Chapitre 20 : Paris
Malgré leurs inquiétudes concernant leur fougueux rejeton, les parents d’Adam en parlaient avec un amour inconditionnel, vantant toutes les nombreuses qualités de leur fils prodige. Ils en faisaient un éloge permanent, à tel point que même sans être là, je sentais sa présence dans la maison avec nous. J’avais l’impression qu’ils transvasaient toute la tendresse qu’ils avaient pour leur plus jeune fils décédé, vers l’aîné, le survivant, comme un effet de vases communicants.
Au bout de quelques jours, ses parents se confièrent. Leur fils ne vivait pas bien du tout sa responsabilité dans l’accident, cela ne faisait aucun doute pour eux. Si, contrairement à eux, je comprenais le tempérament excessif d’un jeune homme qui voulait profiter de la vie à fond, après en avoir réchappé de justesse, je rejoignais leur avis sur ce point : Adam se reprochait toujours la mort de nos deux frères. Il suffisait de le regarder pour en être convaincue.
Je vis des photos récentes de lui, accrochées sur le tableau en liège de la cuisine. Il avait l’air mauvais, le regard dur et le visage fermé. Il affichait des yeux cernés et des joues creuses, renforçant son apparence déprimée. Il paraissait être... un homme en sursis.
En découvrant cette nouvelle image de celui que j’aimais, je m’interrogeai : se pouvait-il qu’il s’en veuille... à mort ?
Pourtant, il n’y était pour rien. S’il avait bel et bien été au volant, comme le rapport de police l’indiquait, lui n’avait presque pas bu. Depuis qu’il avait obtenu son permis, du premier coup, il s’était toujours montré responsable. Malgré son tempérament tempétueux, dans le quartier, c’était celui qui se donnait le plus les moyens d’avancer. Il avait travaillé dès qu’il l’avait pu afin de s’acheter une voiture digne de ce nom, pour être libre de vadrouiller en toute autonomie. Il n’était pas inconséquent. Seuls nos deux frères avaient picolé comme des trous ce soir-là. Les analyses toxicologiques étaient formelles. Des trois occupants de la voiture accidentée, il n’y avait qu’Adam qui présentait un taux inférieur à 0,5 grammes par litre de sang. Alors que s’était-il passé ? Personne ne le savait.
Cette nuit-là, il n’avait pas fait le con comme beaucoup de médisants du quartier l’avaient supposé. Il avait seulement voulu emmener ses deux potes pour une virée à Paris, une ville située à plus de 450 kilomètres de chez nous. Voilà tout ce que l’on avait appris. Ils n’avaient jamais atteint la destination finale. L’accident avait eu lieu à mi-parcours. Leur voiture avait été percutée par un chauffard très alcoolisé qui revenait d’une soirée avec plus de trois grammes dans le sang.
Pourquoi Paris ? Personne ne comprenait ce choix et le seul susceptible de pouvoir nous en dire plus refusait de le faire. Ses parents n’avaient pas insisté. Ils avaient trop peur d’accabler davantage leur enfant, déjà bien mal en point moralement.
Peut-être aussi avaient-ils eu peur de découvrir la vérité.
Pour moi, cela ne changeait rien. Nos frères étaient morts et Adam était vivant, il n’y avait rien de plus à ajouter. Mais je partageais désormais leurs craintes. Sur les photos, ses yeux parlaient d’eux-mêmes. Il souffrait et personne ne semblait pouvoir l’aider.
Et surtout pas moi, malheureusement, car je n’allais pas le revoir à la villa, comme je l’avais espéré. Il me semblait si loin, si inaccessible... Comment allais-je faire pour l’approcher si la seule opportunité que j’avais de le voir en venant ici était tombée à l’eau ?
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