Coucou ! C'est parti pour le chapitre de la semaine ! Je rajoute un petit TW : Cadavres, au cas où :) Bonne lecture !

LE CHANT DE L'OISEAU SOLITAIRE

Chapitre 6 : La forêt aux pendus

Le moins que l’on puisse dire, c’était que Beau-Tison ne paraissait pas content. Son regard brillait d’une haine incandescente qu’aucun torchon, aussi mouillé soit-il, ne pourrait éteindre. Si Armand soutint volontiers son regard, provocateur, je faisais beaucoup moins le fier, à demi-caché derrière lui. La voix forte du nain ne tarda pas à retentir dans la fosse.

“Tiens, tiens. Tu as bien mal choisi tes fréquentations, gamin. T’avais du potentiel, c’est dommage.

— Oui, gamin, reprit Armand, un sourire narquois aux lèvres. Franchement ! Des amis fidèles qui t’ont accueilli à bras ouverts plutôt qu’un vieux nain imbu de lui-même qui t’as chassé à la première bêtise. Quel modèle de fréquentation il a été, pas vrai ?”

J’hochai timidement la tête dans sa direction pour lui signifier que je tenais avec lui, mais que ma froussardise naturelle refusait de laisser un mot passer la barrière de mes lèvres. Je n’osais pas croiser le regard du nain qui bouillonnait intérieurement. Son visage avait pris une teinte cramoisie et il serrait tellement les poings que les jointures de ses doigts blanchissaient à vue d’oeil. Instinctivement, j’affirmai la prise autour des vêtements de mon complice, mal à l’aise.

“Et tu fanfaronnes, en plus, vaurien ? Ne t’inquiète pas, cette situation désobligeante ne durera plus longtemps. Dans quinze petites minutes, vous serez tous les deux pendus dans la forêt. Et je m’assurerais personnellement que les loups et les ours viennent vous manger les intestins.”

Il s’en alla sans plus de cérémonie. Abasourdi par la nouvelle, je restai interdit, les yeux perdu dans le vide. Mon coeur se mit à battre la chamade alors que la panique me gagnait peu à peu. J’avais déjà pensé au fait que je risquais de confronter la justice avec mes agissements, mais le temps passé en compagnie des voleurs m’avait laissé croire que j’étais intouchable. Le choc fut terrible. Les larmes montèrent en quelques secondes et j’explosai en longs sanglots dans les bras de celui qui, au final, m’avait conduit à cette situation. Armand me tapota l’épaule, silencieux. Il ne savait pas quoi faire d’autre pour me consoler.

“Eh, gamin, regarde.”

Il sortit un petit gobelet de sa poche, le même qui avait servi plus tôt pour faire exploser la forge du nain. Je relevai les yeux vers lui, plein d’espoir. Malheureusement, je le prenais à cet instant pour le chevalier errant qu’il n’était pas. Devant mon optimisme grandissant, Armand calma mes ardeurs.

“Il n’y aura pas de rayon de feu comme dans la forge. Toutes seules, les runes peuvent créer un écran de fumée à peine épais pour disparaître. Quand ils nous emmèneront, je le claquerais. Tu partiras en courant vers le coeur de la forêt. Glisse-toi dans un terrier, une grotte, ce que tu veux, et reste dedans pendant deux ou trois jours, le temps que la situation se calme.

— D’accord… Mais… Et toi ?”

Il haussa les épaules et chercha à me réconforter d’un sourire, mais je m’aperçus bien vite que le coeur n’y était pas. Il se résignait à mourir, ce que je ne compris pas à ce moment, trop obnubilé par l’idée que la faucheuse ne me prendrait pas immédiatement. Il plaça le gobelet dans mes mains et m’encouragea à le cacher dans le foulard qui me servait de caleçon, après la perte malencontreuse de mon slip et de mon pantalon pendant le transport. Je réussis à caser l’objet contre ma peau, dans un équilibre fragile.

Armand me donna ses dernières recommandations : comment s’orienter avec la lumière du soleil et des étoiles, vers où me diriger, où trouver de la nourriture et des vêtements facilement… Je tâchais de retenir ces précieux conseils du mieux que je le pouvais. Si, par chance, je parvenais à m’enfuir, je serais livré de nouveau à moi-même. La survie s’avérerait encore plus compliquée avec les sanctions que je risquais en restant dans le secteur. Je m’y préparais mentalement, de plus en plus nerveux au fil des minutes s’égrénant.

Les bourreaux ne tardèrent pas à venir nous tirer de la geôle. Ils me forcèrent à revêtir un pantalon abîmé, afin de ne pas exposer mon plus simple appareil aux spectateurs. Je manquais de perdre le petit pot, mais une manoeuvre intelligente d’Armand, qui me bondit soudainement dessus pour m’étreindre, permit son sauvetage in extremis.

