Chapitre 100 : Épilogue
Difficile de revenir à la vie normale après ce qu’Adam et moi avions partagé durant notre brûlante nuit. J’avais eu peur de revenir à la réalité et à la banalité de nos vies séparées, mais il avait su me rassurer quant à notre avenir et trouver les mots justes pour apaiser mes craintes. Lorsqu’il reprit sa voiture pour repartir à deux cents kilomètres de là, je n’étais plus aussi angoissée par cette séparation et la façon dont nous allions gérer ça.
Nous avions décidé de garder notre idylle naissante secrète. Pour des tas de raisons, cela valait mieux. Mes parents adoraient Adam, qu’ils avaient vu régulièrement ces dernières années. Contrairement à d’autres, ils ne lui avaient jamais tenu rigueur à propos de l’accident et du décès de mon frère. Intelligentes, nos familles étaient restées soudées dans cette épreuve. Ses parents me connaissaient aussi et je pense qu’ils n’avaient rien contre moi, mais Adam redoutait que notre différence d’âge ne les fasse bondir. C’était des personnes un peu vieux jeu, avec une certaine éthique de la vie, qui conférait parfois à une vision un peu étriquée. Anciens militaires de carrière tous les deux, ils aimaient que les choses soient carrées carrées, bien rangées dans leur petite boîte. Une manière de penser qui ne seyait pas toujours à mon amoureux, qui n’aimait rien tant que de faire bouger les lignes.
Mais Adam aimait beaucoup ses parents et les respectait encore plus. Il avait peur de les choquer et de les incommoder face au regard des personnes vivant dans notre quartier. Il subodorait que si notre histoire venait à être révélée, les gens le prennent encore à parti, lui, et en profitent pour débiner ses parents, jusque-là épargnés par ses frasques réelles ou imaginaires. Plus j’y réfléchissais, plus ses craintes me semblèrent fondées. Les gens n’auraient pas hésité, en plus de tous les mensonges qu’ils avaient déjà colportés, à l’accuser de détournement de mineur. Il n’avait pas envie que cela vienne s’ajouter à la longue liste de ses prétendus méfaits. Cette étiquette nauséabonde aggraverait encore son image et s’attaquerait à celle de sa famille, par ricochets. Il ne voulait pas que l’on regarde ses parents de travers, comme les créateurs peu scrupuleux d’un fils dégénéré. Les sales gosses avaient forcément des sales parents, non ?
Je comprenais ses positions et les partageais d’une certaine façon. Bien sûr, j’aurais adoré m’afficher avec lui, tant j’étais raide dingue de ce mec, mais je me mettais à sa place et pris mon mal en patience. Je voulais le savoir heureux et acceptai donc de vivre notre liaison en cachette.
Commencèrent alors les rencontres clandestines. On n’avait pas envie de vivre cloîtrés dans son appartement, sans pouvoir nous adonner aux activités des jeunes de notre âge, que constituaient le cinéma, les restaurants ou le bowling. On trouva donc très vite des solutions pour se voir à l’extérieur sans se faire remarquer. Comme il possédait le permis et une bonne voiture, on bougeait sans arrêt. Nous pouvions nous éloigner du secteur sans la moindre difficulté et je commençais à trouver tout cela très amusant. C’était grisant de le retrouver dans des lieux inédits et profiter de lui à l’abri des regards indiscrets.
Pour notre premier rencard en amoureux, il m’avait donnée rendez-vous au cinéma et on s’étaient rejoints séparément dans la salle, entrant l’un après l’autre comme si de rien n’était. Hilares, on s’était blottis l’un contre l’autre dès l’extinction des lumières, savourant l’excitation de notre proximité sans cesse renouvelée. Les films à rallonge avaient notre préférence. Avatar était devenu notre préféré : trois heures quinze à se peloter dans le fond de la salle. Au bout de la quatrième séance, on n’avait toujours aucune idée du scénario, mais on avait adoré chacune de nos improvisations, sortes de préliminaires qui aiguisaient notre libido insatiable.
