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Il pleuvait ce soir-là. Des trombes d'eau se déversaient du ciel depuis des jours déjà. Un temps à rester enfermé chez soi sans mettre le nez dehors. Une chaleur moite planait dans l'air de cette fin d'été. Et moi, j'étais bonne à essorer après mon trajet chez le fournisseur d'Iris.
J'avais reporté ce moment le plus possible, mais je n'avais finalement plus eu le choix : presque tous mes ingrédients étaient épuisés et toujours aucun signe de mon amie. Je tentai de pousser la porte arrière de la librairie, une lourde caisse dans les bras. Je fus surprise de la trouver pour une fois fermée. Tout un chargement attendait sagement dans la remorque de mon vélo. Je ne pouvais pas laisser les cartons dehors par ce temps !
Je déverrouillai la porte avant de tout transporter à l'intérieur de la réserve. De la pièce principale me parvenaient des voix étouffées. Je reconnus celle de Jake. Mais qui était l'autre individu ? Je m'approchai silencieusement pour écouter.
— Tu m'avais pourtant dit que tout était prêt ! s'exclama l'inconnu.
— Calme-toi, Jacob. Ce n'est qu'un petit contretemps, répondit Jake. Je pensais que n'importe quel poignard ferait l'affaire mais il se trouve que c'est un outil spécial qu'il faut pour ouvrir le portail. Et j'ai trouvé où il est conservé. Regarde…
Il y eut un moment de silence, coupé seulement par le bruit de pages que l'on tourne. J'avançai encore un peu. Si j'avais penché la tête, j'aurais pu voir ce qu'il se passait là, mais je n'avais aucune envie qu'ils me surprennent avant de connaître le fin mot de la discussion.
— Et tu appelles ça un petit contretemps ? Le musée national ! Mais comment veux-tu entrer là-dedans avant la nouvelle lune ?
— Il y a un gala de bienfaisance dans une semaine. Il suffira de se fondre dans la masse des invités et ensuite…
— Mais tu as complètement perdu la tête, ma parole ! C'est un événement de la Fondation ! Hors d’Aidan, tu ne feras pas deux pas avant qu'ils ne te sautent dessus… Et puis, continua-t-il plus calmement, s'ils découvrent qu'on est encore après Hopper, toutes ces années de recherches n'auront servi à rien.
Dans le silence qui suivit, j'y vis ma chance. Je m'avançai dans la lumière.
— Je peux y aller moi, dis-je calmement. La Fondation n'a jamais entendu parler de moi.
Les deux hommes me regardèrent avec étonnement. Je ne savais pas ce que je faisais là, ni dans quoi je m'engageais, mais cela m'avait paru être une bonne idée sur le coup. Je refrénai pourtant mon enthousiasme sous le regard furieux de Jake.
— Sors d'ici ! cria-t-il. Maintenant !
Je sursautai. J'eus envie de reculer, mais ne bougeai pas d'un pouce. Le deuxième homme, un grand blond bien bâti, paraissait réfléchir. Soudain, son visage s'illumina.
— Ça pourrait marcher, dit-il pensivement.
Jake reporta son attention sur lui.
— Il en est hors de question, tu m'entends ! Je ne laisserai pas mon apprentie tomber entre les mains de la Fondation. Tu sais ce qu'elle risque !
Je profitai de ce qu'ils se toisaient pour m'approcher de la table. Le livre de Hopper s'y trouvait bien en évidence. J'y reconnus aussi les plans du musée ainsi qu'une représentation d'une petite lame au manche incrusté d'une pierre. J'avais déjà vu ce dessin auparavant mais c'est à peine si j'y avais prêté attention. Jake m'arracha la page des mains.
— Tu n'iras pas, c'est dangereux. Je t'ai laissé bien trop de libertés jusqu'à présent et voilà où ça nous mène… Rentre chez toi. Et je ne veux pas te voir ici avant quelques jours !
Je ne bougeai pas et levai les yeux de la table pour soutenir le regard de Jake. Je vis que sa colère avait quelque peu diminué, remplacée par… de l'inquiétude ? Pourquoi se soucierait-il de moi à ce point ?
— Je ne suis plus une enfant ! Je peux prendre mes décisions par moi-même ! Et je vous dis que je peux vous aider alors je ne vois pas où est le problème.
— Elle a du répondant la petite, sourit Jacob.
Je lui lançai un regard empli de mépris. Il commençait à m'exaspérer aussi à me prendre ainsi pour une gamine. Jake ne lui prêta aucune attention.
— Tu veux m'aider hein ? Mais tu ne sais même pas ce dont il est question ici.
— En fait… commençai-je en jetant un coup d’œil aux carnets éparpillés sur la table.
Le guérisseur suivit mon regard.
— Non, tu n'as pas… Tu n'as pas pu tout comprendre.
Il semblait désemparé. Je tentai de me justifier comme je le pouvais mais je savais que j'allais avoir du mal à expliquer pourquoi j'avais parcouru ces pages.
— Ça, c'est ce qui arrive quand on essaie de tenir les autres à l'écart, intervint Jacob. Tu n'as rien à te reprocher, Eileen. Il faut savoir que Hopper… que son histoire exerce toujours autant de fascination pour ceux qui la découvrent. Même si c'est un peu différent dans ton cas.
— Jacob, tais-toi ! Je ne veux plus entendre un mot de ta part. Quant à toi, dit-il en se tournant à nouveau vers moi, ne touche pas à ce livre. Tu n'as pas appris ta leçon ?
— Si, justement…
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