Fureur
Marie et Damien avaient invités une dernière fois les sept à prendre le thé samedi prochain. Ils n’étaient pas encore au courant des tentatives de meurtres perpétrées à l’encontre de leur ex-patron. Ainsi, le samedi suivant, ils iraient manger ensemble la boite de biscuit léguée par le défunt. Quant aux sachets de thé, les légataires les avaient jetés dans la poubelle la plus proche, dégoutés.
François aurait été ravi par les mines furieuses, résultats de sa vengeance. Cette fois-ci, les sept rentrèrent directement chez eux sans passer l’un chez l’autre. Ils avaient eu leur lot d’écœurement pour les mois à venir.
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Une fois rentré chez lui, Martin fit éclater sa fureur en tirant au revolver sur les vases. Objectivement, ce n’était pas grave, les vases n’avaient aucune valeur, pas même sentimentale. Cependant, les murs furent éclaboussés par les jets d’eau et les fleurs de nombreux bouquets firent une rencontre arrosée avec les tapis. Tandis que Charles restait en retrait, Martin enrageait sans que son défoulement ne serve à rien. Il était trahi, il fallait qu’il se venge sur quelqu’un plutôt que sur quelque chose. Il fallait qu’il tue.
Il allait tuer ses collègues. Il allait les empoisonner à l’aide de la boite de biscuits. Tant pis pour le contrat, François est mort de toute façon. Il allait prendre l’antidote avant le thé, puis ses collègues expireraient grâce à quelques goutes de « ceci ». Le flacon qu’il tenait désormais dans la main contenait un de ses pires poisons, si ce n’était le pire.
Samedi, il n’y aurait plus de disputes, de haine, de guéguerre, plus de trous dans les haies ! Ensuite, il se remettrait à chercher la clé.
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Hortense tentait vainement de déchirer à pleines dent un coussin bien trop épais pour céder. Elle émit un rugissement rageur et lança le coussin vers la vitre comme si le projectile allait la briser. Toujours assise, elle trépigna sur le canapé, frappant l’air devant elle de ses poings sertis de bagues. Elle commença ensuite à s’arracher ses cheveux bouclés, mais cessa rapidement à cause des douleurs engendrées. Rien de ce qu’elle faisait ne la soulageait de la fureur meurtrière qui l’habitait. Elle donna un coup de pied dans la table basse et poussa un cri de souffrance. Mélanie étouffa un rire dans la cuisine où elle s’était réfugiée.
Elle en avait maintenant assez. Assez de cette quête qui ne menait nulle part ! Assez de ces collègues horripilants ! Assez de ce mort qui ne mettait aucune bonne volonté soit à mourir, soit à léguer ce qu’il faut ! Elle devait éliminer ces mouches qui la gênaient. Ses collègues ! Elle allait les trucider, les écrabouiller, les atomiser ! Un peu de poison dans les biscuits légués et tout sera bon. Il lui suffira de prendre le contrepoison, et puis voilà. Après, elle serait tranquille pour trouver la clé.
Suite à ces réflexions, elle se mit à bouder.
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Francis renversait les meubles de son salon. Les fauteuils, les tables, les étagères. Dans tout ce fracas, Gaspard se tenait à part en levant les yeux au plafond, au deuxième étage. Quand le propriétaire des lieux se mit à lancer ses livres un peu partout, le domestique poussa un soupir tout en hochant la tête de droite à gauche.
Pourtant, malgré ces efforts, une fureur homicide grondait dans le fort-intérieur de Francis. Il voulait tuer des gens, ses collègues en priorité. Il échafauda un plan immédiatement, se voyant verser du poison sur les biscuits, puis en manger devant les autres après avoir pris l’antidote. Une fois que ce serait fait, il n’aurait plus qu’à trouver comment ouvrir ce damné coffre.
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Dès le moment où elle fut rentrée chez elle, Simone lança avec fureur ses talons aiguilles sur le tableau le plus proche, le déchirant. Elle avait un désir irrépressible de gifler François. Elle fit faire à son idée une légère déviation pour en arriver à vouloir intoxiquer ses collaborateurs. Du poison dans les biscuits, de l’antidote dans son thé, et puis paf ! Six ennuis en moins d’un seul coup. Elle s’occuperait du poison elle-même, et ses collègues décédés, elle aurait le champ libre pour atteindre le pognon du coffre.
Elle s’attela donc immédiatement à l’échafaudage d’un plan précis.
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Théophile claquait les portes qu’il passait avec une telle violence qu’une d’entre elle sortit de ses gonds. Elle s’empressa alors d’embrasser les pieds de celui qui venait de la libérer. Théophile se mit à sautiller en se tenant ses doigts de pied endoloris. Le coup qu’il asséna à la porte ne fit qu’empirer sa souffrance. Il décida en conséquence de passer ses nerfs sur autre chose. Il commença dès lors à faire valser en l’air des chaises qui cassaient parfois une lampe ou faisaient tomber un lustre, voire rayaient le plafond. Un éclat de verre venu d’une ampoule basse consommation lui entailla la main en tombant. Il arrêta aussitôt de s’attaquer aux choses d’en haut.
Sa fureur cibla alors ses collègues et les biscuits. Il décida de les empoisonner et de prendre le contrepoison seul. Plus de collègues mais plus d’opportunités pour trouver la clé. Voilà une bonne idée.
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Madeleine semblait très calme assise dans un fauteuil rouge. Ses pensées étaient, par contre, empreintes d’une fureur inimaginable. Elle rongeait silencieusement l’ongle de son auriculaire gauche en ruminant des plans d’assassinats des six autres. Plus elle allait dans les détails, plus sa bonne humeur perçait au travers de son visage acariâtre. Elle exulta en s’imaginant samedi prochain, marchant sur les abrutis et les dévergondées qui travaillaient avec elle. Un soupçon de poison, un peu d’antidote et plus de désagréments. Elle planifia d’enterrer rapidement les morts, comme ça, personne n’en saurait rien. Ensuite, la clé serait à elle.
Parfait ! se dit-elle en se frottant les mains.
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Marcel aurait bien piqué une colère, mais son hypertension et son embonpoint l’en empêchaient. Il gesticulait furieusement dans le fauteuil où il était coincé et ses bras boudinés frappaient rageusement les accoudoirs. Il se sentait humilié par ce cornichon filiforme qui se faisait désormais ronger par les vers. Même en mourant, il les avait doublés, et ça, c’était impardonnable. Pour se venger, il ne pouvait décemment pas profaner sa tombe. Il fallait donc canaliser sa fureur vers d’autres gens. Ses collègues étaient des victimes toutes désignées : ils devaient donc mourir au plus vite. L’esprit tortueux de Marcel mit donc au point un stratagème pour mettre à la poubelle son existence perturbée par six vilains gêneurs. Son cœur pourrait enfin se calmer et la clé venir à lui. Un léger ajout dans les biscuits lui garantirait la tranquillité. Le contrepoison lui permettrait de profiter malgré tout des pâtisseries.
Il s’étala alors dans son fauteuil : les nombreux médicaments pour sa tension artérielle se mettaient à faire effet.
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