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Yoo ! J'ai GALÉRÉ à écrire ce passage 8D Je déteste les transitions. N'hésitez pas à surligner tout ce qui ne passe pas pour vous :'(
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Après la parenthèse de liberté que Cornélia venait de vivre, la ménagerie lui sembla plus noire et plus sinistre que jamais.
Lorsqu'elle avait été sur le point de perdre son humanité, Iroël et Oupyre étaient parvenus à la lui rendre. À présent, c'était à elle de faire de même avec tous les autres. Il fallait lutter contre cette maudite loi du plus fort, contre le mécanisme instauré par Orion qui les forçait à s'entretuer.
Personne d'autre ne s'y collerait. C'était à elle de le faire ; c'était une nécessité.
Lors du repas qui suivit, elle se força à mettre sa peur de côté. Au lieu de se terrer dans son coin, elle suivit le modèle de la Mouche. Elle alla fouiller dans la viande, après le passage des créatures dominantes, en se plaçant d’elle-même dans la hiérarchie intermédiaire. La Mouche n’hésitait pas à mordre ou à piétiner ceux qui lui cherchaient des noises, mais Cornélia, elle, décida de miser sur l’esquive. Lorsqu’une nivée grondait ou tentait de l’attaquer, elle bondissait hors d’atteinte et allait chaparder ailleurs.
Tu es une tzitzimitl, se répétait-elle alors que son cœur battait à tout rompre. Tu es vive et rapide, plus que la majorité d’entre eux. Et tu les as déjà combattus dans la fosse, pour la plupart.
Elle ne voulait pas leur faire de mal. Simplement gagner sa place à leur côté. Elle devait rester aux aguets, sonder son ouïe en permanence tandis qu’elle mangeait, repérer le moindre battement de cœur un peu trop énervé. Les autres en eurent vite assez de ce feu follet qui zigzaguait entre eux en refusant de contre-attaquer.
Cornélia n'allait pas fouiller dans le tas de viande pour elle-même.
Chaque fois qu’elle parvenait à voler un morceau, elle allait le donner à quelqu’un d’autre. Elle en offrit un à Gaspard, qui venait de se prendre une dérouillée par la wyvern la plus imposante, et qui léchait ses plaies à l’écart. Il ouvrit de grands yeux stupéfaits et se jeta sur son repas sans même la remercier – mais elle ne se vexa pas. Ensuite, elle alla nourrir les nivées qui n'étaient pas sorties de leur cage. Parmi elles se trouvaient la créature à deux têtes qui courait sans cesse après sa queue, ainsi que la tarasque au pelage sombre. Cette dernière avait l'air à peine vivante. Elle ne s'était même pas levée et restait là, apathique, couchée dans sa cage.
Toi, j’espère que tu ne te laisses pas mourir, songea Cornélia.
Lorsqu’elle déposa une pièce de viande devant elle, la tarasque ne réagit pas. Il fallut que Cornélia la touche du bout de la queue pour qu’elle reprenne vie. Les mâchoires de lion claquèrent brutalement ; elle les évita de justesse.
Manger, lui dit-elle en battant prudemment en retraite. Manger. Cadeau.
La tarasque cessa de gronder en repérant ledit cadeau. Elle hésita. Ses yeux remontèrent vers ceux de Cornélia – ils étaient rougeâtres et sombres. D'un geste poussif, le monstre finit par se lever pour manger. La fierté envahit Cornélia lorsqu’elle le vit reprendre des forces.
Elle fit plusieurs allers-retours, apportant des jarrets, des entrecôtes et des os à moelle aux nivées les plus faibles. Personne ne fit attention à ses déambulations. Au final, elle mangea très peu, mais la faim ne l’irrita pas.
Pour la première fois de sa vie, elle avait une bonne raison de jeûner.
Elle poursuivit ses efforts pendant plusieurs repas – plusieurs jours –, certaine que cela porterait ses fruits. Quels fruits, elle ne le savait pas exactement ; mais quelque chose allait forcément finir par changer.
Et de fait, quelque chose changea.
D'abord, Mitaine commença à reprendre sa manœuvre – celle de nourrir les autres en profitant de sa force de grootslang. Ainsi, Cornélia et les autres boyards recommencèrent à manger à leur faim. Puis un autre membre de leur groupe – la panthère d'eau – se mit à faire de même, ce qui étonna la jeune femme. Gaspard finit par suivre le mouvement. Ils s’entraidèrent d’abord entre eux, en veillant simplement à ce que le reste du groupe puisse se nourrir. Puis Cornélia essaya d'étendre cette aide à d’autres nivées. Les plus jeunes, les plus faibles, qui rôdaient autour d’eux en attendant des restes. Chaque fois, elle poussait vers eux une part de sa ration ; et petit à petit, au lieu de garder jalousement leurs os pour les ronger jusqu'à la moelle, les boyards autorisèrent également les autres nivées à les chaparder.
Était-il possible de faire émerger une alliance à partir de presque rien ?
