Chapitre 13 : Braises

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Hey :D On conclue aujourd'hui l'arc Méaaras pour partir vers de nouveaux horizons... meilleurs ? C'est ce qu'on verra :3 C'est parti pour le chapitre 13 de notre petit oiseau :3


LE CHANT DE L'OISEAU SOLITAIRE

Chapitre 13 : Braises


J’étais en train de faire ce qu’on appelle communément une “grosse bêtise”. Alors que je ne parvenais pas à fermer l’oeil, terrifié à l’idée que le père de Lorette ne mette fin à ma pitoyable existence pendant mon sommeil, la jeune elfe s’était approchée vicieusement de mon lit. J’aurais dû flairer l’arnaque en la voyant déjà prête à partir, son sac sur le dos.


“Je pars, me chuchota t-elle. Tu peux venir avec moi, si tu le veux.”


Ce “si tu le veux” sonna à mes oreilles comme un “si tu ne le fais pas, ce que mon père va te faire ne sera rien face à ma colère”. Peureux comme je l’étais, je ne réfléchis pas une seconde de plus, saisis mon sac et la suivit à l’extérieur. La boule au ventre, je regrettai mon choix à l’instant où nous nous enfonçâmes dans la forêt. La lune, haute dans le ciel, donnait à l’atmosphère quelque chose de pesant. Les grands arbres nous jugeaient silencieusement, les lianes dans lesquelles mes chevilles se prenaient me chuchotaient de faire demi-tour. Et malgré tout, je la suivais. Après tout, quel genre de personne aurais-je été si je l’avais laissée partir seule dans la nature ? Je n’étais pas certain d’être un grand secours si une bestiole nous chargeait, mais je pourrais au moins me défendre au purgatoire en clamant haut et fort que j’avais tenté de protéger mon fantasme de petite-amie.

Pour dire vrai, je lui faisais aveuglément confiance. Je ne voyais pas à deux mètres devant moi et le moindre bruit me faisait sursauter. Je tentai plusieurs fois de la convaincre de rebrousser chemin mais elle n’en fit qu’à sa tête : elle voulait s’éloigner de son père et personne ne l’en empêcherait. En quelques minutes, les lumières du camp derrière nous disparurent au profit d’une obscurité étouffante. Nous étions seuls désormais.

Nous marchâmes deux bonnes heures à un rythme soutenu dans la jungle. Mes chaussures, déjà abîmées par mes récentes mésaventures, se désagrégeaient peu à peu dans la boue collante. Le froid et l’humidité qui s’y infiltrèrent ne furent pas plus agréable. Finalement, après dix minutes de plus, je terminai brutalement de les bousiller en me prenant les pieds dans une racine. Je m’étalai de tout mon long dans la boue, sous le rire moqueur de Lorette.


“J’oublie parfois que vous autres, humains, ne possédaient pas la nyctalopie. Je ne sais pas comment vous faites pour survivre en ne voyant rien dans le noir.”


Je restai un long moment à la dévisager. Ses pupilles, comme celles des chats, s’étaient rétractées en un trait fin. Cela lui donnait quelque chose d’effrayant. J’attrapai la main qu’elle me tendait et me relever d’un bond agile. Je lançai un regard autour de moi. Tous les arbres se ressemblaient. J’avais la drôle d’impression de ne jamais pouvoir m’échapper de ce labyrinthe vert dangereux vers lequel je finissais toujours par revenir, d’une manière ou d’une autre. Comme les sirènes dont ma nourrice me chantait les louanges, le poumon de la région cherchait sans cesse à m’attirer vers son coeur.


“Où allons-nous ? finis-je par demander d’une petite voix.

— J’ai toujours rêvé de voir les grandes villes de l’est, pas toi ? dit-elle en riant. Il paraît qu’il y a une ville avec des bâtiments aussi grands que des montagnes ! Nous sommes libres, désormais.

— Mais ton père, il va s’inquiéter…

— Comme il dit toujours, “il y a un jour où le petit oiseau doit quitter son nid”. J’ai décidé qu’il était temps. Je n’ai plus rien à attendre de Lothariel. J’ai déjà trente printemps, je ne suis plus une enfant.”


Cette révélation me fit un choc. Ainsi, elle avait dix ans de plus que moi. Elle ne les faisait pas. Son visage encore enfantin n’était en rien comparable aux paysans qui travaillaient dans les champs. Lorsqu’ils atteignaient les trente ans, ils paraissaient déjà en avoir cinquante. Ils vivaient difficilement dix années supplémentaires, par ailleurs. Mis à part sa nourrice et quelques vieux nobliaux, il ne se rappelait pas avoir vu d’autres personnes âgées dans son village d’adoption. Cette situation n’a pas plus évolué aujourd’hui par ailleurs. Avant, on mourrait de trop travailler ou d’un prédateur quelconque. Aujourd’hui, on meurt de la faim ou de la guerre à tout juste vingt ans. Certains cherchent à prétendre que le monde était mieux auparavant, mais c’est faux. Les lois ont codifié la mort. Avant, vous pouviez rester à pourrir sur un bout de trottoir, personne ne s’en préoccupait. Un des rares avantages de la création de la religion, mais nous y reviendrons.


