35 - Un flan qui fait des pompes

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Bonjouuuur :D

Je vais poster 2 épisodes aujourd'hui pour essayer de rattraper un peu mon retard xD

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Après le combat au corps à corps, qui fut très loin de porter ses fruits, Aaron leur donna un couteau à chacune et les entraîna à son maniement. Comme tout le monde s'y attendait, ce fut un échec brillant. Puis il décréta qu’il était temps de faire une pause. Leurs soupirs soulagés s’évanouirent lorsqu’elles se rendirent compte que pour lui, une « pause » était en réalité un enchaînement de postures de gainage.

– L’objectif est de vous faire ressembler à des spaghettis secs, pas cuits, avait-il rétorqué quand elles s’étaient plaintes. Des trucs un minimum rigides, pour changer. Et toi, Danaé, vient t’entraîner avec elles, ça te passera l’envie de rire !

Elles s’étaient donc retrouvés à trois sur le tapis, en train de jurer, grogner et transpirer par tous les pores de leur peau. La faunesse, qui n’avait pas vraiment une anatomie faite pour la position pompe, avait les fesses en l’air et le visage rouge d’effort. Ses jarrets de chèvre jouaient des castagnettes. Blanche et Cornélia, d’un commun accord, avaient retiré leurs t-shirts – pour ne pas les noyer de sueur – et décrété que dorénavant, elles vivraient en brassière, comme toutes les boyardes. L’aînée avait remarqué à cette occasion que Blanche ne portait pas la petite clé d’or autour du cou. Qu’avait-elle fait de l’objet ? Était-il caché dans son sac ? Ou bien ailleurs ?

Dans sa culotte ? Beurk, n’y pense pas, s’était-elle dit en maintenant son gainage tremblotant.

– C’est quoi, ça, Cornélia ? avait aboyé Aaron. On dirait un flan qui essaie de faire des pompes ! Serre les abdos, serre les fesses ! Allez !

Après ce supplice, elles avaient eu droit à une vraie pause, qui avait consisté pour l’essentiel à rester étalées par terre en pleurnichant sur leur sort. Puis Beyaz avait pris le relai. Il leur avait montré comment se servir d’une arme à feu, et surtout, comment viser une cible. Ce n’était que de la théorie : tirer un réel coup de feu aurait pu attirer l’attention des archanges.

– Ça sert à rien, remarqua Blanche. On s’en servira pas... Moi, je pourrai jamais tirer sur quelqu’un.

– Ah ouais ? Même si c’est quelqu’un comme Orion, et qu’il s’en prend à ta sœur ou à ta tarasque ? releva tranquillement Beyaz.

Blanche ne répondit pas, mais une lueur tranchante passa dans ses yeux. Le soldat conclut :

– Bien ce que je pensais.

– On n’a pas d’arme à nous, rappela la jeune fille.

Iroël, qui occupait toute la table de la cuisine pour fabriquer un masque, se leva sans mot dire et lui tendit son pistolet semi-automatique. C’était le leur, à l’origine. Celui qu’Aaron leur avait confié, mais qu’elles avaient refusé de garder… Blanche le trouva lourd dans sa paume, trop grand pour ses mains à elle. Elle le prit pourtant, avec un mélange de répulsion et de gratitude.

Ce contact lui rappela ce moment où elles venaient juste d’arriver dans la Strate. Elles avaient tenté de s'enfuir ; Aaron et Aegeus les avaient recadrées avec méchanceté. À l’époque, les sœurs les avait détestés pour ça. Du coin de l’œil, Blanche fixa Aaron, occupé à nettoyer son fusil mitrailleur. Elle suivit du regard la ligne nette de sa mâchoire, puis la courbe de sa nuque, la rondeur de son épaule. Celle-ci l’amena aux muscles de son dos. Il avait le torse couvert de vieilles griffures, qui ressortaient presque blanches sur sa peau mate. Lorsqu’il releva la tête, ayant senti cette attention posée sur lui, Blanche détourna brusquement les yeux.

***

– Tu joues à quoi, avec Aaron ?

Les sœurs s’étaient isolées dans la cuisine quelques minutes pour boire au bidon d'eau potable. Occupée à absorber des litres et des litres, Blanche fit mine d’ignorer la question de l’aînée.

– Hein ? insista Cornélia, les mains sur les hanches.

Sa sœur soupira en s’essuyant la bouche.

– À rien…

– Ah ouais ? C’était quoi ce cinéma, avec les artères ? T’étais en roue libre !

– Bah, il m’a énervée.

Stupéfaite, Cornélia la dévisagea.

– C’est pour ça que tu lui as caressé les abdos ? C’est ta réaction quand on t’énerve, maintenant ?

Les oreilles de Blanche virèrent au rouge vif.