Quand Cornélia et Blanche avaient été rejetées, elles n'avaient jamais tenté de se rapprocher des autres élèves mis à l’écart. Elles ne leur avaient jamais parlé, ne leur avaient jamais tendu la main. Pourquoi ? se demandait sans cesse Cornélia. C'était une question lancinante, qu'elle aurait aimé poser à l'adolescente qu'elle avait été. La peur, la honte et le mépris étaient les seules réponses qui lui semblaient plausibles. Tels des murs, ils les séparaient les uns des autres. Mais en réalité, ces murs n’existaient pas. Ils n'avaient rien de tangible. Alors, elle s'était demandé si de simples petits gestes auraient pu les fissurer... et la réponse était en train d'émerger.
Quand Orion les fit venir dans la fosse, elle combattit comme les autres, mais elle lutta au fond d'elle-même pour penser comme Iroël. Elle prit modèle sur sa douceur et son empathie perpétuelles. Elle était peut-être obligée de se battre, elle était peut-être obligée de souffrir des coups d’Orion, mais elle pouvait voir ses adversaires tels qu'ils étaient vraiment. Ils n'étaient ni des cibles, ni des ennemis. Ils étaient des nivées et des gens semblables à elle. Leur agressivité n’était pas vraiment la leur ; c'était la méchanceté d’Orion qui parlait à travers eux.
L’archange était doué pour rediriger leur colère sur leurs semblables, mais Cornélia essaya de ne pas oublier qui méritait vraiment cette colère. C’était à lui qu’elle avait envie d’arracher la tête. Pas à eux.
Iroël, dépêche-toi, priait-elle chaque fois qu’elle revenait dans sa cage. Dépêche-toi de trouver une solution, je t’en supplie.
Elle avait recommencé à aller voir Blanche, mais celle-ci restait silencieuse. Elle ne bougeait pas, n’exprimait plus rien du tout. Et ce silence terrorisait Cornélia. La culpabilité la rongeait. Elle essayait de la faire parler, mais en vain. C’était comme si sa sœur était piégée quelque part au fond de la tête du raijū.
***
– Il faut lui prendre les clés. C’est la seule solution.
Assis dans sa cage, Beyaz avait retiré son masque. Il était étrange pour Cornélia de le voir en humain, avec son air patibulaire et la grande brûlure sur la moitié de son visage. Elle avait aussi retiré le sien et s’était assise contre les barreaux. Le sol grillagé lui imprimait un quadrillage douloureux sous les cuisses.
– Mais il a sa lance, grimaça-t-elle.
À défaut de pouvoir se réunir tous ensemble, puisque leurs cages n’étaient pas au même endroit, Beyaz et elle avaient décidé de s'atteler à une réflexion construite. Et au diable leur serment de ne pas enlever leurs masques.
– Il nous faut une stratégie, gronda le soldat. Si on s’y met à plusieurs, Orion pourra pas tous nous avoir. Un ou deux de face, pour attirer son attention. Et trois autres qui l’attaquent par derrière. Et si on peut le surprendre à un moment en reprenant forme humaine, ça sera encore mieux... (Sa voix baissa et il sembla réfléchir pour lui-même.) Deux secondes maximum, parce qu'on pèse rien face à lui quand on est sous forme humaine, alors faut surtout pas qu'il nous attrape. Il peut p'têt' pas nous torturer à cause du tabou, mais il peut nous foutre dans une cage et attendre qu'on crève tout seuls comme des cons.
Cornélia déglutit.
– Super plan. Encore faut-il trouver des volontaires.
Beyaz la fusilla des yeux.
– C’est nous, les volontaires.
Pour ce qu’elle en savait, cet homme au regard ombrageux n’avait jamais peur de rien.
– Faut pas traîner, ajouta-t-il. Sinon, on va tous devenir complètement tarés. C’est bien beau d’attendre Iroël, mais son histoire de vol de clés, j’y crois pas du tout. En s'organisant tous ensemble, on sera vite sortis de cette merde. Si on attaque Orion, les autres nivées nous imiteront. On sera trop nombreux, ce salaud pourra pas tenir.
– Les autres auront trop peur. Orion les terrifie. Souviens-toi du premier jour, quand tu as essayé de l’attaquer…
Beyaz poussa un grognement d’ours.
– J’étais en infériorité, et ils le savaient tous. Ils ont dû voir cette scène déjà cent fois. Mais si on prend l’avantage, là, ça les décidera. Ils sentent quand le rapport de force s’inverse. C’est Orion qui leur a forgé ce putain d’instinct.
Il était assis en tailleur, et sur ses genoux dormait la petite licorne. Ainsi roulée en boule, on ne voyait d’elle qu’une forme blanche sans queue ni tête, vautrée dans les boucles argentées de sa crinière. En parlant, Beyaz posait les mains sur elle sans y penser. Elle frémissait à peine.
– Elle a un nom ? demanda Cornélia d’un coup.
Le soldat haussa les épaules.
– Petite cornue, ou petite blanche énervée. C’est comme ça que moi je l’appelle.
– C’est un nom de merde, intervint une troisième voix.
Beyaz et Cornélia sursautèrent. Le soldat bondit sur ses pieds, cherchant d'une main son arme à sa ceinture – il réalisa trop tard qu’il n’avait ni ceinture ni arme. La licorne dégringola par terre dans un bruit sourd. Elle s’ébroua, mécontente, et alla se coucher plus loin.
– C’est même pas un nom, en fait, maugréa l’intrus.
Les yeux écarquillés, Cornélia se cramponna aux barreaux.
– A… A… Aaron ?
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