Chapitre 26 : Sans protection
Le lendemain, je me levai, les yeux rougis d’avoir trop pleuré. J’avais une tête à faire peur. J’essayai de m’arranger avant de monter prendre mon petit-déjeuner à l’étage, avec mes parents et ceux d’Adam.
Je savais que si je ne venais pas, ils s’inquiéteraient, et contrairement à d’autre, moi cela m’importait de les préserver. Je ne voulais pas être un poids pour eux. Je ne voulais pas être une charge supplémentaire, le chagrin pesait déjà assez lourd sur leurs épaules.
Des conversations animées me parvinrent en provenance de la cuisine lorsque je montai les escaliers, un livre à la main. J’avais cette drôle d’habitude de trimballer mes bouquins partout, y compris aux repas. J’avais toujours peur de m’ennuyer et prévoyais de la lecture au cas où. Tandis que j’approchai de la porte de la cuisine, les voix et rires familiers n’éveillèrent pas ma vigilance.
C’est pourquoi je me figeai sur le seuil de la porte quand je les vis.
Eux. Il et elle. Tous les deux. Mangeant leurs croissants côte à côte. Mon cœur tomba dans mes talons. Une chute vertigineuse et douloureuse. Un atterrissage aussi violent qu’un suicide du haut d’un building. Je me mis à trembler, à bafouiller que je n’avais pas vraiment faim, que j’étais juste venue les prévenir de ne pas s’inquiéter.
Malheureusement, à peine avais-je terminé ma diatribe que ma mère se leva et m’attrapa le bras pour me faire asseoir à leurs côtés. Très exactement face à lui. Lui, qui souriait en voyant mon visage déconfit. Lui, dont l’épaule frôlait celle de sa voisine. Lui et ses yeux noirs qui me fixaient comme si j’avais quelque chose à lui avouer. Son regard était comme du penthotal qui voulait extirper ma vérité. Il aurait pu m’ignorer mais c’était tout le contraire. Il me dévisageait et s’amusait de l’effet que la situation me faisait.
Je saisis ma tasse de café en tremblant. J’avais peur de la renverser tant je sentais mes mains moites et mal assurées. Je la reposai et sortit de table, prétextant avoir oublié quelque chose.
— Anna ! cria ma mère dans mon dos.
Mais je ne répondis pas. En redescendant les escaliers, je m’aperçus que j’avais oublié mon livre, trop perturbée. Je ne revins pas sur mes pas, préférant me priver de sa compagnie que de me retrouver nez à nez avec Adam et son nouveau plan cul. De toute façon, j’étais bien incapable de lire dans l’état dans lequel j’étais.
Je m’enfermai dans ma chambre, prisonnière de ma tristesse, de ma déception et de cette douleur qui me transperçait le cœur aussi sûrement qu’une épée plantée dans le corps d’un combattant. Je pensai à mon frère et je lui en voulais d’être mort et de m’avoir abandonnée ainsi, à la merci de ce genre d’êtres humains diaboliques.
Mon frère était protecteur, il prenait toujours ma défense quand on m’embêtait sur la plaine de jeux de notre quartier. Il lui était déjà arrivé de jouer des poings lorsqu’un adolescent m’avait chahutée. Le gros Jérémy avait un jour subit ses foudres lorsqu’il avait refusé de me rendre mon vélo. Mon frère était arrivé par derrière et l’avait attrapé pas le colback avant de le jeter à terre. C’était mon preux chevalier, mon gardien, et je ne voulais pas qu’il soit à présent mon ange gardien. Je voulais qu’il soit vivant, qu’il pète la gueule à ceux qui m’attaquaient et leur règle leur compte comme il savait si bien le faire. Je n’aurais pas été contre une petite baston entre mon frangin et cet énergumène dont j’étais tombée amoureuse malgré moi.
Mais Seb était mort et j’étais seule, éplorée sur mon lit.
On toqua à la porte. Je crus que c’était ma mère qui venait me chercher pour m’ordonner de remonter petit-déjeuner. Je m’éclaircis la gorge et essayai de prendre l’air le plus détaché possible.
— Laisse-moi tranquille maman, s’il te plaît. Je n’ai pas envie de parler.
La porte s’ouvrit. Je ne la verrouillais jamais.
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