– Laisse-moi tranquille ! Je… Il me… Il est plutôt beau gosse, finalement, non ? Pourquoi j’aurais pas le droit de lui caresser les abdos ? Ou le reste ?

Sa figure aurait pu servir de feu rouge dans un carrefour.

– Et puis, ça te regarde pas. Je suis majeure, que je sache !

Cornélia haussa les sourcils.

– Ouais, enfin, difficile de pas regarder, vu comme vous vous êtes donnés en spectacle. Je croyais que c’était Iroël qui te plaisait ?

Sa sœur détourna les yeux.

– Bien sûr qu’il me plaît. Il est parfait. Mais il est… il est hors d’atteinte. (Elle haussa les épaules, faussement détachée.) Il est jamais là. Il évite les gens. Et il m’évite moi, depuis le début. Et puis même quand il est là, il est… loin. J’ai jamais l’occasion de tisser des liens avec lui... C’est juste impossible.

Cornélia se mordit l’intérieur de la joue. Sans savoir la vérité – que ce garçon était un fils d’archange, qu’il ne ressentait pas de sentiments –, Blanche l’avait bien cerné. Hors d’atteinte. C’était le mot. Sauf pour Cornélia, apparemment. La culpabilité la fit grincer des dents quand elle songea à tous les moments privilégiés qu’elle avait passés avec lui depuis leur entrée dans la Strate. Blanche aurait été si malheureuse en l’apprenant. Mais aussi, pourquoi cet imbécile d’Iroël tolérait-il si bien la présence de Cornélia, au point de la rechercher parfois ? Elle ne s’était jamais agrippée à lui. N’avait jamais laissé entendre qu’elle voulait se rapprocher de lui.

Peut-être que c’est ça, justement, qui le rassure… Peut-être que l’idée qu’on puisse s’attacher à lui l’effraie, parce qu’il est incapable de rendre la pareille ?

– Aaron, lui, il est là, reprit la cadette. Il est intéressant. Et il me voit.

– C’est le moins qu’on puisse dire. Il te voit même un peu trop pour ton propre bien…

– Et puis, un crocotta, c’est trop mignon. Il a une grosse truffe ronde, comme un chien. Ça donne envie d’appuyer dessus, peut-être même que ça fait « pouik ».

– Justement, s’agaça l’aînée sans relever cette considération hautement philosophique. C’est même pas un humain ! Est-ce que tu crois vraiment que les humaines l’intéressent ? Qui te dit qu’il va pas te manger toute crue si tu t'approches un peu trop de lui ?

Un sourire facétieux s’étala sur le visage de Blanche.

– Mais peut-être que je veux qu’il me mange crue.

Avant que Cornélia n’ait eu le loisir de s’arracher les cheveux, la kitsune entra dans la cuisine. Les sœurs sursautèrent et s’écartèrent d’un pas, tâchant de prendre l’air le plus naturel possible ; la renarde les dévisagea de ses yeux en amande, bordés de longs cils noirs. Puis elle inclina légèrement le buste, en signe de respect.

– Pardonnez-moi de vous interrompre. Voulez-vous que je m'en aille ?

Blanche se crispa.

– Non non, euh, nous… nous avons terminé.

Le regard de la kitsune se posa sur le bidon à moitié vide, auquel la jeune fille était encore cramponnée.

– Puis-je boire ?

Blanche lui donna l’objet avec précipitation.

– Merci.

La jeune femme but avec élégance, sans produire le moindre bruit, ni laisser une seule goutte glisser sur son menton pointu. Les sœurs reculèrent vers la porte d’un pas chaloupé, comme en présence d’un grand prédateur. Mais avant qu’elles n’aient pris leurs jambes à leur cou, la kitsune reposa le bidon et leur dit :

– Le garçon est en quête d’attention humaine.

Les deux filles s’immobilisèrent, un pied encore en l’air. La kitsune lissa le tissu diapré de sa robe, puis remit un peu d’ordre dans sa coiffure.

– C’est un crocotta, mais il veut être humain. Et d’une certaine façon, il l’est déjà. Bien plus que moi, ou cette vouivre à la poigne de fer qui dirige le convoi.

Ses yeux fusèrent vers Blanche, vifs et brillants comme des fragments de verre noir.

– Donne-lui de l’affection. Il n’attend que cela, même s’il ne l’avoue pas.

La mâchoire de Blanche se décrocha et tomba par terre avec un bruit mou. Elle regarda la kitsune leur passer devant, à petits pas retenus, pour pousser la porte. Une légère malice était apparue sur ses traits. Cette lueur subtile fissurait son masque de marbre et la rendait un peu plus humaine. Avant de disparaître, elle leur dit :

– N’est-ce pas ce qu’ils désirent tous, au final ? Le cœur des hommes est si facile à prendre !

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