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Yo les asticots :D Me revoilà ! (Moins inspirée que jamais, mais heureusement, j'ai beaucoup d'épisodes d'avance)
On va essayer de continuer (et terminer) ce tome 3, cette fois !
Petit rappel : après s'être évadés de chez les archanges, Cornélia, Blanche et leurs compagnons ont rejoint le convoi. Ils traversent Moscou. Puis se déroule une brève rencontre avec la Mère des dragons, et Aegeus les entraîne chez Midas, l'immortel voisin... pour régler une dispute entre les deux immortels. Actuellement, ils s'apprêtent à pénétrer dans le palais de Midas :0
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Ils s’approchèrent du grand escalier d’un pas vif. Les gardes les regardaient venir, nonchalants, sans montrer d'agressivité, ni trahir la moindre surprise.
Gaspard ne quittait pas Mitaine des yeux ; il se déplaçait à son rythme, les pas exactement calés sur les siens, son fusil prêt à faire feu sur le moindre intrus. C’est en le voyant faire que Cornélia se souvint.
« Tu as sorti Mitaine de quelque part ? » avait demandé Blanche un certain temps déjà – avant Orion, avant les archanges.
« Quand elle était pas libre… Quand elle était chez Midas, avec d’autres dryades, et qu’il la louait à ses boyards… »
Elle en eut le souffle coupé. Bien sûr. Mitaine et Gaspard connaissaient cet endroit. Ils connaissaient Midas… ils avaient déjà eu affaire à lui.
– Gaspard, dit stoïquement Aegeus en montant les premières marches. Il va falloir rester calme.
– Oui, chef, souffla le trentenaire d’une voix exsangue.
– Parce que si tu nous fais du tort, ou si tu te fais remarquer aux yeux de Midas, tu peux nous condamner tous en un instant.
– Oui, chef. Je sais.
Cornélia leur jeta un regard en coin. Ils étaient trop calmes tous les deux. C'était louche. Surtout Aegeus. Son visage était tendu par la concentration, sans émotion, sans l'énervement qu'il avait manifesté plus tôt. Parce que cet immortel-là était différent des autres ?
Mitaine avançait sans mot dire, un petite ride creusée entre ses sourcils d’herbe folle. Aegeus lui jeta un œil, puis se tourna le reste des boyards.
– Restez humains, mais gardez bien vos masques à portée de main. Au moindre geste brusque de Midas ou de ses soldats, je vous veux prêts à mordre. Ne misez pas sur vos armes : ils auront les mêmes que vous, sans doute avec de meilleurs réflexes. Votre plus grande force, c’est votre capacité à changer.
Ils hochèrent la tête comme un seul homme. Serrés en petit groupe défensif, ils gravirent l’escalier, passant devant la ligne de gardes. Cornélia s'attendait à ce qu'ils les arrêtent, mais il ne leur adressèrent pas un mot. Ils se contentaient de les suivre du regard, silencieux, ébauchant parfois des sourires en coin. Ils s’attardaient sur Aegeus, sachant visiblement qui il était, puis déshabillaient Mitaine du regard – bien qu’il n’y ait pas grand-chose à déshabiller, la dryade étant seulement vêtue d’un treillis militaire et de sa tignasse de fougères interminable. Énervée par leur sans-gêne, Blanche les dévisagea en retour. Ils ressemblaient en tous points aux boyards du convoi : des humains et des faunes, habillés de façon identique, armés des mêmes pistolets mitrailleurs et des mêmes fusils. Ils avaient le même visage, la même expression froide et patibulaire. Ils étaient le parfait reflet d’Elijah, Danaé ou Beyaz. Et ce constat mit les deux sœurs mal à l’aise.
À une époque, Gaspard avait servi Midas ; il avait fait partie de ces gens farouches qui les regardaient passer. Dans la Strate, les boyards passaient de chef en chef, servaient un immortel puis l’autre. Aegeus payait-il suffisamment ses mercenaires pour être certain de leur loyauté ? Beyaz, Danaé et Elijah étaient-ils vraiment dignes de confiance ?
Et Gaspard ?
Parvenus en haut de l’escalier, ils passèrent entre quatre gardes qu’Aegeus salua d’un bref signe de tête. Puis ils pénétrèrent dans le palais. Les murs se refermèrent sur eux.
Cornélia crut qu’elle allait étouffer. Les plafonds étaient bas, les couloirs étroits ; seuls des lustres et des chandelles éclairaient l'endroit. Leurs flammes faisaient reluire les murs couverts de boiseries et de carreaux de faïence. Des motifs végétaux s’entremêlaient aux animaux héraldiques. Çà et là, des vitraux projetaient des taches de lumière sur des fauteuils anciens.
Et comme partout ailleurs, des coulures d’or nappaient les murs de haut en bas, venant s’épancher jusque sur le plancher.
