Chapitre 13 : La soirée hommage

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Je ne vis pas l’ombre de la silhouette d’Adam pendant les longs mois d’hiver. Une période interminable et sombre qui me sembla durer une éternité. Il était mon soleil et, sans lui, les jours me parurent bien gris.

Mon attente s’arrêta enfin lorsque, six mois après ma visite chez lui, je fus conviée à de drôles de festivités. Il s’agissait en fait d’une soirée dédiée à la mémoire de nos frères, Bastien et Seb, où Adam serait aussi à l’honneur. Tout un programme ! En réalité, cette soirée « hommage » avait plusieurs objectifs : fêter le retour de l’estropié (c’était son nouveau surnom), célébrer l’anniversaire posthume de son petit frère décédé (c’était d’un glauque) et, en sus, se remémorer les deux jeunes décédés (glauque high level).

Cette petite sauterie sentait la sinistrose à pleine nez. Y était attendue une partie des amis proches des deux gars disparus. Qu’est-ce que j’allais foutre au milieu d’eux ? Je n’en avais pas la moindre idée et me le suis demandée en acceptant cette sollicitation inattendue. Je savais qu’Adam y serait alors cela suffit à me convaincre d’y mettre les pieds. Je ne pouvais décemment pas refuser pareille occasion de me trouver dans son sillage.

La soirée était organisée par Sonia, la petite amie de Bastien, celle qu’il avait fréquentée pendant un an, avant que le drame ne survienne. En conséquence, cela avait lieu chez elle, dans sa grande maison, située à quelques encablures de chez moi. Je pouvais m’y rendre seule et à pied. De toute façon, la présence de mes parents comme de ceux des autres n’était pas tolérée. Seule une vingtaine d’adolescents du quartier, triés sur le volet, seraient là.

Sonia avait seize ans et toute la vie devant elle. Mais Bastien était son premier amour et elle le pleurait toujours, inconsolable. Chaque fois qu’elle parlait de lui, des larmes scintillaient au coin de ses yeux bleus. Une fois sur deux, elle finissait en sanglots. Moi qui ne pleurais jamais, cela me mettait toujours mal à l’aise de voir les gens s’épancher.

Mais elle, je la comprenais. Même si je ne n’arrivais pas à me mettre à sa place, n’ayant pas perdu celui qu’elle désignait comme « l’amour de sa vie », je partageais ce vide qu’elle ressentait. Parce que j’avais perdu mon frère, parce qu’Adam avait disparu des radars pendant des mois, je savais sa souffrance. Sonia se languissait depuis le départ définitif de Bastien et ce sentiment me parlait. Nous n’avions juste pas la même manière de l’aborder et d’exprimer notre désarroi. Tandis qu’elle cherchait à tout prix à combler l’absence de son amour brisé en le faisant exister de toutes les manières possibles, je fuyais tout ce qui me replongeait dans l’horreur de leur mort. Je n’allais jamais au cimetière, je ne rentrais plus dans la chambre de mon frère et quand ma mère m’avait suggéré de récupérer certaines de ses affaires, j’avais refusé propre et net. Il n’y avait pas de photo de lui dans ma piaule. Je ne voulais pas cultiver son souvenir, c’était trop douloureux pour moi. Il en allait de ma santé mentale.

Si Adam n’avait pas été au programme de cette soirée mortifère, je n’aurais jamais accepté d’y aller. J’étais horrifiée à l’idée de participer à cette triste commémoration qui allait forcément remuer le couteau dans la plaie. Mais la présence lumineuse de mon bel estropié allait m’aider à faire passer la pilule. Il était l’avenir et, pour moi qui voulais oublier le passé, c’était une opportunité parfaite pour m’échapper.

Je compris rapidement les raisons de mon invitation. Pour cette soirée du souvenir de la déprime, Sonia voulait préparer un diaporama composé de photos et vidéos. Il lui fallait le plus de clichés possibles des deux adolescents. En plus de ses photos personnelles, elle souhaitait y ajouter des images de leur petite enfance, voir même d’eux, bébés. Sonia m’avait sollicitée pour ne pas déranger mes parents. Elle s’était sûrement sentie obligée par la suite de m’inviter également. Je m’en fichais d’être utilisée comme intermédiaire et d’être là par intérêt tant qu’Adam était de la partie.

Je fus récompensée quand je le vis enfin arriver et sur ses deux pieds qui plus est, ce qui était la première fois depuis des mois.

Le hic, c’est qu’il était accompagné.

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