Le dîner était excellent mais je mangeai sans grand appétit, perdue dans mes pensées. Un sacrifice… que fallait-il sacrifier ? Ou plutôt, qui ?

Ananda, la mère d'Iris, était une femme impressionnante. Âgée d'une cinquantaine d'années, de longs cheveux blonds et un corps svelte moulé dans un tailleur ajusté. Elle ressemblait exactement à la représentation que je me faisais d'une femme d'affaires à la tête d’une multinationale. C'était d'ailleurs un peu ce qu'était la Confrérie, en plus secret.

En présence de sa mère, Iris était bien plus réservée. Elle mangeait calmement et ne prononça quasi aucun mot durant tout le repas. J'appréciai ce moment de répit. Je remarquai qu'Ananda me fixait avec intensité.

— Tu es donc la nouvelle apprentie de Jake. Eileen c'est ça ? Iris m'a beaucoup parlé de toi.

Je n'en doutais pas un seul instant.

— Jake aurait dû m'en informer, continua-t-elle pensivement. Nous n'avons pas la chance de rencontrer beaucoup de personnes comme toi.

— Comment ça ? demanda Iris.

— Mes parents ne sont pas des sorciers, expliquai-je. J'ai hérité de gènes de mes ancêtres…

— Ouah ! Mais ça a dû te faire un choc quand tu l'as découvert, non ?

— A qui le dis-tu ! J'ai cru que je devenais folle !

— C'est en effet assez dangereux de commencer une formation à cet âge, intervint la mère d'Iris. Quelques fois, ça tourne mal… Je me souviens d'un cas en Australie il y a quelques années. Le pauvre homme avait fini…

— Maman ! Ne lui fais pas peur ainsi !

— Oui, tu as raison Iris. Désolée, Eileen. Au fait, dis-moi, Jake est-il toujours autant obsédé par cette légende de Hopper ?

— Il m'a raconté l'histoire. Mais, pour le reste, je n'en ai pas la moindre idée, mentis-je. Il ne me dit presque rien de toute façon.

— Ah ça, c'est tout Jake ! rit-elle. Toujours trop protecteur… Mais je suppose que tu as dû te débrouiller pour apprendre un peu par toi-même. Voyons voir…

Elle me présenta sa tablette où s'affichait un texte dans l'ancienne langue. Le format utilisé ressemblait à un article de wikipédia. Je bloquai sur le deuxième mot ! Je me souvins de ce que m'avait dit Iris : c'était certainement un texte scientifique, d'où mon incapacité à comprendre les mots à rallonge. Je cachai une partie du mot avant de recommencer. Je lus loin, Terres, vide. Un peu plus loin, un mot similaire disait simplement Terres et vide. Les sorciers avaient du mal à nommer les nouveaux concepts… Je souris et commençai à lire à voix haute.

— Les exoplanètes, aussi appelées planètes extrasolaires, sont des planètes qui se situent en-dehors du Système solaire. Il y en a des centaines dans notre heu… galaxie et dans d'autres également. La taille de ces objets célestes, ainsi que la distance à laquelle ils se trouvent, rend leur observation difficile…

— C'est très bien, me félicita Ananda. Je vois que tu n'as pas perdu de temps ! Tu peux donc passer à l'étape suivante. Iris te montrera.

Ananda quitta la maison peu après le repas. Iris en profita pour m'entraîner à nouveau dans le laboratoire. En quelques heures, j'appris à réaliser certaines de ses commandes de sorts. Elle me dit qu'il lui restait beaucoup de travail et m'invita à revenir quand je le souhaitais pour l'aider.

***

Au fur et à mesure que le printemps avançait, je commençai à passer de plus en plus de temps chez ma nouvelle amie. Jake ne semblait pas m'en vouloir de m'absenter aussi souvent, ce qui n'était pas le cas de mes parents. J'avais beau faire attention, ils tombaient souvent sur mes nouveaux ouvrages et me posaient alors des questions auxquelles je ne pouvais pas répondre honnêtement.