Un soir, au tout début de notre romance, tandis que nous nous préparions à aller prendre un verre dans une ville voisine où avait lieu le concert d’un groupe local que nous adorions tous les deux, il passa rapidement par la salle de bain. Au sortir de sa douche, lorsqu’il apparut sur le seuil de sa chambre, une serviette nouée autour de la taille, une envie indécente éclata dans mon cerveau. J’étais en train de lire dans la pénombre de la fin de journée, habillée et déjà prête à partir. Il avait terminé une séance de sport tardive et avait voulu se rafraîchir en vitesse. Nous étions encore dans les temps... sauf si je décidais de changer quelque peu le programme de notre soirée.
Je le revois, beau comme un prince. Sa peau brune étincelait encore des dernières gouttes d’eau qui séchaient sur son corps. En le dévorant des yeux, je n’avais qu’une idée en tête : le savourer de ma bouche. Je m’étais levée du lit d’un bond et l’avait plaqué contre le mur pour l’embrasser. Il fût surpris par cette initiative mais m’avait rendue mon baiser avec ferveur. J’avais dénoué la serviette et l’avais envoyée valdinguer sur le lit, révélant ses attributs toujours aussi appétissants. Il avait affiché un air complice en voyant mon sourire carnassier. Mon attitude aguicheuse avait éveillé en lui exactement ce que j’avais espéré : un désir violent que moi seule pouvait assouvir. Un plaisir dont je n’allais certainement pas me priver.
Je m’étais abaissée à genoux devant lui. Après un moment d’hésitation où il avait failli me retenir, il s’était laissé convaincre de s’abandonner. Troublé, il avait eu l’air aussi ravi que décontenancé par ma posture. Je ne l’avais encore jamais fait et il le savait très bien, car je le lui avais dit. Il ne m’avait jamais rien demandé jusqu’à présent, et je comprenais qu’il en était un peu gêné. Il avait toujours peur de m’obliger à faire quelque chose que je ne voulais pas réellement. Il me l’avait déjà confié à plusieurs reprises lors de nos ébats. Me dépuceler avait déjà été un défi pour lui, mais il en allait de même pour toutes mes premières fois. À chaque nouvelle étape, il appuyait toujours les deux pieds sur la pédale de frein afin de s’assurer que c’était bien ce que je désirais. Sa prévenance me touchait beaucoup mais, ce soir-là, je n’avais pas eu envie qu’il prenne des pincettes avec moi. J’avais eu faim de lui et il n’avait pu le nier en me voyant me rapprocher de son sexe comme une affamée. Je lui avais demandé de me guider. Ce à quoi il avait retorqué, comme souvent, que je savais très bien me débrouiller toute seule.
Alors, malgré l’appréhension de mal faire qui m’avait tenaillée, je m’étais laissée aller à le sucer sans directive, livrée à moi-même, jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus et me supplie d’arrêter sous peine de perdre le contrôle.
— Attention, je vais jouir.
Cela avait ressemblé à un avertissement dont j’aurais dû être effrayée, mais son plaisir était mon objectif, alors je n’avais pas compris pourquoi il voulait me voir cesser. Pour clarifier mes intentions, j’avais libéré ma bouche en prenant son sexe dans ma main, et lui avait dit, droit dans les yeux :
— Viens dans ma bouche, mon amour, j’ai entièrement envie de toi.
Il n’en avait pas fallu plus pour qu’il n’explose entre mes lèvres avides dans une suite de râles rauques accompagnant les jets puissants qu’il émettait à intervalles réguliers.
À la fin de son éjaculation, j’avais dégluti l’intégralité de sa semence, étonnée qu’on en fasse tout un plat à propos du dégoût qu’éprouvaient certaines personnes à l’idée d’avaler. Adam avait semblé complètement chamboulé par l’expérience et quand j’étais remontée à sa hauteur, jusqu’à son visage dérouté, il me prit dans ses bras, la respiration courte. Le souffle erratique il s’en était ouvert à moi :
— C’était...
— Bon ?
— Bon ? La vache, Anna, c’était plus que ça, nom de Dieu.