Encore des gardes…
Plus ils progressaient, plus l’or dévorait le palais. Bientôt, on ne distingua même plus les motifs peints sur les murs et les colonnes. Les fauteuils se confondirent avec tout le reste, statues d’or parmi les statues d’or. Car au milieu des ombres se dévoilaient des statues. Des faunes, des humains et des nivées, pétrifiés à jamais, et pourtant si vivants que l'on pouvait encore discerner la surprise, la terreur ou la supplication dans leurs yeux, et les moindres détails de leurs plumes ou de leurs cheveux. Cornélia dut ainsi enjamber un étrange centaure, dont l’arrière-train était une queue de sirène aux écailles brillantes. Il se tordait sur le sol, immobile, piégé à jamais dans les affres de l’agonie.
Plus ils avançaient, plus Gaspard et Mitaine se cramponnaient à leurs armes.
J’aime pas ça, se répétait Cornélia. J’aime pas ça du tout...
Elle n’ignorait pas qui était Midas, ni les grandes lignes de sa légende. Cet immortel n’avait certainement pas besoin d’autant de gardes : s’il lui suffisait d’effleurer quelqu’un pour le changer en or massif, que pouvaient bien lui apporter des balles et des fusils ? Et de toute façon, qui aurait été assez fou pour lui tenir tête ?
Aegeus, certainement.
Elle fixa son dos avec sa chevelure aussi dorée que les statues qui les entouraient. Rêvait-elle, ou les écailles s’étaient-elles multipliées sur sa peau ? Son dos ne semblait plus appartenir à un humain, mais à un dragon piètrement déguisé.
– Halte, leur lança une voix nonchalante.
Ils s'immobilisèrent. En glissant un regard entre Gaspard et Beyaz, Cornélia distingua deux soldats qui portaient des plastrons d’or. Ils gardaient une porte close. L’un d’eux se tenait avachi sur un fauteuil de bois. Il câlinait une dryade, assise sur ses genoux, qui avait l’air de vouloir se trouver le plus loin possible de là. Mitaine tressaillit. À sa gauche, Gaspard posa une main sur son bras ; à sa droite, Aegeus posa une main sur son épaule, de sorte que la dryade se trouva totalement encadrée. De la part d'Aegeus, Cornélia doutait que ce soit un geste protecteur. Il voulait simplement la contenir.
– Annoncez-vous, exigea le soldat sans même se lever.
– Je suis Aegeus, jeta le chef du convoi. Midas me recevra. Il me reçoit toujours.
Les gardes échangèrent un regard. Celui qui était assis bâilla, en signe évident d’irrespect. Il repoussa la dryade, puis la chassa d’une tape sur les fesses. Elle se plaça derrière lui et garda les mains jointes, le menton baissé, attendant visiblement un ordre. Sa chevelure en fleurs de glycine formait comme une opulente afro autour de son visage. Cornélia serra les dents en distinguant son bras gauche mutilé. Comme Mitaine, on l’avait marquée en lui arrachant sa peau d’écorce. On voyait son biceps de bois, maigre et pâle, apparaître entre deux pans de mousse verte.
– Va prévenir Midas, ma jolie, lui dit le soldat. Allez !
Muette comme une ombre, elle se glissa entre les battants de bois et disparut à l’intérieur. Elle ne revint pas, mais au bout de quelques secondes, les portes s’ouvrirent lentement. D'une courbette insolente, le garde les invita à entrer. Cornélia crut qu’Aaron allait l’attraper par la gorge et lui faire cracher son larynx, mais il réussit à se contenir. Ils pénétrèrent dans la pièce, puis se déployèrent en arc-de-cercle, au aguets, respectant la formation enseignée par Aegeus.
Ce devait être la salle du trône.
Contrairement à l’enfilade de salles étroites qu’ils avaient traversées, celle-ci était d’une taille imposante, avec un plafond haut, arrondi en voûtes blanches couvertes de moulures dorées. La salle entière était portée par des colonnes d’or, et décorée de lustres d’or qui devaient peser plusieurs tonnes ; d’or également était le trône campé tout au fond, sous un baldaquin sculpté.
Si on pouvait parler de trône...
Cornélia plissa les yeux, aveuglée par cette forme étincelante. Jadis, il avait dû y avoir trois sièges côte à côte, à taille humaine – ceux du tsar de Russie et de sa famille ? – mais ils avaient fusionnés entre eux. Ils avaient été engloutis par une vague dorée qui avait formé un dossier gigantesque. Des flaques d’or s’étendaient à son pied. Et sur ce trône monumental était assis Midas.
Cornélia sentit sa sœur tressaillir.
– C’est… chuchota Blanche tout bas. C’est l’immortel qu’on a vu chez Homère…
Un souvenir s’imposa à la mémoire de Cornélia ; et lorsqu’elle détailla un peu mieux l’immortel, l’image gagna en netteté. Quand Homère leur avait montré le passé d’Aegeus, les sœurs avaient vu la vouivre passer de main en main : elle avait appartenu à plusieurs immortels, dont Actéon. Et tout à la fin, avant qu’Homère ne coupe la projection, elles avaient eu la vision d’un homme très grand, à la peau lisse et métallique comme celle d’une statue dorée. Et elles l’avaient vu poser sa grosse main sur la tête d’Aegeus, comme il aurait caressé un bon chien.
Cet homme, c’était lui. Midas.
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