Iris était débordante d'énergie. Elle me montrait les sorts et me laissait emprunter tous les livres que je voulais. Sauf ceux de l'étagère noire au milieu de la bibliothèque.

— Ma mère a menacé de me jeter dehors si j'y touchais, m'avoua-t-elle. Elle a dit que je n'étais pas prête à lire ce qu'il y avait dedans.

Cela me rappelait Jake. Cependant, en m'approchant un jour de cet endroit, je compris qu'Ananda avait bien raison de ne pas laisser sa fille mettre la main dessus. J'avais déjà été au contact d'un tel livre. Et j'avais failli y rester.

Mais la masse de travail à accomplir me fit bien vite oublier cet incident. Outre la préparation des commandes, je devais apprendre par cœur beaucoup de nouvelles matières. Et il n'y avait aucun sort sur les ouvrages rouges pour m'y aider. Ce n'était que mon intérêt pour le sujet qui me poussait à aller de l'avant.

Iris m'apprit également comment créer une petite silhouette humanoïde à partir d'un verre d'eau.

— A quoi ça sert ? demandai-je.

— À te montrer les coups sans te blesser.

Elle utilisa son bonhomme d'eau pour étaler le mien à terre.

— Eh ! Mais c'est pas du jeu. Je ne sais même pas comment contrôler ses mouvements !

— C'est un sort très simple, me dit-elle. Il est lié à ton esprit. Il suffit que tu t'imagines faire le mouvement pour que l'eau suive. Essaie !

Je commençai donc aussi à apprendre l'art du combat. Ce n'était pas aussi facile que je le croyais au départ et mon avatar se retrouvait le plus souvent réduit à l'état de flaque sur un coin de table. Iris était douée et j'étais contente de ne pas avoir à subir les coups en vrai. Mais ma joie ne fut que de courte durée : après seulement quelques leçons, on passa à la véritable pratique. Et j'eus du mal à camoufler tous mes bleus.

Finalement, ce qui devait arriver arriva. J'étais en train de consulter un des ouvrages rouges de Jake, c'était l'un de ceux qu'Iris ne possédait pas dans sa bibliothèque, quand ce-dernier me surprit.

— Je ne peux visiblement pas te faire confiance, soupira-t-il en reprenant l'ouvrage.

Il l'examina attentivement avant de reporter son regard sur moi. Je ne savais plus où me mettre. J'évitai de croiser ses yeux.

— Montre-moi, finit-il par dire.

— Hein ?

— Oui, ce livre est le troisième tome d'une série. Je suppose que tu as lu les deux premiers alors l'exercice présenté ne devrait pas te poser trop de difficultés. Montre-moi.

Le chapitre que j'étais en train d'étudier expliquait comment utiliser l'énergie pour créer une boule de feu à partir de l'air environnant. J'avais déjà vu le principe avec l'eau mais cela présentait alors moins de problèmes : il me suffisait de rassembler l'humidité présente dans l'air en un seul endroit. Mais pour le feu ? Je repensai à la bougie, cela ne devrait pas être trop différent de ce que j'avais fait pour l'allumer. Cependant, cela allait me demander beaucoup plus d'énergie !

Je n'y pensai plus et décidai de tenter tout de même le coup. Le monde devint flou tandis que je me concentrais. Je parvins à fournir assez d'énergie pour faire apparaître une petite flammèche en suspension devant moi. Mais je renonçai à en faire une sphère : je ne savais pas encore comment m'y prendre.

— Désolée, dis-je doucement.

Jake me regardait avec étonnement.

— Ce n'est pas grave, dit-il. C'est très bien pour une première fois, tu manques simplement d'entraînement. Pas de vertiges, de nausées ?

Je secouai la tête. Je me sentais comme d’habitude, juste un peu fatiguée mais c'était tout.

— C'est bien. Normalement, si ça n'en tenait qu'à moi, tu n'aurais pas vu ça avant deux ans. Mais je suppose qu'on devra faire avec maintenant…