Chapitre 22 : Retour aux sources
Coucou ! Notre rossignol reprend la route vers la forêt. Bonne ou mauvaise décision ? Il y a de quoi en douter :D
LE CHANT DE L'OISEAU SOLITAIRE
Chapitre 22 : Retour aux sources
Je marchais d’un pas décidé dans la forêt de Querod depuis maintenant deux jours. Mes maigres réserves arrivaient déjà à leur épuisement et je me rendais compte que je n’étais plus aussi mince que la première fois que j’étais venu ici. J’essayais de me glisser tant bien que mal entre les racines, les grandes ailes dorées que je traînais derrière moi ne simplifiant pas le travail. J’avais commençais à considérer l’idée d’y aller en volant, afin d’avoir un meilleur point de vue sur ce qui m’entourait, mais la seule et unique tentative réalisée pour le faire s’était solvée par un magnifique plat dans une petite mare dont mon visage encore douloureux me rappelait toujours l’amer expérience.
Je ne savais pas franchement vers où je me dirigeais, mais je me sentais plus léger que lors de mon dernier trajet. Libéré de Mornepierre, libéré des regards inquiets des habitants sur mon étrange nature, je savourais chaque instant passé à l’extérieur. Les seuls moments où j’angoissais vraiment étaient les nuits. Mes ailes brillaient comme en plein jour et illuminaient les environs bien plus loin qu’un feu de camp. Je craignais qu’un prédateur ne me dévore pendant mon sommeil, quand bien même je prenais toutes les dispositions pour éviter un regrettable accident.
Maintenant que j’avais un but, les immenses arbres de la forêt ne me paraissaient plus très effrayants. Ils avaient même quelque chose de rassurant. Sans que je ne me l’explique vraiment, j’avais l’impression de communier avec eux, comme si un instinct sauvage enfoui en moi s’éveillait peu à peu pour me rappeler des origines insoupçonnées. Depuis que j’avais mon nouveau fardeau, beaucoup de choses avaient changé chez moi. Mon ouïe s’était affinée, tout comme ma vue qui me permettait de voir des détails que je ne comprenais pas encore. Parfois, mon regard s’égarait sur une petite araignée qui montait sur une branche et je pouvais rester des heures à l’observer, fasciné sans en connaître la raison. Il m’arrivait également, le soir en me couchant sur une souche, de sentir la pulsation de la vie des arbres alentours. Quelque chose s’éveillait en moi, irrémédiablement, et cela m’effrayait autant que ça m’excitait. J’étais tel un nouveau né redécouvrant le monde sur la longue route de l’apprentissage.
La route commença à me paraître familière cinq jours plus tard et bientôt, des fanons rouges m’apprirent que je touchais au but. Méaaras n’avait pas changé pendant ces quelques mois : les tentes étaient toujours dressées là où les plantes n’envahissaient pas l’espace et des tas d’inconnus s’y promenaient. Je remarquai immédiatement qu’il y avait plus de monde qu’à l’accoutumée, et beaucoup dans un sale état. Plus je progressais dans le campement, plus je m’interrogeais sur ce qui se passait ici. Des elfes et des centaures montaient la garde devant toutes les tentes, tendus et leurs lances de bois à la main. L’un d’eux ne tarda d’ailleurs pas à venir à ma rencontre en me voyant fouiner dans les parages sans but.
“Vous êtes nouveau ? me demanda t-il sans ménagement.
— Oui et non, répondis-je. Je suis déjà venu il y a quelques temps. Je recherche quelqu’un.
— Comme beaucoup, soupira le garde en se détendant, rassuré. Il nous vient des arrivées de toutes les terres humaines depuis quelques semaines. Les nouveaux ordres font des ravages.”
Je baissai la tête.
“Je sais, j’étais à Mornepierre, avouai-je à mi-voix.”
Le garde jeta un regard à mes ailes avant de froncer les sourcils. Il les pointa de sa lance, plus curieux que méfiant, et je ne pus m’empêcher de leur lancer un coup d’oeil gêné. J’avais encore oublié leur existence, cela avait tendance à arriver souvent ces derniers jours. Je haussai les épaules.
“Je n’en sais pas plus que vous, annonçai-je. Elles sont apparues après un accident.
— C’est vous le fameux Brimbis ? s’étonna l’elfe. Je veux dire, on a eu plusieurs personnes de Mornepierre ces derniers temps, et ils nous parlaient tous d’un homme aux ailes d’oiseau qui… Enfin, je m’attendais pas à ce que vous soyez si jeune. Vous avez quoi, dix-sept, dix-huit cycles ?
