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J'appris deux choses importantes. Tout d'abord, il était inutile de compter sur l'aide de Jake en ce qui concernait les matières scientifiques. Il me précisait certains chapitres importants à retenir mais je n'avais droit à aucune explication et devais tout assimiler par moi-même.
Ensuite, je compris enfin pourquoi Jake n'utilisait jamais mon prénom quand il s'adressait à moi.
— Chacun possède trois noms, me dit-il un jour. Celui avec lequel on naît, le nom que l'on nous donne et… celui que l'on choisit. Celui qui connaît ton nom a une certaine capacité à t'influencer. Tandis que si une personne apprend ton vrai nom, celui que tu ignores toi-même, elle aura un contrôle total sur tes actions et ta vie… C'est pourquoi il est absolument nécessaire de se protéger. Si tu veux suivre la voie des sorciers, tu devras oublier le prénom que tout le monde te donne. Et, dans la mesure du possible, faire en sorte que les personnes autour de toi ne sachent que ton nom de sorcière.
C'est donc ainsi que je devins Eileen. J'avais choisi d'utiliser ce prénom en l'honneur de mon ancêtre, pour la remercier de m'avoir donné la possibilité de suivre une autre voie. Je m'inscrivis sur quelques sites de soutien scolaire et le temps poursuivit son cours.
Peu à peu, la librairie changea d'aspect. Les différents ouvrages furent classés non pas par catégories mais par niveaux. Il y en avait trois. Le premier, le vert, était celui où étaient rangés tous mes manuels de cours ainsi que d'autres livres aux sujets divers comme la géologie, la botanique ou encore la psychologie. Tous étaient écrits en allemand, anglais ou en français et absolument aucun ne contenait la moindre information sur la magie.
Les deux niveaux suivants étaient le bleu puis le rouge. Je ne savais pas ce que contenaient les tomes qui en faisaient partie étant donné que je n'avais pas le droit de les ouvrir. J'étais donc cantonnée à l'échelon de base et cela commençait à devenir frustrant.
***
Cet hiver me paraissait interminable. J'avais hâte qu'il s'achève enfin pour pouvoir profiter des beaux jours. Je passais le plus clair de mon temps à la boutique même s'il y avait de moins en moins de tâches à effectuer. Trois mois s'étaient déjà écoulés mais nous n'avions pas eu un seul client. J'étais donc payée bien en-dessous du plafond légal mais je n'aurais laissé tomber ma place pour rien au monde.
Un jour de février, mon quotidien subit une révolution. J'étais, comme d'habitude, calmement installée à la grande table de la librairie à voir la différence entre mitose et méiose quand j'en eus assez. J'avais envie d'apprendre des choses un peu plus excitantes que les sciences de base.
Jake était occupé à ranger la réserve. Je me dis donc qu'il n'y avait aucun danger à ce que je lise un peu autre chose, n'importe quoi qui sorte de l'ordinaire. Je pris le premier livre bleu sur lequel ma main se posa et le ramenai à ma place.
C'était un ouvrage tout fin, il ne devait pas faire plus d'une centaine de pages. Je l'ouvris à la première et les symboles de l'ancienne langue me sautèrent aux yeux. Je me demandai si ce sort qui était censé aider à lire se trouvait aussi sur ce livre. Je suivis la première ligne du regard, et le texte devint clair.
C'était un livre de contes pour enfants. Il expliquait les bases d'une spiritualité : la wicca. L'histoire était celle de Sarah, une petite fille de neuf ans qui découvrait sa religion au travers de petites aventures dans sa vie de tous les jours. Les mots étaient adaptés aux enfants, et j'avais presque lu la moitié du livre une demi-heure plus tard.
J'en étais au moment où Sarah ne savait pas comment se défendre face aux moqueries de ses camarades quand le bruit de la porte me fit sursauter. Il ne fallait pas que Jake voie que j'avais désobéi ! Je paniquai en refermant le livre et fis la première chose qui me passa par la tête. Je tapai rapidement sur la couverture. Et l'ouvrage se posa silencieusement à l'endroit d'où je l'avais tiré…
— Tout va bien ici ? demanda Jake.
Je hochai la tête.
— Je pars faire une course, continua-t-il. Tu peux garder la maison ?
— Bien sûr.
Je me retrouvai donc seule à la boutique. Cela ne m'angoissa pas plus que ça. Je regardai pensivement le livre que j'avais tenu entre mes mains. Qu'avais-je fait pour le remettre sur son étagère ? Pourquoi le sort avait-il fonctionné cette fois-ci ?
Je voulus réessayer puis je me dis que ce n'était pas prudent. Jake n'était peut-être pas réellement parti et attendait quelque part que je fasse un faux pas. Je ne quittai donc pas la table.
Mais, me dis-je, même si c'est un test, ça ne signifie pas que je dois rester là à ne rien faire.
Je pris donc une page blanche et commençai à tracer les caractères des mots dont je me souvenais. Je me rendis alors compte que je pouvais réécrire presque toute l'histoire de Sarah en utilisant les symboles du livre. Une seule lecture m'avait suffi pour retenir des dizaines de mots ! Pourquoi est-ce que ça ne marchait pas aussi comme ça avec toute cette théorie que je devais ingurgiter ?
A partir de ce jour, tout s'accéléra. Je passais mes journées à étudier mes manuels devant Jake mais, une fois le moment de quitter le magasin venu, je m'arrangeais toujours pour subtiliser l'un ou l'autre ouvrage bleu à lire chez moi. Je m'étais en effet rendue compte que, pour apprendre cette nouvelle langue, il me fallait lire des centaines de mots différents !
Si Jake se rendait compte de mon manège, il ne me fit aucune remarque.
Je me mis à utiliser mon carnet de dessin comme bloc-notes, y inscrivis tous les détails que je jugeais importants. J'utilisais pour cela le dialecte des sorciers, et ajoutais des mots dans ma propre langue quand je ne connaissais pas le bon terme. Et, au fur et à mesure que la neige fondait, mes notes continrent de moins en moins de ces annotations. Un jour, je cachai la moitié d'une page et fus surprise de pouvoir continuer à lire le texte…
L'hiver céda à contre cœur la place au printemps. Les jours se rallongeaient peu à peu. Je me rendis compte que je ne pouvais pas continuer ainsi. Mes nuits étaient aussi remplies que les journées, je ne dormais presque pas et étais épuisée en permanence. Il fallait que je trouve une solution. Et vite !
Jake me laissait de plus en plus souvent seule au magasin. Je refrénais mon envie de consulter ce qui m'était interdit quand j'étais censée travailler. Cependant, une fois bien à l'abri des murs de ma chambre, rien ne m'empêchait d'en apprendre plus sur le monde des sorciers.
Je découvris ainsi que le dessin accroché au-dessus de mon lit était un sceau magique qui permettait, comme l’avait suggéré mon mentor, d'ouvrir un portail avec le sort et les outils appropriés. Mais il m'était impossible de savoir où ce portail était censé mener étant donné que je n'avais plus eu le moindre aperçu du livre de Hopper depuis ce jour dans le cabinet du médecin. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi Jake s'obstinait à me maintenir dans l'ignorance. Il était certes un bon professeur mais j'avais plus appris dernièrement par moi-même qu'en sa présence.
J'en étais à mon quatrième carnet de notes quand je tombai par hasard sur l'information que je cherchais depuis maintenant bientôt un an.
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