“Tu te demandes sûrement pourquoi je m’en vais, pas vrai ? me lança t-elle en reprenant la route. C’est à cause de mon père. Les filles de mon âge doivent songer à trouver une carrière dans lesquelles elles seront formées pendant dix ans. Ma soeur aînée l’a déjà trouvée. Moi… Moi, rien ne m’attire. Mon père cherche à m’intéresser à différents domaines, comme la chasse en ce moment, mais rien ne me convient. En tout cas, aucune des carrières proposées aux femmes. J’aimerais devenir messagère, mais ma classe sociale est trop élevée pour pouvoir y entrer. Pour les femmes tout court. Mon père est persuadé que je vais le déshonorer si je me rabaisse à ces “sottises”. Ces derniers jours, il devient de plus en plus dur avec moi. Hier, il m’a menacée de choisir pour moi. Il est aussi persuadé que tu cherches à me faire de l’oeil et à m’attirer dans ta vie de vagabond. Mais… La vérité, c’est que j’aime ça. Vagabonder. Parcourir le monde.”


Je ne sus quoi lui répondre. Je n’avais encore jamais envisagé mon mode de vie comme avantageux. A vrai dire, je n’avais encore jamais pensé que quelqu’un pouvait envier cette vie que je cherchais tant bien que mal à stabiliser à cet instant.


“J’en ai marre de voir les gens choisir la vie que je dois mener. J’en ai marre de… de regarder mes amis réussir dans la vie et me regarder avec pitié parce que je ne suis bonne à rien. Parce que je ne fais rien comme eux. La vérité, c’est que dès que tu deviens trop différente aux yeux du monde, le monde te tourne le dos. Ceux que tu croyais de confiance montrent leurs vrais visages, et quand tu as besoin d’eux, ils s’évaporent entre tes doigts. Si je ne peux pas avoir confiance en eux, si l’amitié n’est basée que sur la réussite sociale, quelle raison aurais-je de rester là-bas ?”


Je pris le temps de peser ses mots, avant de redresser la tête vers elle.


“La vie de vagabond n’est pas simple. Elle n’est pas belle. Je côtoie la mort tous les jours, je crève de faim tous les autres. Je donnerais n’importe quoi pour retrouver un foyer, un endroit où m’installer pour de bon, sans avoir à risquer de me faire dévorer par un monstre. Je ne peux pas t’empêcher de t’en aller. Je ne veux pas non plus te décourager de partir avec moi. Mais je ne pourrais pas te protéger. On va crever de faim. On va se faire chasser comme des chiens galeux de toutes les villes où on passera. C’est pas une vie. C’est un cauchemar dans lequel il est impossible de vraiment trouver sa place. Quand tu crois pouvoir trouver ta place, les événements viennent te rappeler que tu n’es rien qu’un grain de poussière dans ce monde.

— C’est mon choix, répondit-elle avec assurance.”


Son regard déterminé me fit froid dans le dos. Elle ne savait définitivement pas dans quoi elle se lançait. Elle me rappelait terriblement mes débuts, lorsque j’avais quitté mon village plein de naïveté et de volonté de changer les choses. Rien ne s’était passé comme prévu depuis : une vie de bandits, puis une vie d’ermite, une confrontation à la mort à chaque étape de mon voyage… Je ne vivais pas. Je survivais à ce monde, comme un animal. Peut-être, au fond, en étais-je un ?

Pourtant, je ne pus me résoudre à l’abandonner à son sort. A simplement y penser, mon coeur se déchirait douloureusement dans ma poitrine. Je m’étais attaché à elle et je sus de suite que je ne pourrais pas la trahir en m’échappant pendant son sommeil. J’étais prêt à suivre cette femme, peu importe si notre avenir n’était que brume et problèmes à venir.


“J’ai une carte, lui dis-je en bégayant. Isendorn n’est pas la porte à côté, il y a environ deux mois de marche. On pourrait passer par Mornepierre pour acheter des ressources. Je n’ai pas beaucoup d’argent, mais on pourra travailler un peu pour obtenir un peu d’argent, qu’est-ce que tu en dis ?”


Un sourire illumina son visage et me fit perdre tous mes moyens. Elle sautilla joyeusement avant de se jeter à mon cou. Je sentis mes joues chauffer sous l’étreinte. Elle m’attrapa le bras et nous reprîmes la route de plus belle.


“Nous nous arrêterons en début d’après-midi, m’informa t-elle. Mon père va certainement suivre nos traces et c’est un trappeur redoutable. Mais je sais comment le tromper.”


Cette nouvelle me fit l’effet d’un cône de glace écrasé sur mon crâne. Bien sûr que son père allait nous suivre. Comment avais-je pu l’oublier une seconde ? Anxieux, je préférais ne pas imaginer ce qu’il serait capable de me faire si jamais il me trouvait en compagnie de sa fille, des projets plein la tête, en direction des terres humaines. Je suis à peu près certains qu’il me tuerait avant même d’avoir pu ouvrir la bouche.

Pourtant, sept jours passèrent, sans croiser le moindre danger. J’appris à mieux connaître Lorette et ses habitudes de vie : elle aimait les framboises sauvages au petit-déjeuner, mais piquait une crise dès que j’osais casser l’oeuf d’un oiseau pour faire une omelette. Comme mon amie centaure, j’appris rapidement que les elfes ne mangeaient rien qui provenaient des animaux. Je crois que c’est avec elle que j’ai cessé d’en manger à mon tour. Je me souviendrais toujours du moment où elle m’a expliqué qu’une âme mise à mort avant l’âge de vieillesse errait pour l’éternité dans la forêt sans but. Je n’en avais pas dormi de la nuit et m’étais juré de ne plus jamais tuer un animal sans que ce ne soit nécessaire. Du moins, le croyais-je à cette époque.

Les arbres s’éclaircissaient sur notre passage et, alors que j’entrais dans ma vingtième année, nous atteignîmes bientôt la lisière de la forêt. Lorette me prit la main et me tira vers ce nouveau monde, heureuse. Je me retournai une dernière fois sur les braises de mon adolescence et pénétrai avec prudence dans l’âge adulte.

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