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– Je parlerai à Metatron, reprit l’archange. Nous verrons bien si tu dis la vérité, Iroël. Le cas échéant, il se chargera de mettre de l’ordre dans tout cela.

Metatron ? répétèrent Iroël et Cornélia d’une même voix incrédule.

La jeune femme se souvenait bien de la lassitude de l’archange. Et de ce que les autres avaient dit à son sujet.

– Mais il fera rien, siffla Iroël entre ses dents. Il fait jamais rien !

– Tais-toi, Iroël ! cingla la voix de l’archange. Ton impudence me déçoit beaucoup.

Le jeune homme fit front vers lui, furieux.

– Mais vous savez que c’est vrai. Il voit tout, mais il agit jamais. Il a peur d’agir comme Dieu. Il a peur de remplacer Dieu !

– Les archanges se moquent bien de Metatron ! ajouta Cornélia pour le soutenir. Même moi, je l’ai vu. Ils ne respectent pas ses règles.

Les ailes de Sobroniel se déployèrent dans son dos, gigantesques ; toute la terrasse se trouva écrasée sous ce faisceau de lumière. L’aura de l’archange irradia plus fort à travers sa peau, brûlante et intense comme un soleil blanc. Cornélia recula, aveuglée. Oupyre se cacha derrière elle.

SILENCE, MORTELLE ! tonna Sobroniel d’une voix de tonnerre qui vibra jusqu’au fond de leurs os. LES RÈGLES DE METATRON SONT LES RÈGLES DE DIEU ! ELLES NE PEUVENT QU’ÊTRE RESPECTÉES.

Iroël n’avait pas bougé. Sans faiblir devant l'aura divine, il répliqua :

– Maître, il faut rendre la justice. Orion fait le mal sous les yeux de Metatron. Et Metatron ne fait rien. Si vous ne voulez pas venir vous-mêmes... alors nous avons besoin de Raguel, la Justice. Vous êtes le Créateur... Vous pouvez demander à Raguel !

La voix de Sobroniel retrouva un volume supportable, un entre-deux qui n’était ni humain ni tout à fait divin.

– Tais-toi, apprenti ! Assez de blasphèmes ! Metatron est notre maître à tous, et le tien aussi. Par le sang de ton père qui coule dans tes veines, tu es assujetti comme nous à sa divine autorité. (Il désigna Cornélia.) Tu es moins pardonnable que cette mortelle, qui ignore tout de nous et de nos lois !

Il leur tourna le dos.

– Allez-vous-en. Je ne saurais croire à votre histoire, mais vos accusations sont graves. Je parlerai à Metatron… si j’estime, après réflexion, que vous le méritez.

Il étendit ses ailes démentielles, comme un vautour prêt à l’envol. Les soleils firent reluire la moindre de leurs plumes scintillantes. Alors qu’il s’apprêtait à prendre son essor, il dit d’une voix plus basse, presque humaine :

– Ni Orion, ni Metatron, ni aucun de nos frères ne sont faibles ou atteints de folie comme vous semblez le penser. Ils sont les Premiers Fils de Dieu. Et Sa disparition nous a plongés dans des tourments que vous ne pouvez imaginer.

Il banda tous ses muscles et plongea dans les cieux, comme entraîné par une gravité inversée. Son aura prit entièrement possession de lui. Devenu comète, il disparut en laissant derrière lui une traînée étincelante.

***

Restés seuls avec la hase, Iroël et Cornélia demeurèrent aussi immobiles que des statues. Le jeune homme finit par dire :

– Metatron va rien faire. C’est fini.

Il avança jusqu’au bord du toit et fixa l’horizon parsemé de nuages. Puis son regard monta vers le ciel étoilé.

– Avec des ailes, je pourrais chercher Raguel. Lui, il nous croirait. Il voit la vérité dans les mots.

Un sifflement de colère lui échappa. Il jeta un juron dans le vide, par dépit, comme il l’aurait fait d’une pierre. Cornélia resserra ses bras autour d’elle et dit doucement :

– Iroël… je suis désolée… désolée d’avoir parlé de ta mère.

Elle vit les muscles de son dos se tendre.

– Ça ne me concernait pas… et ça ne concernait pas Sobroniel. Je n’aurais pas dû.

Comme le jeune homme ne bougeait pas et ne disait rien, elle se sentit obligée d’ajouter :

– Je pensais que ça allait le mettre en colère, parce qu’il avait l’air de bien te connaître…

Au fond d’elle-même, elle avait pensé que Sobroniel était peut-être le père d’Iroël. Au début, en le voyant parmi ses apprentis, elle l’avait imaginé plus accessible que les autres archanges ; mais en réalité, il était exactement pareil à eux. Froid et hors d’atteinte. Il n’avait laissé transparaître aucun lien d’affection avec son élève.

– Il me connaît bien, finit par dire Iroël. Mais c’est tout. Il… il m’aime pas…

Il s’assit au bord du toit. Cornélia s’approcha en songeant que, vraiment, il fallait qu’il arrête de toujours opter pour cette position.

