Chapitre 10 : Le jeu
— Tu connais ce jeu ?
— Non, je ne joue jamais aux jeux vidéo.
— Ah bon ? Même pas avec ton frère ?
Il parut sincèrement étonné. Il n’avait pas de sœur et ne savait visiblement pas à quoi ressemblaient les relations entre frangins et frangines.
— Non. J’ai essayé une fois ou deux mais il disait que j’étais trop nulle et que je ne faisais que l’empêcher de gagner. Il n’avait pas de patience et c’était un mauvais perdant.
Adam éclata de son rire rauque.
Le plus beau son de la terre. J’avais fait rire Adam Bellaji, je n’en revenais pas.
— C’est vrai qu’il l’était, Seb, confirma-t-il. Je lui ai mis quelques raclées qu’il n’a jamais digérées. Mais il a abusé, il aurait pu t’expliquer. On passait notre temps à se battre à la Play avec Bastien. Il était bon, même si je ne lui disais jamais. Je préférais qu’il pense que c’était un tocard et que j’étais le meilleur...
Il sourit, nostalgique. Je ne connaissais pas cette rivalité entre frères qu’ils semblaient avoir instauré. J’avais déjà observé que, dans les fratries de mecs, elle pouvait exister, mais n’y avais guère prêté attention. Mais quand Adam parlait, tout prenait une autre dimension. Chacune de ses remarques piquait mon intérêt.
— J’aurais pas dû être aussi dur avec lui. Si j’avais su...
La nostalgie s’enrobait de tristesse, de regrets. Pour un peu, je crus qu’il allait pleurer, mais il n’en fit rien, évidemment. C’était un sans-cœur, comme moi, ne l’oublions pas. Il émit juste un ricanement qui en disait long sur son impuissance à changer le passé. Perdu dans ses pensées, il se tut quelques instants.
Puis se tourna vers moi, se souvenant de ma présence à ses côtés.
— Tu fais une partie avec moi ?
Heu...
— Je n’y ai jamais joué.
— Je peux t’apprendre si tu veux.
Je-peux-t’apprendre-si-tu-veux.
Heureusement que j’étais assise, j’aurais pu tomber par terre pour cette proposition.
M’apprendre, oui, voilà ce que j’attendais de lui, qu’il m’enseigne toutes les choses que je ne savais pas. Qu’il m’apprenne la vie, comment embrasser un garçon, comment lui faire l’amour et tutti quanti.
Voilà, Adam, apprends-moi !
Mais seuls les jeux vidéo semblaient faire partie du projet.
Même si mon cerveau disait : « Non ! Tu vas te ridiculiser ! », je hochai la tête comme les petits chiens à l’arrière des voitures, incapable de refuser. Il me tendit la manette et se rapprocha de moi pour me montrer. Son odeur m’envahit.
À son contact, je sentis des papillons s’envoler dans mon ventre. Je planais.
Comme attendu, j’étais vraiment super nulle. Un cas désespéré. Tout geek qu’il était, Adam avait beau m’enseigner les bases, je ne pigeai pas un broc de ce qu’il racontait. Mais il n’en avait cure, me sembla-t-il, car il s’obstinait à me répéter les mêmes consignes. Puis, voyant que je n’y arrivais pas malgré ses conseils avisés, il déclara :
— Attends, je vais faire le mouvement en même temps que toi.
Malgré son corps qui le faisait souffrir, sa minerve et sa jambe empaquetée de fer qui limitaient ses mouvements, ses bras étaient libres. Il passa le sien autour de mon dos et posa chacune de ses mains sur les miennes, qui tremblaient si fort que j’avais du mal à tenir la manette.
Oh my god.
Ce fût la plus belle heure de ma vie.
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