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Je dormis mal cette nuit-là. Je repensai au carnet que j'avais acheté au marché. Il contenait les réponses que je cherchais depuis le soir où j'avais volé les poignards. Mais je n'étais pas particulièrement ravie de ces éclaircissements. Lor me semblait chaque jour de plus en plus inaccessible.

Le lendemain, j'étais à la librairie avant sept heures. J'avais rapidement avalé un café comme petit-déjeuner mais je n'étais pas beaucoup plus réveillée. Je remarquai que Jake avait chargé deux gros sacs à l'arrière de sa voiture.

— Où va-t-on ? demandai-je.

— Mettre Hopper en pratique. Allez, monte devant.

— Et votre ami ? Il ne vient pas ?

— Tu me seras bien plus utile que Jacob aujourd'hui.

Le soleil commençait à réchauffer l'atmosphère. La journée allait encore être étouffante. Nous quittâmes la ville pour continuer à rouler vers le sud sur une route de campagne. Je n'étais encore jamais partie aussi loin dans cette direction et je regardais le paysage avec curiosité. Un grand bâtiment qui dépassait de la cime des arbres attira mon attention.

— C'est quoi ? Demandai-je, le doigt tendu.

— Tu le vois ? s'étonna Jake.

— Bien sûr puisque je pose la question ! Pourquoi ne devrais-je pas le voir ?

— Parce que c'est un haut lieu de la Fondation. Et qu'il est protégé par un sort qui le rend invisible aux yeux du monde. Je ne le vois pas mais je sens la puissance du sort.

Je jetai un nouveau coup d’œil par la vitre. Le château était toujours là, on le laissait déjà derrière nous.

— Moi, je le vois mais je ne le sens pas. Pourquoi ?

— Aucune idée. Tout le monde est différent.

Peu après, la voiture s'engagea à nouveau dans la banlieue d’une ville. La matinée était déjà bien avancée. Jake se gara sur un parking abandonné bordé d'arbres.

— Qu'est-ce qu'on fait là ?

— On va tester ta nouvelle invention. Suis-moi.

Il choisit un endroit où le bitume ne présentait aucune fissure et commença à esquisser des cercles à la craie. Je reconnus, pour l'avoir déjà dessiné maintes fois, le portail de Hopper. Jake avait finalement tenu compte de ma remarque, c’était bien ma version qu’il traçait.

J'enfilai mes gants avant de suivre les lignes pour y déposer mon tout nouveau sort. Une fois toute la craie recouverte, Jake utilisa un briquet pour y mettre le feu. La poudre grésilla, avec une intense lumière verte. Je dus détourner le regard pour ne pas être aveuglée. Jake aspergea les traits avec la bouteille d'eau et le sort s'éteignit.

Je me penchai pour toucher une rainure lisse qui courrait dans le béton. Le sol était maintenant creusé sur deux centimètres de profondeur à différents endroits. Le tout formait un grand sceau. Je me relevai, les doigts humides. Jake n'aurait rien à y redire, je l'avais bien tracé.

Le guérisseur se tenait au centre du cercle, le regard grave.

— Si on tentait de l'ouvrir ? proposa-t-il.

— Quoi ? Maintenant, comme ça ?

— Pourquoi pas. Ça ne devrait plus poser trop de problèmes à présent.

La lune était haute dans le ciel limpide. Elle ne se coucherait qu'au début de la nuit. La chaleur qui se dégageait de l'asphalte me donnait le tournis.

J'hésitai en le voyant tirer le poignard hors de son étui. De fines stries bleues commencèrent à remonter le long de son bras. Le pendentif que je portais se mit à chauffer.

Je me rendis soudain compte que je me trouvais sur un parking désert et abandonné. Seule, en compagnie d'un homme que je ne connaissais pas vraiment. Je reculai de quelques pas.

— Qu'y a-t-il ? Tu as peur ?

— Oui…

— Pourquoi donc ?

— J'ai peur que… ce qui se trouve de l'autre ne corresponde pas à mes attentes. Je n'ai pas envie de quitter ce monde pour ne plus jamais revenir.

Il fit deux pas vers moi. Je reculai encore.

— Tu avais pourtant l'air assez convaincue pas plus tard qu'hier. Qu'est-ce qui se passe ?

— J'ai changé d'avis. J'en ai bien le droit, non, dis-je en m'éloignant encore de quelques mètres.

— Eileen, attends…

Je me figeai sur place, prête à partir en courant s'il faisait un pas de plus. En réalité, je mourrais d'envie de traverser ce portail pour voir Lor de mes propres yeux. Mais j'étais certaine qu'il avait prévu de partir sans moi. Aujourd'hui, si je ne faisais pas le bon choix, je mourrais tout court. Pourtant, je restais plantée là, à attendre quelque chose, n'importe quoi pour me prouver que je me trompais.

— Tu me fais confiance, n'est-ce pas ? demanda-t-il.

Oui… Non ? Pas assez !

Je fis demi-tour et piquai un sprint vers les arbres.

— Eileen, reviens ! Tu n'as pas compris ! entendis-je derrière moi.

Je ne m'arrêtai pas et continuai ma course entre les buissons et les racines. Étais-je capable de le distancer ? Je n'étais pas une grande sportive mais je savais que si je tenais assez longtemps, je finirais par retomber sur la route. Et une fois là, il suffirait d'arrêter une voiture, n'importe laquelle, pour m'emmener loin d'ici.

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