Chapitre 5 : L’échange

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Le discours du prêtre était pénible. Il me soulait. Et Dieu va vous aider, et son fils le Sauveur va vous porter à bout de bras, et blablabla. Je n’en pouvais plus de ces balivernes. Qu’est-ce qu’il pouvait raconter comme conneries. Tout le monde chialait. De toute évidence, son prêche ne réconfortait personne. Il aurait été bien avisé de s’en rendre compte. Mais non, il étalait sa grandiloquence face à ses brebis éplorées.

Je regardai Adam en oblique, essayant d’éviter la tête des gens qui m’empêchait de l’observer. Je le fixai sans pouvoir m’en détacher, hypnotisée. Il me fascinait. Je ne comprenais pas pourquoi. Je ne comprenais pas pourquoi du jour au lendemain mon regard sur lui avait changé. Pourquoi ce soudain intérêt ? Pourquoi captivait-il ainsi mon attention ?

Ce n’était pourtant pas le moment. De toute évidence, les sentiments se foutent des emplois du temps.

Je scotchai, incapable de résister.

Certes, il était très beau avec sa peau ambrée et ses yeux aussi bruns que ses cheveux rasés, mais avant, cela ne me faisait rien. En fait, avant, je ne m’intéressais pas trop aux garçons. Je préférais lire et jouer avec ma meilleure amie. On aimait encore coiffer nos poupées barbies et leur faire des looks funky mais on ne le disait à personne. On avait trop peur que les autres se moquent de nous. On jouait aussi à des jeux de société très girly comme dessinons la mode, shopping paradise ou encore le téléphone secret. Des jeux anciens que ma mère trouvait dans des vide-greniers et avec lesquels on pouvait s’amuser pendant des heures.

On était différentes des autres et on le savait. Les autres filles parlaient sans cesse des garçons du collège. Parfois, on trainait avec les plus grandes, les troisièmes. Elles racontaient leurs premières fois, et les suivantes aussi. Une seule fille de notre classe de quatrième l’avait fait. Elle s’appelait Élise et était très mal vue. Une fille facile, voilà ce que tout le monde disait d’elle. Nous, on la trouvait gentille, même si ses confidences nous mettaient parfois mal à l’aise. On les écoutait d’une oreille distraite, un peu curieuses, mais surtout pas mal terrorisées.

Mathilde, ma meilleure amie, avait eu un jour une super idée. Elle était arrivée avec deux bracelets noir et doré, parfaitement identiques. Chacune le sien. En l’attachant, on s’était promis qu’on attendrait l’entrée au lycée pour commencer à flirter avec les mecs. C’était plus raisonnable, disions-nous. On ne voulait pas passer pour des dévergondées comme certaines filles que l’on connaissait. On ne voulait pas avoir de réputation.

C’était notre d’accord et je voulais le respecter. Alors quand l’idée me traversa qu’Adam serait le premier, je ne compris pas d’où elle venait. Je n’avais même pas eu envie jusque-là d’avoir un premier. Alors le désigner !

Pourtant, c’était très clair pour moi.

Adam Bellaji serait le premier, voici ce que mon cerveau répétait en boucle. Et quel meilleur endroit que ce lieu solennel pour se faire une promesse à soi-même ? Aucun. Je jurai devant Dieu et ses ouailles qu’aucun homme ne me ferait l’amour avant lui. Mon serment était scellé entre Dieu lui-même et moi. Cela n’était quand même pas rien. Au contraire, cela le rendait puissant. Je me sentais revigorée par cette certitude irrévocable qu’Adam Bellaji serait le premier. J’avais un nouvel objectif dans la vie. Malgré la tristesse qui me consumait, j’avais une raison de continuer.

Et alors que j’étais en pleine cérémonie d’adieu à Bastien, je souriais à cette idée. Oui je souriais benoitement. Je souriais en pensant à Adam tout amoché me faisant l’amour avec sa minerve et son attelle de Robocop. Enfin, je ne souriais même plus à présent, je riais.

L’horreur. Je me forçai à arrêter en respirant plus fort. Puis je me rassurai. Ce n’était pas bien grave, les gens penseront simplement que mes nerfs étaient en train de lâcher. J’avais le droit, après tout, mon frère à moi était mort aussi. On passait tout aux gens qui venaient de perdre quelqu’un. Et j’étais de ceux-là, aujourd’hui.

Pourtant, tandis qu’un être m’avait quittée, un autre venait d’entrer dans ma vie.

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