— Vingt-deux, en vérité.”
Plusieurs personnes me disaient souvent que je ne faisais pas mon âge, je n’y prêtais plus vraiment attention. Encore un de ces détails que je pensais inutile à cette époque...Lorsqu’on est jeune, on se pense immortels.
“Je recherche Iphranir, finis-je par lui dire.”
L’elfe leva un sourcil interloqué.
“Vraiment ? Il est chef de la garde depuis un mois, on ne le voit plus très souvent par ici, avoua t-il. Mais il est censé arriver d’ici quelques jours. Il est parti à Thenca pour livrer des vivres. Méaaras était plus assez grande pour accueillir tout le monde, on a dû déménager une partie du groupe de l’autre côté du lac Filmiur.
— Et sa fille ? ne pus-je m’empêcher de demander.
— La petite Lorette ? Oh, elle est rentrée à Lothariel. Elle est dévastée, une peine de cœur apparemment. C’est pas bon pour ce qu’elle a.”
Mon coeur s’accéléra à cette révélation. Le garde dut s’en rendre compte puisqu’il m’adressa un regard étrange. Il ne mit pas longtemps à deviner la supercherie.
“Tu viens pour la demoiselle, pas vrai ? Son père est dur en affaires.
— Il me l’a arrachée, répondis-je froidement.
— Dur. Ecoute, gamin, je peux te dégoter une dérogation pour partir à Lothariel avec la prochaine garnison. Tu te taperas son père sur la route, mais si tu te fais discret, tout se passera bien.”
Mes yeux se mirent à briller de joie. Tout cela me semblait un excellent plan. Je restais encore quelques minutes à discuter avec lui avant qu’il ne m’encourage à me diriger vers les tentes des invités. Les lits étaient déjà tous occupés, je dus me contenter d’une paillasse en paille assez désagréable, mais ça n’avait plus d’importance : bientôt je reverrais Lorette et tout ça ne serait plus qu’un terrible malentendu. La confrontation inévitable avec son père m’effrayait, mais j’avais décidé de l’accepter. Si je voulais la récupérer, je savais que je devrais de toute manière avoir affaire à lui.
Mon regard se perdit sur le feu de camp. J’allais enfin pouvoir me reposer pendant quelques jours et profiter d’un repos bien mérité dont je n’avais pas bénéficié depuis très, très longtemps. Alors que je rêvais déjà de mon prochain repas, je remarquais que toutes les paires d’yeux de la pièce étaient rivés sur moi, ou plutôt sur mes ailes. Je ne pensais pourtant pas être le plus étrange ici : certaines personnes avaient la peau verte ou bleue, d’autres avaient des écailles sous les yeux ou étaient à moitié équins. Je ne voyais franchement pas pourquoi, parmi toutes les étrangetés ici, c’était moi qui attirait l’attention.
“C’est lui ? chuchota une petite fille bleue peu discrète à sa mère.”
Elle ne répondit pas, mais cette soudaine célébrité me mit assez mal à l’aise. Le moins qu’on puisse dire, c’est que je n’avais pas pour habitude d’être au centre des regards. La petite fille bleue descendit du lit. Elle s’approcha de moi et me tendit une fleur d’un blanc immaculé. Je saisis la plante sans comprendre.
“Brimbis puyt teywiset vuyt”, me dit-elle d’une voix tremblante avant de partir en courant pour retrouver sa génitrice en riant. Je n’avais rien compris à ce qu’elle avait dit, mais ça sonnait assez mal à mon oreille, comme une prière ou quelque chose dans le genre. Ma résurrection avait certes fait un peu de bruit, mais de là à me considérer comme un dieu ? Je baissai les yeux sur la fleur : une orchidée sauvage, symbole de prospérité et de vie, me rappelai-je. Je l’avais lu dans les livres du vieil alchimiste. Comme quoi, ça finissait par rentrer. Je pris délicatement la fleur et l’accrocha à mon fidèle sac. Si cette fleur miraculeuse pouvait aussi m’aider à retrouver Lorette, je ne serais pas venu ici pour rien.
Je finis par m’allonger et fermer les yeux, anxieux. Dès demain, je devrais préparer la rencontre avec Iphranir. Ce n’allait pas être une partie de plaisir et j’avais plutôt intérêt à être prêt. Je doutais fort que l’accueil qu’il m’offre soit franchement amical. Je n’avais encore jamais autant détesté avoir raison.
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