Le gotha envié

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Aussi lisse qu'un mocassin vernis, la vie personnelle de Mona était en homothétie avec sa vie publique. On ne lui connaissait aucun lien. Pas d'ascendant ni de descendant. Point de partenaire, d'ami ou d’animal de compagnie. La jeune recluse vivait comme un hibou solitaire. Ses rapports humains se limitaient aux bipèdes bourrus du Pige’On et les concitoyens qu'elle croisait lors de ses emplettes. S'il lui avait été donné de ne pas dépérir elle ne quitterait sa piaule, aux murs défraîchis, que le soir venu pour accomplir sa besogne.

- Non, non ! se souvenait le nain en tapotant son large front comme s'il avait enfin trouvé une idée de génie.

Deux trouble-fêtes osaient ébranler, d’une ponctualité helvétique, la monotone existence de la serveuse.

- La voisine. Oui ! La vieille rousse édentée du cinquième. La cartomancienne toquait à la porte de Mona tous les jeudis midi pour demander une bière. Ce rituel instaurée par la quinquagénaire, datait d'un jour perdu, où Mona avait dépané l'assoiffée. Depuis, la fausse rousse pense -par un débile raccourci- que son tarot aurait même refuté, que la serveuse était payée de son labeur en liquide.

La seconde figure humaine que Mona recevait était un gars costaud à qui il manque la quasi-totalité de l’annulaire gauche. Ce gaillard trainait son air louche dans l'immeubre de Mona comme un balluchon. Recouvreur de dettes de son métier. Il passait chez sa proie tous les 5 du mois à 9 h du matin, réclamant sous et intérêts. Ils n'échangeaient aucun mot. Encore moins de politesses.

- Mais vous auriez vu les paluches du gus ! fit le petit bonhomme jouant de ses yeux un air globuleux avant d'enchainer en se penchant pour chuchoter : une fois j'en ai vu des identiques dans un sauna. Mais c'était les pieds d'un russe. Impressionnant je vous dis ! Bref, il vallait mieux que l'oeil torve du créancier ne se pose par sur vous. Je vous le dis !

Ayant nourri ainsi l'imagination de son auditoire, le pygmée ferma la parenthèse du rustre. Puis, dans un autre type d'exercice, il tenta d’arracher un sourire à l'audience improvisée en ajoutant : imaginez quand le 5 tombe un jeudi. Mona repue de ses congénères posait une RTT.

Gêné que la blague ne fasse pas rire plus que ça, le Tom-pouce lâcha un rire de cochon solitaire en se couvrant la bouche, pour cacher l'état désastreux de son email. Son bec abritait une dentition à peine moins disgracieuse que celle d’une courtisane du Dauphin de Versailles. Visiblement, jamais un dentiste ne s'est aventuré dans ce quartier où les mâchoires en souffrance, de la médium, du nain et bien d'autres quidams, l'auraient bien acclamées. Peu importe. Le lilliputien avait dans l’idée de porter un jour le dentier de feu son oncle Bobby. C’était juste une question de temps.

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