– Les archanges… reprit le jeune homme en regardant les mille buildings de Sydney briller sous les soleils. Ils ont pas de cœur. Pas comme… vous.

Vous ? releva Cornélia en s’asseyant près de lui.

– Un ange doit être libre. Les chérubins, les séraphins, les archanges, les trônes, les principautés… et les autres… ils aiment personne. Sauf Dieu.

Il regarda ses mains. De la poussière colorée s’était coincée sous ses ongles, et Cornélia devina qu’il avait travaillé sur ses masques, chez Sobroniel. Il poursuivit :

– C’est Dieu qui avait l’amour. Les anges, ils ont pas besoin d’amour. Ils ont pas de… sentiments. Juste des choses comme la colère, la peur, la tristesse…

– Ils… ils n’ont que des émotions ? reformula Cornélia, stupéfaite. Ils ne peuvent pas aimer quelqu’un, ou… je ne sais pas… éprouver de l’amitié ?

Iroël hocha la tête.

– Ils en ont pas besoin. Les sentiments… c’est pour les mortels. Les anges, ils ont leurs ailes, et ils ont Dieu…

Dans un geste inconscient, il se frotta l’arrière de l’épaule, là où commençait l’une de ses cicatrices gonflées. Sa voix baissa jusqu’à devenir presque inaudible.

– Mais un ange… sans ailes… sans sentiments… et sans Dieu… lui, il a rien.

Cornélia se tourna vers lui. Muette.

– Lui, il est encore moins qu’un mortel… acheva Iroël dans un souffle.

Il évita le regard de Cornélia. Sa mélancolie s’étendit hors de lui, comme une vague, et vint submerger la jeune femme.

– Iroël… Tu…

Son murmure s’éteignit dans le silence.

– Tu n’as pas de…

De sentiments ?

Il toucha son torse du bout des doigts, à l’emplacement du cœur.

– J’aime ma mère… je crois…

Un soupir lui échappa.

– C’est… ma créatrice. Comme Dieu est le créateur des anges.

Cornélia le contempla. Et elle prit la pleine mesure de ce qu’était ce garçon ; elle comprit pourquoi elle avait toujours eu tant de mal à le cerner.

– J’ai une sœur aussi, dit doucement Iroël. Humaine. Mais ce n’est pas… ce n’est pas comme Blanche et toi…

Il sourit, mais c’était un sourire brisé. Le cœur de Cornélia soubresauta dans sa poitrine. Dire qu’elle l’avait traité de caillou insensible, sur un autre toit, dans un autre secteur… Elle retint l'humidité qui lui montait aux yeux.

À présent, elle comprenait toute l’étrangeté d’Iroël. Lui qui montrait toujours tant de gentillesse, tant d’empathie, et qui pourtant ne se liait avec personne. Lui qui aimait toutes les nivées sans jamais s’attacher à une seule. Lui qui ne leur donnait jamais de noms… Pouet et Oupyre n’avaient toujours été que « le wolpertinger » et « le tarascon ». Ce détail avait toujours chiffonné Cornélia ; il les connaissait si bien, alors pourquoi ne faisait-il aucun effort ?

Elle l’avait toujours trouvé étrangement froid – sans jamais comprendre pourquoi, puisqu’il n’y avait pas plus empathique que lui. Il lui avait toujours semblé hors d’atteinte. À présent, elle comprenait pourquoi. En vérité, il ne donnait rien de lui, et il ne recevait rien de personne. Il était comme un champ stérile.

Malgré elle, Cornélia lui en voulut d’être ainsi. Blanche était tombée amoureuse de lui ; elle aimait le seul garçon qui ne pourrait jamais comprendre ce sentiment.

– Pardon, reprit-il. C’est la première fois… que je dis ça à quelqu’un.

– Pourquoi tu t’excuses, grogna-t-elle.

Elle se força à se radoucir.

– Ton père… (Il se crispa.) C’est, euh… c’est Sobroniel ? Tu n’en as jamais parlé avec lui ?

– Non. Sobroniel a pas de fils. Il va pas sur la Terre, il aime pas les humaines. (Il serra les dents.) C’est les archanges guerriers qui font ça.

– Ah, marmonna Cornélia. Super…

Donc Iroël était le fils d’une de ces enflures – Gabriel, Orion ou un autre de leurs frères psychopathes.

– Mais ton père… Tu savais qu’il était un archange ? Ta mère… elle le savait ?

La question était sans doute stupide. Il était difficile de ne pas voir leurs ailes de douze mètres et leur chevelure dorée.

– Elle savait, marmonna Iroël. Et elle m’a dit.

Cornélia se tendit. Elle n’imaginait pas Gabriel ou Orion dans une histoire d’amour passionnée – d’ailleurs, cela ne risquait pas, puisque les sentiments leur étaient étrangers. La mère d’Iroël avait-elle été violée par l’une de ces brutes ?

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