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Les sept étaient de nouveau à boire du thé dans le salon de François. Lady Drosera ne viendrait pas aujourd’hui car on était le deuxième samedi du mois. Tous avaient l’air maussade et songeur.
- Encore un peu de thé, monsieur Marcel ?
- Non, pas aujourd’hui. Répondit le bouffi.
« Marcel, ne pas reprendre du thé ? C’est n’importe quoi. Tout part en vrille.
- Un biscuit ? tenta Martin à l’adresse de Simone.
D’un coup d’œil, elle lui fit comprendre son avis. Il se rassit, dépité.
« Quelle ambiance. On se croirait à un enterrement. Non, à un enterrement, on est triste. Là, je sens une certaine inimitié. Sauraient-ils que François est encore mort après ces dix ans ? Pas question, en tout cas, de leur faire savoir. Songea Francis.
- Des nouvelles sur la clé ? questionna Marcel.
« Depuis quand on pose cette question ouvertement ? Il sait quelque chose, c’est certain !
- Mais, que voulez-vous que l’on vous réponde. répliqua aussitôt Madeleine.
- Qu’est-ce que cela sous-entends ? interrogea le bedonnant.
- Rien, rien… Soupira Madeleine.
« Cette baudruche me gonfle… pensa-t-elle.
- Ma pauvre Madeleine, vous m’avez l’air abattu, comme… commença Marcel.
« Comme ce pauvre François… Zut ! Ne pas dire ça !
- Comme ? demanda l’intéressée d’un air suspicieux.
- Comme… comme, heu, un client. S’empressa de finir Marcel.
- Je vous remercie de la comparaison. Cracha Madeleine.
« Ouf, j’ai réussi à me reprendre, mais c’était juste.
- Oui, donc, vous disiez quoi, sur cette… clé ? s’enquit Théophile.
« Il est bien curieux. N’essaierai-t-il pas de me tirer les vers du nez ? Songea le grassouillet.
- J’ai dit quelque chose ? dit-il d’un air distrait.
« Soit Marcel devient vraiment gaga, soit il cache quelques secrets.
- Oh, laissez tomber. Nous sommes tous fatigués souffla Hortense.
- Oui. Ce métier nous tue ! ajouta Francis
« Comme ce pauvre François… Oups ! A ne pas dire !
- Vous avez l’air bien nerveux d’un coup. Que se passe-t-il ? demanda Simone.
- Rien, rien. Je pensais juste à ma feuille d’impôts.
Rire hypocrite général.
- Ah, le fisc. Il nous poursuit jusque dans la tombe, soupira Martin.
« Oulla, attention ! Ne pas mentionner François.
- Heureusement qu’on avait François pour s’occuper de nos comptes. Dit Hortense.
« Zut ! « Avait », quelle nouille !
- Comment ça, « avait » ? Hortense, ma chère, que voulez-vous dire ?
- Rien, je suis juste fatiguée. Francis a raison, ce métier est épuisant.
- Vous devriez arrêter. Une faible jeune femme telle que vous n’est pas faite pour les assassinats. Vous feriez mieux de vous trouver un mari.
Marcel en avait trop dit.
« Faible femme ! Feriez mieux de trouver un mari ! Quel… quel…
Cette fois-ci, Hortense mit la main au revolver. En voyant le bras plonger dans le sac à main, Marcel fut pris d’une soudaine terreur, et son visage vira du rouge au blanc en passant par toutes les couleurs de l’alphabet quand l’arme pointa le bout de son canon.
- Je vais vous en donner, moi, de la faible femme ! Espèce de prétentieux bouffi !
Mouvement quasi-général vers Hortense.
- Stop ! Stop ! Tu es folle ? s’écria Théophile.
- Bouclez-là! Sinon, je vous descends aussi !
- Si vous voulez les refroidir, faites-le, mais au poison, enfin. Réprimanda Madeleine.
« Elle serait ravie de se débarrasser de nous. La garce !pensa Théophile.
- Hortense… Hortense… je vous prie… rangez donc ce revolver… excusez-moi, c’est… c’est sorti tout seul… je suis désolé… absolument désolé ! s’excusa Marcel.
Hortense considéra la masse de graisse tremblante de peur en face d’elle. On aurait dit de la Jelly de couleur pâle. Après quelques instants de réflexion, elle finit par ranger son arme dans son sac.
Gros, gros, gros soupir de Marcel ; simple soupir des autres ; moue de Madeleine.
- Je vous assure… mes plus plates excuses… ajouta le fautif.
« J’espère qu’elles sont plus plates que toi, tes excuses !
- L’incident est clos. Enterrons cette dispute, conclu Théophile.
« Comme ce pauvre François... Héla ! Qu’est-ce que je raconte ?
