Le final

3 minutes de lecture

 Sept paires d’yeux étaient vissées sur une boite à biscuits encore fermée. Marie sanglotait légèrement tout en essayant de rester digne. Damien se tenait droit dans son fauteuil et attendait que le thé soit complètement infusé. Lady Droséra était venue à ce thé funèbre en mémoire de son meilleur client, mais paraissait d’excellente humeur. Sans doute car les sept autres personnes présentes souriaient comme si leurs vies en dépendaient, ce qui en soit était quelque peu inconvenant au vue de la cérémonie en cours. Leurs mines étaient réjouies, pareilles à celles d’un bébé à qui on viendrait de faire un bisou-ventouse sur le ventre. Francis était même animé de petits spasmes tant il était excité.

- Ah ! Pauvre François. Nous le regretterons tous, entama Marcel, toujours porté sur les discours.

« Rien n’est plus vrai. Je rêverai de rouer de coups pour ses perfidies !

- Il était si jeune… si vivant… se lamenta Marie. Toujours agréable et enjoué… Il ne méritait pas de mourir s’écria-t-elle dans un hoquet.

« Rien n’est moins sûr, ma chère.

- Le thé doit être à point, maintenant, fit remarquer Damien que les sanglots n’ébranlaient qu’in petto. Il adorait le thé…

- Il en aurait bu jusqu’à son dernier souffle ajouta Marie.

Gros silence.

- Allons, allons, mon infortunée Marie, s’exclama Lady Droséra. Ne pleurez plus et regardez plutôt vers l’avenir. Notre regretté François n’aurait pas voulu que l’on s’apitoie sur son sort. Il aurait sans aucuns doutes voulu que nous concentrions sur notre futur. Il faisait preuve d’une abnégation hors du commun : toujours là pour aider ceux dans le besoin. Il m’a même récemment proposé de garder mon adorable arrière-petit-fils alors que je devais joindre un fournisseur et que mon beau-frère était malade. Un homme charmant.

 Lady Droséra termina son discours par un regard ému vers le plafond. Fort heureusement, elle ne remarqua pas que Martin gloussait le plus silencieusement possible en cœur avec Hortense. Marcel leurs adressa un regard réprobateur dans son envie de se faire bien voir.

 Pendant ce temps, Damien avait rempli les tasses du thé qui s’était impatienté dans la théière rouge vif. Il les tendit à chacun, s’assit, et ensemble, ils burent une gorgée.

- Mais… c’est du thé blanc ?

- Mademoiselle Simone, vous avez l’œil… ou plutôt la langue.

- C’est bien la première fois que j’en bois.

- C’était la dernière chose que monsieur François avait notée dans son carnet. Acheter du thé blanc. Il l’avait marqué juste avant de… de…

 Marie repartit en pleurs étouffés. Tout le monde affichait des visages plein de compassion, mais derrière les masques, les véritables intentions se révélaient toutes autres. Plusieurs mirettes fixaient intensément la boite à nouveau. Lady Droséra fit une remarque tout à fait artificielle.

- Tiens ? Seraient-ce mes biscuits ?

- Oui… les préférés de monsieur Franç…

 Encore une fois, Marie fondit en larmes. Elle se leva en s’excusant et se réfugia dans la cuisine. Damien la suivit pour l’apaiser. Il n’y avait plus à présent que huit personnes dans le salon, les tasses au creux des mains. La tension montait.

- Servez-vous. Je crois que c’est ce qu’il y a de mieux. N’oubliez pas d’en laisser pour nos deux amis éplorés.

- Mais, vous n’en prenez donc pas ?

- Je ne vais pas manger ce que j’ai vendu, tout de même.

- Pourquoi ? Ils sont empoisonnés ?

Regards excessivement suspicieux vers tout le monde.

- Pas du tout ! Ma morale voudrait que je vous rembourse chaque biscuit que je mangerais, tout simplement.

- Vraiment ? Même pas pour un seul ?

- Arrière, vil tentateur ! Vous voulez me faire grossir ?

- Dans ce cas, il vaut mieux ne pas en donner à Marcel.

Regard furibond vers Madeleine.

- Je vous signale que j’en voudrais bien un, moi aussi.

- Prenez en tous ! conclu Lady Droséra en quittant la pièce. Je vais voir si je peux aider ce malheureux Damien.

Silence et stagnation générale.

- Bon, passez-moi la boite !

 Martin prit un biscuit, fit passer le coffret à Simone qui en saisit un puis transmit la boite à son voisin. Une fois que tout le monde eut un biscuit dans la main, Marcel décida de rendre son futur triomphe officiel. Il s’apprêtait à humilier ses collègues avant la mort.

- A l’avenir ! s’écria-t-il en levant sa tasse.

Tous : « Voilà une bonne occasion pour marquer l’évènement !

- A l’avenir ! répondirent les autres.

 Ils burent ensemble une nouvelle gorgée de thé, puis croquèrent dans leurs biscuits. Une expression d’exaltation ineffable traversa les visages pendant qu’ils mâchaient. Puis, la joie disparut pour laisser place à une couleur étrange proche de rien du tout. Les yeux exorbités, les sept raidirent l’intégrité de leurs muscles avant de s’abîmer dans leurs sièges.

Chute de quelques tasses.

Plus un bruit.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Cactusland ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0