Chapitre 12
Pippa n’avait pas imaginé que ses vacances s’achèveraient sur une note aussi salée. Tom et elle ne cessaient de se regarder en chien de faïence, Jill ne daignait même plus lui adresser la parole et pour couronner le tout, elle avait passé ses deux derniers jours, enfermée à l’hôtel. La pluie s’était invitée sur la côte. Si bien que, même le premier ministre en personne, n’aurait pu la convaincre de quitter les murs de sa chambre.
Alors que la pluie tombait à verse une fois de plus, Poppy était venu frapper à sa porte, le veille de leur départ. Pippa avait alors déverrouillé la porte pour que la jolie blonde puisse s’engouffrer dans la pièce. Poppy s'installa dans la causeuse et posa un coussin en velours rose sur ses genoux. Puis, elle s’empara d’un des pompons situés à l’extrémité de la taie et le tritura entre ses doigts.
Pippa lui tendit une tasse de thé avant de se poser dans le fauteuil, lui faisant face.
— Ces vacances étaient pour le moins revigorantes. Tu ne trouves pas ? s'amusa Poppy.
— Très, répondit machinalement la jolie rousse.
Mais tout dans la gestuelle de Pippa témoignait du contraire. Elle porta son attention sur la baie vitrée.
— Tu es sûre que tout va bien ? s'inquiéta Poppy, en croquant dans un sablé.
— Mmh Mmh, répondit Pippa sans quitter des yeux la fenêtre.
Un vrai déluge s'abattait sur le village. Et avant qu’elle puisse comprendre ce qu’il lui arrivait, une larme roula sur sa joue. Sacre bleu, songea Pippa. Il ne manquait bleu que ça !
Poppy posa sa tasse et se pencha en avant. Elle attrapa la main de son amie avec une telle bienveillance que Pippa crut ne plus pouvoir canaliser ses émotions.
— Allons ma chérie. Que t’arrive-t-il ?
Pippa dissimula son mal être sous ses imposantes lunettes de soleil.
— Il y a bien quelque chose que je puisse faire, non ? insista-t-elle.
Elle posa son autre main sur celle de son amie dans l’espoir de la réconforter. Mais cela semblait peine perdue. Pippa ne souhaitait pas s’étendre plus longuement sur ses états d’âme et acheva, la gorge nouée, sur ces vagues paroles :
— Je … Je suis juste un peu perdue.
Elle se redressa brusquement et Poppy fut contrainte de lui lâcher la main. La rouquine s’avança vers le balcon, ouvrit la fenêtre et s’alluma une cigarette. Même si la vue sur l’océan était dissimulée sous une importante brume, elle ne pouvait nier à quel point le spectacle était des plus époustouflant. L’Italie était un si beau pays. Quitter le pays sur une note amère la mettait à mal. Mais, elle ne pouvait se contenir. Cela n’était pas dans sa nature.
Elle se retourna et scruta une dernière fois la chambre. Les semaines passées ici avaient filé à la vitesse de la lumière. La jeune femme contempla le lit à baldaquin aussi somptueux que confortable, la décoration méditerranéenne soignée et le mini bar digne d’un des plus beaux palace anglais. Ainsi, elle espérait graver ce décor idyllique à jamais dans sa mémoire.
—Je dramatise toujours tout ? se plaignit Pippa, prenant conscience qu’elle n’était pas de la meilleure compagnie possible, ces derniers jours.
Elle s’était enfermée dans une forme de mutisme et ne quittait sa chambre que par nécessité. Ses rares apparitions se résumaient à sortir pour déjeuner et se rendre à la poste pour y poster son courrier. Elle refusait tout appel venant de Londres. Le triste spectacle auquel elle avait assisté était encore trop vif. Jamais, elle n’aurait cru sa mère capable d’une chose aussi immonde.
— Bien sûr que non ! s'empressa de la corriger Poppy.
Elle inspira profondément.