- Il doit y avoir une épidémie de fièvre, ici. Tout le monde se met à trembler et pâlir. Nous ne sommes pourtant pas en hiver. Fit remarquer Madeleine.
Regard interrogateur.
- Ce pauvre Théo vient de s’y mettre. Expliqua Madeleine.
« Théo ? Depuis quand Madeleine l’appelle Théo ? se demanda Martin
- Vous m’avez appelé comment, là, tout de suite, à l’instant ? interrogea Théophile.
- Théo. répondit Madeleine. Est-ce vraiment grave ?
« Il est tendu, le Theo. Je n’aime pas ça.
« Qu’ont-ils tous à me regarder en coin ?
« Sauraient-ils que j’en sais plus qu’eux ?
« L’ambiance est stressante.
« Mon Dieu, que va-t-il se passer ?
« J’espère que les invités de monsieur ne vont pas casser du service à thé.
« J’aimerai bien que ce crétin libidineux de Martin arrête de me fixer.
- J’aimerai qu’à l’avenir, vous ne m’appeliez plus comme ça. Trancha Théophile.
Silence général oppressant
- Francis, arrêtez de trembler ! Vous allez renverser du thé partout ! s’exclama Hortense.
- C’est juste que… heu, je suis nerveux ! affirma Francis. Voilà, c’est tout ! Nerveux !
« Ça c’est sûr. Il cache quelque chose, c’est évident ! se dit Hortense.
- Mais, ne soyez pas aussi anxieux ! Personne ici ne risque de se faire arrêter par la police ! claironna-t-elle d’un ton enjoué.
Regard suspicieux général
- Et personne ne se fera empoisonner ! ajouta Marcel.
- Pourtant, François est encore mort !
Regard général sur Simone
« Oh, ban sang… La méga-bourde ! Je viens de me trahir ! Quelle débile !
- Vous avez dit quoi ?
- Euh… j’ai dit… que… heu… rien, en fait, je me suis trompé !
- Que François était encore mort !
- C’était un lapsus, un lapsus !
« Oui, oui… Un lapsus. Elle en savait donc bien plus qu’elle ne le disait.
- Je me suis trompée ! C’est tout ! J’ai rien dit, rien !
« Oh, mon Dieu, sauvez moi !
- Je confirme. François est encore mort.
Regard général vers Martin.
- Vous sortez ça d’où ? D’un journal à cancans ? demanda Madeleine.
- Non, de la même source que vous tous. Répondit Martin.
Regard extrêmement appuyé sur tout le monde
- « Vous tous » ? interrogea Marcel.
- Oui, vous tous. Vu les têtes que vous faisiez, c’était facile à deviner. Ajouta Martin.
« Un véritable chevalier en fer blanc. Tout ça juste pour défendre cette gourde. Songea Marcel.
- Bon ! Etant donné que le pot aux roses est renversé, que fait-on ? demanda Hortense.
- On attend que François revienne. Décida Francis.
- Attendre ? s’écria Madeleine. On attend déjà depuis dix ans. Devra-t-on patienter encore longtemps ?
- Que voulez-vous faire d’autre ? demanda Théophile.
- Remplacer ce bon à rien ! lui lança Madeleine.
- Vous en trouveriez un comme lui ? s’inquiéta Marcel.
- Ça risque d’être difficile. Surenchérit Simone
- Et encore, c’est un euphémisme. Confirma Martin
- Evidemment, je propose une idée, donc vous me démolissez tous ! grogna Madeleine.
« Madeleine nous empoisonne la vie comme c’est pas permis !
- Je préfère attendre que me casser le dos à trouver un nouveau François. Cracha Théophile.
- Il n’est pas irremplaçable.
- Je vous imagine bien en train d’essayer de trouver quelqu’un comme lui. Se moqua Martin.
« Vu son caractère, ça serait comique. Songea-t-il.
Marcel tenta de se lever pour aller se resservir une tasse de thé, vu que l’atmosphère s’était légèrement détendue. Sans surprises, il échoua et s’échoua sur le fauteuil. Marie arriva en trottinant et lui servit une tasse de thé sans sucre. Marcel fit la grimace devant ce breuvage insipide.
Ricanement discret suivit d’un regard réprobateur de la bouée.
- Et cette clé ? interrogea-il.
- Vous vous attendez vraiment à ce qu’on vous révèle nos informations ? demanda Simone.
« Si tant est que vous en ayez, pauvre cruche ! Songea Marcel.
- Pas forcement, mais maintenant que nous sommes sûrs que François ne pourra pas nous aider, il faudrait peut-être… mettre nos efforts en commun. Suggéra-t-il.
- Nos efforts en commun, hein ? dit Hortense d’une manière suspicieuse.
Long moment de réflexion.