— Je ne m’en suis pas trop mal sortie ?
— Tu déconnes... c’était... dément.
— Je me suis bien débrouillée ?
J’avais failli ajouter « comparée aux autres », mais s’il y a bien quelque chose que j’avais compris avec lui, c’est que ce genre de considérations était à oublier.
— Anna... c’était top... vraiment. Pour une première, c’était... pfffffiou...
J’avais lu auparavant quelques articles à ce sujet dans l’idée de me lancer. Même si l’expérience ne pouvait être remplacée par la théorie, cette dernière m’avait bien aidée à aborder sereinement le sujet.
— Crois-moi ou non, mais on ne m’a jamais fait ça, avait-il poursuivi, encore sous le coup de cette extase des sens.
Heu... oui, mais là, j’avais quand même eu du mal à croire que personne ne l’avait sucé avant... C’était très gentil à lui de vouloir m’encourager mais je ne voulais pas qu’il me mente.
— Adam... je sais bien que tu as connu d’autres filles... je préfère que tu ne me mentes pas, même si c’est pour me faire plaisir.
— Mais je ne te mens pas nom d’un chien ! On m’a sucé mais jamais comme ça et surtout, surtout, aucune n’est jamais allée jusqu’au bout. Alors, vraiment, crois-moi, je suis sincère quand je te dis ça.
Je n’avais pu nier qu’il avait l’air vraiment honnête et qu’il avait paru réellement décontenancé par cette expérience apparemment inédite. Cela m’avait flattée. Moi, la mineure inexpérimentée, qui arrivait à faire le poids face à ses anciennes conquêtes de passage, voilà un revirement de situation qui m’avait parfaitement convenue !
Ce fût le début de ma libération sexuelle entre ses bras. Au fil des mois, je me lançais dans d’autres challenges et finis par égaler en aisance mon maître d’apprentissage, comme j’aimais à le surnommer. Adam souriait toujours à cette appellation, bien conscient de l’importance qu’il avait eu dans mon épanouissement personnel. Il en concevait de la fierté, comme il ne cessait de me le rappeler. Il était fier d’avoir été le premier, et il était fier d’être désormais le seul dans ma vie. Il me répétait qu’il m’aimait dès que nous franchissions les portes de notre alcôve secrète, cette bulle de protection que nous nous étions créés.
Lorsqu’arriva enfin le jour de mon anniversaire, celui où j’allais fêter ma majorité, nous libérant tous deux du poids de cette épée de Damoclès qui restait encore au-dessus de notre tête, j’appréhendai un peu la réaction d’Adam. Allait-il enfin assumer notre histoire aux yeux de tous, de nos familles respectives et de nos amis de longue date ? Malgré ses déclarations et ses promesses, malgré sa sincérité évidente et la confiance que j’avais en lui, une part de moi n’avait jamais cessé de douter de la suite et un point d’interrogation prenait toujours place lorsque je pensais à notre futur. Cela faisait pourtant un an que l’on se fréquentait. Un an d’amour qui s’ajoutait à toutes ces années où je l’avais adulé en secret. Et bientôt, je saurai enfin à quoi m’en tenir, et quel destin l’avenir nous réserverait.
Je l’attendais à présent, pomponnée comme jamais pour cette grande occasion, prête à célébrer mes dix-huit ans comme il se devait. Il vint me chercher à mon domicile, comme convenu avec ma mère, une des rares personnes au courant de notre relation secrète. Elle était déjà partie pour s’adonner aux derniers préparatifs de cette soirée exceptionnelle en mon honneur, qu’elle avait à cœur de réussir. Ma mère avait compris depuis longtemps le lien étroit qui nous unissait, Adam et moi. On l’avait mise dans la confidence dès le début, confirmant ses doutes, ainsi qu’on l’avait fait avec Mathilde, ma meilleure amie et Xavier, celui d’Adam. En dehors de ces trois-là, nul n’avait connaissance de ce qui se passait entre nous.
