêtait à faire un mauvais tour.
La jolie blonde se retourna.
— N'est-ce pas déjà ce que nous faisons ?
— Pas comme ça.
Jill agrippa son amie par la taille et lui enfonça la tête sous l’eau.
— Voilà ! Et surtout, ne me remercie pas, se raidit Jill avant de faire demi-tour en direction de la plage.
Poppy hoqueta. Jill était pourtant au courant qu’elle ne savait pas nager. Elle se releva et se dirigea avec fureur vers sa serviette de plage.
— Tu l’as fait exprès ? baragouina Poppy, rouge comme une écrevisse.
Son cœur battait à tout rompre et sa respiration était saccadée. Jill lui fit face, épongeant son front avec son drap de plage. Elle fixa Poppy comme si la jeune femme lui parlait chinois.
— De quoi tu parles ?
— Oh, tu le sais très bien, hurla Poppy, au bord des larmes.
Jill l’ignora.
— Tu as un sérieux problème Jill ! Si tu ne fais rien pour te contrôler, tu nous perdras toutes !
Sur ces tristes paroles, Poppy empoigna ses affaires et quitta les lieux hors d’elle.
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