« Evidemment, ce serait pratique de laisser ces abrutis faire le boulot à ma place, mais ce serait risquer de les voir se carapater avec le butin. Il faudra être très prudente avec eux. Je n’aimerais pas rester sur mes gardes tout le temps. Et pourtant, c’est tentant…
« Quelle bonne idée d’évoquer une mise en commun des recherches. Ha ! Ha ! Marcel, mon vieux, tu es un génie ! Ces simplets seront d’une facilité à manipuler ! Pour une fois, ça va être du gâteau. Restons cependant sur nos gardes, on est jamais à l’abri des mauvais coups.
« Mettre les efforts en commun ? Non, sûrement pas ! Pour que les autres sachent tout ce que moi, j’ai cherché pendant des années ? Pas folle, la Simone ! Quoique… Si j’arrivai à les faire parler sans pour autant trop en dire, je pourrai gagner gros.
« Une mise en commun. Je mettrai ma main au feu qu’il veut nous utiliser. Comme toujours, obèse mais fin stratège. Il faut se méfier de tout le monde ici. Par contre, si je garde une longueur d’avance sur eux, je crois que j’arriverai à gagner le pognon.
« Il a une idée derrière la tête, le gros. Mais moi aussi, j’en ai une. Tu vas voir que Martin en a plus dans le citron que toi. Et Hortense et Simone. Elles ont beau faire leur mijaurée, elles sont prêtes à tous nous poignarder. Ô femmes, ô inconstance !
« Tu aimerais bien, toi, nous piquer notre magot, hein ? Et en nous utilisant, en plus ! Non, non, non. On n’attrape pas Francis comme ça, le dodu ! On va voir qui c’est qui finira avec l’argent. En tous cas, je peux te dire que ce ne sera sûrement pas toi, gros lard.
« Quand le gros tas planifie quelque chose, il vaut mieux se méfier. Dire ce que je sais… J’ai bien peur de ne rien savoir sur la clé… Justement ! Vu que je n’ai rien à perdre, je vais pouvoir leur pomper leurs informations. Hortense va être riche ! Enfin, après tant d’années !
- Tous : c’est d’accords !
- Je savais bien que vous me feriez confiance ! déclara Marcel, ravi.
« Oui, oui, bien sûr ! On te fait confiance… songèrent les autres.
« Bande de pantins ! Ils ont acceptés si facilement. Je le disais bien qu’ils sont stupides !
- C’est parfait, on va pouvoir commencer notre travail de groupe. Proposa-t-il.
- Et que doit-on faire, « monsieur le chef » ? demanda Madeleine.
« Evidement ! Madeleine râle. Vite ! Calmer le jeu avant que ça ne dérape…se dit Marcel.
- Oh, voyons… Je n’ai pas la prétention de me proclamer chef. Répondit-il.
« J’espère bien, lourdaud !
- Bon, au lieu de bavasser, on fait quoi ? s’énerva Hortense.
- On met ce qu’on sait en commun. Répondit Théophile.
« Voilà… ils vont me dire ce que je ne sais pas. Quels idiots ! Songea-t-il.
- Qui commence ? demanda Simone.
Gros silence.
- Si on tirait à la courte-paille ? suggéra Hortense.
« Vraiment une gamine !
- Et pourquoi pas aux dés ? rétorqua Théophile.
- Commencez pas, vous deux ! aboya Martin.
- Tais-toi, le Don Juan raté ! On t’appellera quand on aura besoin de toi ! grogna Madeleine.
« En gros : jamais, pauvre nul ! pensa-t-elle.
- Ah, ça va toi ! Toujours, toujours à pester et grogner contre tout le monde ! s’écria Francis.
- Tu peux répéter ? s’indigna Madeleine.
- Bien sûr, rien que pour te faire plaisir !
Tension en montée libre. Bruits de déglutition.
Soudain, on entendit le bruit d’une voiture dans l’allée. Les sept se tournèrent vers la fenêtre. Une vieille berline noire venait de passer devant eux. Ils ne purent rien distinguer à l’intérieur du véhicule à cause de ses vitres teintées. La voiture se gara ensuite hors de leur champ de vision. Suivirent des bruits de portières que l’on claque, des pas sur le gravier, et enfin le son de pieds qui grimpent les marches du perron. Quelqu’un appuya sur la poignée de la porte d’entrée, pénétra dans la maison et s’avança dans le hall. Les sept avaient le regard rivé et soudé dans la direction du nouvel arrivant. Ils attendaient, immobiles comme des œufs de Pâques dans un jardin.
Enfin, l’inconnu entra dans le salon. Il était assez jeune et portait un costume élégant. Il tenait sous son bras quelques dossiers et semblait déconcerté par les sept qui le fixaient. Il avait l’air un peu mal à l’aise devant ce silence. Finalement, il entama la conversation.
- Excusez-moi. Je suis si en retard que ça ?
Gros silence.
Madeleine fut la première à réagir.
- Oui, mon cher. Et de dix ans !
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