Adam m’ouvrit la portière de sa Volvo grise et m’aida à m’installer, telle une princesse de contes de fée. Puis, il m’emmena à la salle des fêtes où nous attendaient mes invités. Nous restâmes quelques minutes assis à discuter, abrités des regards des badauds par les vitres teintées de l’habitacle. Nous ne pouvions nier être stressés, lui comme moi, et pourtant, nous savions qu’il fallait en passer par là et révéler notre idylle jusqu’ici préservée. Il était temps de vivre au grand jour et d’arrêter de se cacher, quitte à en entendre de belles sur notre compte.
Bien qu’un peu inquiets par l’accueil que nous allions recevoir, nous étions décidés à profiter de la vie à deux, exemptés de toutes contraintes. Seuls dans notre monde, comme durant cette dernière année, mais plus à l’extérieur du monde, comme nous l’avions si souvent été. Malgré la peur que cette mise à nu puisse abîmer notre magnifique relation, ce soir, nous allions revendiquer notre couple, notre amour, notre histoire. Nous étions prêts à franchir ce nouveau cap.
Après un moment, nous décidâmes de nous jeter à l’eau et de sortir du véhicule. Il me fit patienter et vint m’ouvrir la portière pour m’aider à descendre. Puis, il me prit la main, entrecroisant nos doigts fébriles et moites. Je sentais qu’il me serrait fort, comme un message silencieux qu’il voulait m’envoyer.
Nous nous présentâmes à l’entrée, et déjà la musique festive nous accueillit, avant même que les gens s’aperçoivent de notre arrivée. Puis, Adam m’invita à pénétrer dans la salle la première. Tous les regards se tournèrent vers nous, tantôt ébahis, tantôt amusés, tantôt sceptiques. Nous avançâmes à tâtons. Je le suivais les yeux fermés, comme depuis le début de notre histoire, voyant qu’il était heureux de s’afficher publiquement à mes côtés.
Maxime, son second meilleur ami, vint à notre rencontre.
— Ainsi, donc. Le frère et la sœur. Vous étiez faits pour vous unir vous deux. J’en connais deux là-haut qui doivent être en train de s’écharper.
Nous rîmes tous les trois, aussi émus qu’amusés.
— Nan, je déconne, reprit Maxime. Je suis sûr qu’ils sont heureux pour vous. Y’a pas à dire, vous allez très bien ensemble. Ça fait plaisir de voir que du bonheur a pu naître d’un tel malheur.
Adam serra ma main plus fort. Il se tourna vers moi et me prit par l’épaule pour déposer un tendre baiser sur ma tempe. L’assemblée, qui avait les yeux rivés sur nous, parut retenir son souffle. C’était officiel. Amoureux et heureux comme jamais, nous nous regardions avec intensité, le visage ébloui d’une lumière éclatante. Enchanté par les mots de son ami, Adam m’embrassa sans retenue. Je le sentis plus léger à mes côtés, ravi de pouvoir enfin se lâcher, ce qui me détendit à mon tour. Je remarquai des appareils photos crépiter, immortalisant notre apparition inattendue. La joie me subjugua. Je réalisai le chemin parcouru depuis mon coup de foudre inopiné le jour de l’enterrement de nos frangins jusqu’à cet instant magique où nous affirmions enfin notre amour haut et fort. Ce fût Adam qui s’en fit le porte-voix le premier, lorsqu’une voisine s’approcha pour nous féliciter. Alors qu’elle nous fit remarquer combien nous étions bien assortis, mon amoureux confirma ses dires :
— Anna est celle que j’attendais. Elle est la femme idéale pour moi et je suis le plus fier des hommes de pouvoir être à ses côtés. J’ai mis des années à comprendre que je l’aimais, mais son amour pour moi a été plus fort que tout et m’a permis de devenir celui que je voulais vraiment. Que Seb soit rassuré. Avec moi, sa sœur est en parfaite sécurité. Je veillerai toujours sur elle et serai toujours là pour la protéger.
Mon cœur tintinnabulait à l’intérieur de moi.
Adam avait été le premier.
Et j’aurais pu parier à cet instant précis qu’il serait également le dernier.
FIN
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