Chapitre 17 : La soirée claquage
— Ben, ça va détends-toi, mec, j’ai le droit de lui poser une question ! rétorqua Sandra, les yeux rivés sur Adam tels deux révolvers chargés.
— Fous-lui la paix, c’est bon, j’ai dit qu’elle ne jouait pas.
— Mais d’abord, t’es qui pour décréter ça ? T’es pas son frère que je sache !
L’ambiance tournait au vinaigre. Adam n’ajouta rien mais me regarda comme s’il considérait que c’était le cas. Il se détacha de sa pouffe tentaculaire dont il évinça les bras sans plus de manières. Il posa ses coudes sur ses genoux, le buste tendu vers moi. Sa posture et son visage révélaient un fort sentiment de propriété à mon égard, que je ne compris pas car, effectivement, nous n’avions aucun lien de parenté qui lui permettait de se comporter ainsi.
Il me scrutait comme si nous étions en pleine transmission de pensées mais je ne voyais pas où il voulait en venir. En revanche, je sentis mes joues s’empourprer sous le feu de ses yeux flamboyants. J’avais trop chaud et transpirai sous mon pull épais.
Sandra et Cécé me dévisageaient elles aussi, attendant que j’en finisse avec ce suspens insoutenable. J’aurais pu leur répondre n’importe quoi pour avoir la paix, mais la vérité c’est que je n’en savais rien et cela m’attrista. La vie privée de mon grand frère m’était restée hermétique, surtout ces derniers temps, où il avait beaucoup changé. Il était devenu un homme tandis que je jouais encore aux poupées et j’avais le sentiment d’avoir manqué quelque chose.
Un souvenir remonta à ma mémoire. J’étais rentrée à l’improviste de mes cours deux semaines avant l’accident et j’avais appelé dans la maison pour savoir qui était là. Personne ne m’avait répondu. Il était quinze heures et mes parents étaient tous les deux au travail. J’avais ouvert la porte de la chambre de Seb en doutant de l’y trouver. Une forte odeur de transpiration mêlée à une senteur inconnue m’avait sauté au nez. Je l’avais surpris au lit en charmante compagnie. Enfin, charmante, je n’avais vu d’elle que la forme de son corps enfoui sous la couette. Elle était invisible et je ne sus jamais son identité.
S’agissait-il de Sandra, de Cécé ou de la mystérieuse fille de sa classe qu’il aurait enfin réussi à séduire ? Seb l’avait habilement extradée de la maison une heure plus tard. Il l’avait fait avec une telle discrétion que je n’avais entendu que leurs gloussements une fois passée la porte d’entrée. Cela m’avait fait sourire en même temps que cela m’avait désespérée. Tout le monde baisait dans cette baraque, à part moi. Mes parents l’un avec l’autre et mon frère avec la moitié du quartier.
Je fus tirée subitement de mes pensées. Malgré les avertissements d’Adam, les filles ne voulaient pas en rester là :
— Alors, Anna, à ton avis, qui est-ce que ton frère préférait ? insista Cécé qui avait l’air sûre de gagner.
— Ouais, tu vivais avec lui, renchérit Sandra. Il t’a sûrement parlé de nous.
Leur ton était moins rogue. Elles voulaient me faire avouer. Mais, à moins de mentir, j’aurais été bien incapable de leur répondre. J’avais beau avoir vécu sous le même toi que lui, tout un pan de la vie de mon frère me resterait à jamais caché. Réalisant cela, je sentis mes yeux me picoter.
Face à mon désespoir, Adam vola à mon secours :
— Lâchez-là avec ça, s’énerva-t-il contre les deux filles. Elle doit rentrer de toute façon. Je la raccompagne, elle n’a rien à faire ici.
Il se leva d’un bond, abandonnant sa créature de rêve au cerveau de bulot et se dirigea vers moi d’un air déterminé. Il me fit lever brusquement en m’attrapant par le bras.
— Mais elle doit bien savoir quelque chose, c’est sa sœur quand même ! l’alpaga Cécé.
Adam fit volte-face et la prit entre quatre yeux.
— Fous-lui la paix ou tu auras à faire à moi.
Adam était comme ça. Avec lui, ça ne rigolait pas.
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