— Seulement …, reprit-elle timidement.
— Seulement quoi ? la coupa Pippa.
— Si tu ne nous dis pas ce qui te préoccupe, comment pourrions-nous t'aider ?
— M’aider ? Pourquoi aurais-je besoin d’être aidée ?
Pippa écrasa sa cigarette avec son pied, piquée au vif. Elle savait que son amie venait d’appuyer sur un point sensible. Mais elle refusait d'être vulnérable.
— Alors c’est comme ça que vous me voyez ? continua-t-elle, remontée tel un coucou suisse. Comme un oisillon faible et sans défense ?
Sa voix se brisa. Elle avait l’impression de se comporter comme une enfant. Pourtant, sa vie privée ne regardait qu’elle. Personne d’autre...
— Tu sais très bien que je n’ai jamais dit une telle chose, répondit doucement Poppy.
Elle était si rouge qu’on aurait pu penser qu’elle venait d’attraper un méchant coup de soleil.
Pippa referma la porte fenêtre et reprit sa place.
— Je suis simplement … fatiguée. Ce voyage m’a épuisée.
— Es-tu certaine que ce soit l’unique raison ? demanda doucement Poppy.
Elle lâcha le coussin et croisa les bras, attendant de plus ample révélation de Pippa. Mais une fois encore, elle resta sur sa faim.
— Ça et d’autres choses...
Poppy fronça ses sourcils blonds.
— Tu recommences... Tu es aussi secrète que Jill est un livre ouvert.
Pippa but une gorgée de thé. Au moins, la bouche pleine, elle n’avait pas à se forcer à finir cette conversation.
— Cette comparaison était mal venue, reconnut Poppy.
Pippa sourit. Poppy était la maladresse incarnée. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de l’aimer davantage. Elle ne cherchait qu’à être bienveillante à son égard. Alors, pourquoi s’évertuait-elle à la rejeter quand elle cherchait seulement à témoigner de sa loyauté ?
— Que dirais-tu d’une partie de dame ? proposa Pippa, espérant noyer le poisson.
Fuir était son plus grand défaut. Elle le faisait toujours quand une situation devenait trop embarrassante ou dérangeante. Poppy accepta sans vergogne.
— Prépare-toi à rendre les armes, rit-elle.
De fines rides se dessinèrent au coin de ses yeux bleu azur.
Pippa reversa du thé dans leurs tasses et elles jouèrent jusqu’à la tombée de la nuit. Etrangement cette partie lui fit le plus grand bien. Elle avait même réussi à faire abstraction de sa nuit passée avec Tom. Cette partie lui avait permis de mettre de l’ordre dans ses pensées et de relativiser les choses. Certes Tom avait été très insistant. Il avait même agi au-delà de ce qu’elle avait désiré. Mais, il ne lui avait pas mis le couteau sous la gorge. Pire, c’est elle qui avait demandé d’autres baisers.
Alors, face aux doutes qui la taraudaient et avant qu’elles ne quittent toute deux la chambre pour rejoindre la salle de réception, Pippa se râcla gorge et murmura :
— Dis-moi Poppy chérie...
— Oui ? répondit-elle alors qu’elle rangeait une à une les pièces du jeu dans un petit sac en toile.
Pippa fit semblant de se repoudrer le nez pour masquer sa gêne.
— Comment as-tu su que Rory t’était destiné ?
Pippa gloussa puis tenta de dissimuler son amusement sous sa paire de gants blanc.
— On ne le sait pas. Il s’agit plutôt d’une ...évidence. Quand tu rencontreras la bonne personne, tu le sauras. Crois-moi. Tu ne te poseras même pas cette question.
Elle épousseta sa robe, lui adressa son plus beau sourire puis se dirigea d’un pas assuré vers la porte de la chambre.
— Tu viens ? enchaina-elle. Nous allons être en retard.
Pippa la suivit, stupéfaite. Qu’est-ce que cela voulait-il bien dire ?
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