Le roi des rois dansait en haut de la plus haute colline. Bientôt, il ne pourrait même plus se considérer comme le roi des rois, mais uniquement comme « le Roi », car il deviendrait l’unique maître du monde. En effet, il ne restait plus qu’un autre souverain sur cette terre. Le seul qu’il n’avait pas encore abattu.

 Le dernier roi croupissait au fond de son château. Bien entendu, il connaissait le sort des autres dirigeants du monde entier, et ne comptait pas subir le même. Derrière les kilomètres de pierre qu’il avait fait construire, il attendait sa fin, puisque rien ne pourrait arrêter l’empereur fou. Le pitoyable serpent géant, planqué dans les douves les plus profondes, observa son triste reflet dans une flaque d’eau croupie. Sa surface miroitait fébrilement la couronne qu’il portait sur la tête, source de son pouvoir. C’était la seule chose qui comptait.

 Le dictateur suprême aspira l’énergie vitale de tous les peuples qu’il avait conquis. Sa force atteignit des sommets inimaginables. Telle une fusée, il se propusla à l’assaut de la forteresse du roi crotale. Il trépignait d’impatience, sachant fort bien qu’en récupérant la centième couronne, il s’élèverait au rang de dieux. L’oiseau gigantesque fendit la roche de son bec. Les attaques des soldats serpents n’avaient aucun effet sur lui.

 Le crotale sentit la terre vibrer autour de lui. L’heure était venue. Il comptait bien se battre jusqu’au bout, tenter par tous les moyens d’inoculer son puissant venin dans le cou du héron maléfique. Il fit crisser sa langue, prêt à tout donner. Le plafond s’écroula sur son corps impuissant.

 Le héron légendaire dégagea les débris et aperçut enfin l’objet de sa convoitise. Il le récupéra et s’éleva vers les cieux. Il contempla le ciel orangé du crépuscule et plaça la dernière couronne tout en haut de la pile pélasgique qui tenait en équilibre sur son crâne.

 Pendant des heures, des jours, des années peut-être, il virevolta au-dessus de ses territoires, heureux. Puis, son exaltation diminua peu à peu, jusqu’à disparaître complètement. C’est lors d’une nuit étoilée qu’il cessa de voler et se posa dans un ruisseau désolé. Gouverner un monde vide n’avait pas grand intérêt. Voilà que le Roi se trouvait démuni de tout objectif, et par conséquent, de toute envie. À quoi bon ?

 Il leva le regard vers les points lumineux qui clignotaient, bien au-delà de sa pile de couronnes. Il lui restait en fait tout un univers à explorer. À conquérir, plutôt.

 Il s’envola au-dessus des nuages, au-dessus de la stratosphère, et observa avec tendresse sa planète. D’un battement d’ailes, il la détruisit en une explosion multicolore, signe d’un nouveau départ. Son tas de couronnes se transmuta en un immense et magnifique diadème.

 Le volatile surpuissant repéra un astre, contrôlé par un centipède titanesque et bioluminescent. Ce n’était qu’une partie de son territoire, le mille-pattes possédait en réalité une dizaine de galaxies.

 Un sourire fou se dessina dans le bec du héron. Il engagea un combat qui marquerait le commencement de sa nouvelle quête : devenir le dieu des dieux.