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La pierre du premier soir n'avait été que le premier incident d'une longue série. Au cours de nos promenades, je commençai à remarquer de plus en plus d'empreintes de pas étrangères. Je me rassurai en me disant que d'autres que nous avaient le droit de se balader dans les bois. Jusqu'à l'apparition des traces de pneus en-dehors de la route. Mais Matteo ne sembla pas s'en inquiéter plus que ça.
Et puis, trois semaines après notre arrivée, ce ne fut pas un simple caillou mais bien un cocktail Molotov qui s'écrasa contre mon sort de protection, et carbonisa la fenêtre avant que Cassandra ne se précipite pour éteindre le feu.
J'eus du mal à dormir après ça. Si ça n'avait tenu qu'à moi, j'aurais rassemblé toutes nos affaires et quitté cette maison sur le champ. Mais nous devions terminer les réparations promises avant de pouvoir rendre les clés. David et Matteo s'y attelèrent plus sérieusement, inquiets pour la suite des événements.
— Mais qu'est-ce qu'ils nous veulent à la fin ? m'exclamai-je un soir pendant le repas.
David, Matteo et moi venions de passer la journée dans la fournaise qu'était devenu le toit, à réparer les trous et replacer les tuiles. Nous n'avions cessé de remarquer des mouvements suspects à la périphérie du terrain, dans et autour des arbres. Le coup de soleil que j'avais pris me brûlait la peau et j'étais épuisée.
— C'est une technique d'intimidation, dit Matteo. Ils veulent nous faire comprendre que l'on est soit avec eux, soit dans la merde.
Je réfléchis un peu à notre situation. Cela faisait des semaines que nous n'avions plus eu aucun travail de la part de la Confrérie et l'argent venait à manquer. Le petit commerce que j'entretenais avait lui aussi subi un ralentissement. Ce que je gagnais ne permettait plus de payer à la fois les réparations de la maison et la nourriture. Sans parler des ingrédients que je devais acheter pour pouvoir continuer. A terme, cela allait poser un gros problème…
— Et que peut-on y faire ? demanda David.
— Rien, fit Cassandra. Les ignorer. Ils finiront par se lasser s’ils voient qu'on ne cède pas et tout reviendra à la normale.
— Tu le crois vraiment ? demandai-je.
— Mais oui ! Vous ne devez pas vous inquiéter : Matt et moi savons ce que nous faisons.
— Moi, les hommes dans la forêt me font quand même peur, intervint Ian.
Je lui jetai un coup d’œil. Il semblait en effet mal à l'aise.
— Tu as vu des hommes dans la forêt ?
— Oui. Et j'ai même vu là où ils ont mis leurs tentes. Mais je ne me suis pas plus approché.
— Tu as bien fait, dit Matteo. Tu pourrais me montrer ça demain ?
— Qu'est-ce ce que tu comptes faire ? demanda Ren.
— Leur rendre une petite visite surprise. Eileen, je pense que tu vas bien aimer mon plan.
Le lendemain, j'étais accroupie dans les buissons près du campement en question. Nous avions tenu à vérifier qu'il s'agissait bien de membres de la Confrérie et non pas de simples campeurs amateurs. Mais le doute n'était pas permis : ils étaient dix et avaient au moins deux sorciers parmi eux. En tout cas, de ce que je pouvais compter à partir de ma cachette.
C'était la première fois depuis des semaines que je les apercevais en plein jour. Ils étaient rassemblés autour d'un feu, une bière à la main, et discutaient avec animation. Les deux que j'avais repérés comme étant des sorciers ne semblaient pas vouloir prendre part à l'allégresse générale et étaient assis un peu à l’écart.
— Comment va-t-on s'y prendre ? demandai-je à Matteo.
— Tu vois la jeep là-bas ? Tu vas discrètement faire le tour du camp et aller poser la première charge en-dessous. Ensuite, pendant qu'ils seront occupés à essayer d'éteindre le feu, j'irai placer la seconde dans la tente qui contient leurs provisions. C'est simple, il n'y aura pas de morts, et ça va les faire réfléchir un peu !
— J'aime bien ta conception de l'indifférence, plaisantai-je. Mais il faudra tout de même faire attention à ces deux-là, ce sont eux le plus grand danger…
— Ne t'inquiète pas, j'en fais mon affaire, sourit-il.
Je fis prudemment le tour des tentes, avec de nombreux coups d’œil inquiets aux deux sorciers. Mais ils ne remarquèrent pas ma présence et je pus arriver à la voiture sans encombre. Je réglai la bombe sur deux minutes avant de reculer lentement hors de vue. Je ne vis pas l'explosion mais entendis le tout-terrain sauter. Les hommes se précipitèrent avec de grands cris pour éteindre l'incendie.
Je me mis à courir pour rejoindre notre lieu de rendez-vous plus loin entre les arbres. Je venais à peine d'y arriver lorsque j'entendis la seconde détonation. Matteo me rejoignit peu après, tout sourire.
— Bien joué ! Allez, ne traînons pas ici.
Après ça, nous eûmes quelques jours de répit. J'en profitai pour délimiter un grand périmètre avec le même sort qu'avait utilisé Jake pour la porte de la librairie, traçant les symboles à même l'écorce des troncs. J'espérai que cela allait suffire pour qu'ils nous laissent définitivement en paix.
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