Nous fûmes conduits au coeur de la forêt, là où personne n’osait jamais vraiment s’aventurer. Les ronces, nombreuses, égratignaient mes chevilles et compliquaient la traversée. Les arbres devenaient plus denses, tout comme le nombre de cadavres accrochés à leurs branches : récents comme moins récents, ils se balançaient au fil du vent sur les morceaux de bois, légèrement courbés par leur poids. Je frissonai d’effroi. La vue de tant de morts me décontenança, mais je tins bon, retenant tant bien que mal cette envie de me faire dessus qui me nouait les entrailles.

Une troupe d’hommes entourait notre destination finale : un pommier en piteux état, aux fruits rongés par la maladie et les vers. Deux cadavres se balançaient déjà sous la brise fraîche, dans un état de décomposition avancée. Ils dégageaient une odeur abominable, du genre que je n’avais encore jamais expérimenté. Je tirai une grimace de dégoût.

Beau-Tison se trouvait au premier rang, un sourire mauvais aux lèvres. Armand le gratifia d’un bras d’honneur qui ne manqua pas de provoquer l’indignation parmi la foule bourgeoise rassemblée. Pour ma part, je n’en menai pas large. Je suivais le mouvement, évitant soigneusement les regards accusateurs et les murmures. Deux tabourets avaient été dressés sous une grosse branche. Nous grimpèrent dessus, silencieusement.

Le stress monta d’un cran quand une épaisse corde fut placée autour de mon cou. Mes mains se mirent à trembler et je ne cessai de lancer des regards vers Armand. Le voleur restait humble et calme, les traits neutres.

“Un dernier mot avant votre exécution, vauriens ? demanda le nain, sur un ton moqueur qui me déplut fortement.

— En vérité, oui, répondit Armand avec insolence. J’aimerais dire que vous êtes tous des fils et filles de trolls des cavernes, malodorants et mal-habillés. Merci d’avoir facilité le pillage de vos biens par une incompétence aussi exceptionnelle qu’admirable. Mes complices et moi-même avons pris grand plaisir à revendre vos bijoux au marché noir, votre nourriture aux mendiants et votre âme au grand démon. Vous êtes tous et toutes maudits et périraient dans d’atroces souffrances. Etouffez-vous avec votre pain de riche, noyez-vous dans vos baignoires remplies de pétales de roses et ne dormez que d’un seul oeil. Mes compagnons me vengeront, d’une manière ou d’une autre. Les enfants, ça se vend très bien comme esclaves.”

Choqué par son monologue, je ne compris pas tout de suite pourquoi il me lançait des regards insistants.

“Les mages aiment la magie, certes, mais aussi les enfants. Surtout quand ils ressemblent à de petits gobelets.”

Les murmures d’incompréhension s’élevèrent dans l’assemblée. J’écarquillai les yeux et portait une main à ma ceinture, réalisant soudain que sa réplique m’était adressée. Je lançai le gobelet au sol avec toute la force dont j’étais capable, sous les regards médusés du peuple. Armand prononça une formule étrange et l’espace se recouvrit d’une fumée épaisse, opaque et noire comme le charbon.

“Cours, gamin !”

Il me poussa au sol. Je ne me fis pas prier et détalai vers les profondeurs de la forêt. Je peinais à avancer, aveuglé par le gaz qui me brûlait les yeux. Derrière moi, j’entendis Beau-Tison et les gardes hurler de nous tuer. Ses paroles furent suivies quelques secondes plus tard d’un cri rauque, de douleur et de mort, qui figea un instant ma course.

Je me retournai, effrayé. Dans les ombres, un corps retombait lourdement au sol. Beau-Tison arracha son arme de sa poitrine et je compris. Je savais qu’Armand venait de mourir. Mes mains se mirent à trembler, à l’idée de subir le même sort que lui. J’essuyais rapidement mes larmes et reprit la course, aussi loin que mes jambes purent me porter.

Je ne tardais pas à trouver un terrier de renard, assez grand pour que je puisse m’y faufiler. L’animal qui y vivait, effrayé, lâcha vivement un lapin tout juste capturé et détala. Je repliai mes jambes contre moi et attendit, tétanisé par la peur. Au loin, des torches se promenaient. Des voix hurlaient rageusement après moi, ce qui m’encouragea à rester terré. Je fermai les yeux et bouchai mes oreilles, pour ne plus les entendre.

Ils venaient de prendre mon premier modèle paternel, celui qui m’avait tout appris. Je refusais de les entendre parler. Qu’ils meurent tous, pensai-je rageusement, dans les flammes.

Et à l’orée du bois, un incendie se déclara.