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Quelqu'un m’attrapa soudain et je perdis ma concentration. La boule incandescente se dissipa, tandis que le sorcier tordait mon bras avec force.
— Que je ne te prenne plus à menacer les jeunes ! C'est bien compris ?
Il me secoua sèchement pour appuyer ses propos. Une fureur contenue se lisait dans son regard, que j’eus le bon sens de ne pas croiser trop longtemps. Il continua son monologue, mais je ne l’écoutais déjà plus. Comme si elle avait attendu cet instant, terrée quelque part à la lisière de mon esprit, une image floue ne demandait qu’à ressurgir…
La petite fille vient de fêter ses six ans. Elle gambade, toute joyeuse, aux côtés de son papa dans la galerie marchande.
— La bateau, la bateau ! chantonne-t-elle, son cadeau à peine déballé serré dans sa main.
Dans son esprit, le jouet prend des allures de voilier pirate. La frêle embarcation fonce à l’assaut de vagues immatérielles… Son père avance vite, le regard inquiet, sans même songer à corriger l’erreur de l’enfant.
Soudain, les hommes de l’ombre sont là, plus proches que jamais. Céline arrête immédiatement son mouvement pour les fixer, apeurée. Ces hommes sont méchants, elle le sait. Mais sa maman ne cesse de lui répéter qu’ils n’existent que dans son imagination.
Sauf qu’ils sont là en vrai.
Et que son papa, en colère, les voit aussi.
La petite se cache derrière ses jambes, mais les deux vilains continuent à la fixer de leurs prunelles sombres. Elle a vraiment peur maintenant. Ses yeux sont pleins de larmes.
— Mais quand allez-vous nous laisser tranquilles ? gronde son père. Ce que vous avez pris ne vous suffit-il pas ? Ma fille n’a rien à voir avec vous. Elle est normale, vous entendez. Normale !
Les hommes partent. Céline est rassurée. Elle est normale.
Elle n’est pas une méchante sorcière.
— Je… désolée, murmurai-je, confuse.
La bande de gamins gloussa.
— Vous êtes encore là ? soupira le sorcier. N'avez-vous pas d’autres occupations ?
Ils s’éparpillèrent dans un mouvement de panique. L’homme me jeta un regard mauvais avant de s'éloigner aussi.
Seule et couverte de poussière, j’essuyai une larme. Cette scène m’avait paru tellement nette, presque comme un véritable souvenir.
Je levai les yeux pour remarquer que l’un des adolescents n’avait pas bougé. Plus prudent, le garçon ne semblait pas vouloir approcher. Âgé d’une quinzaine d’années comme ses camarades, de courts cheveux bruns, une cape bleue ; le portrait typique de l’apprenti d’Aidan.
— Alors c’est toi la fille de la Confrérie ? Je t’imaginais plus… osa-t-il.
— Plus quoi ?
Quelque chose dans l’attitude de cet apprenti me rappelait les premiers mois passés dans la librairie. Était-ce cette insouciance clairement affichée ? Les autres adultes me traitaient comme une pestiférée, mais lui ne semblait pas s’en soucier, inconscient des querelles internes qui agitaient le monde des Sorciers. Peut-être n’avait-il pas entendu la même version de l’histoire que celle racontée par Jake. Je souris à l’évocation du souvenir.
— M’apprendrais-tu à le faire aussi ? continua-t-il. La boule de feu, je veux dire… C’était trop cool !
Lys choisit ce moment pour monter nous rejoindre. Un autre apprenti, vêtu de la même cape rouge qu’elle, l’accompagnait. Plus grand que nous, à la peau sombre, il semblait perdu dans ses pensées. Son regard se posa soudain sur moi, et un sourire amusé se dessina sur son visage.
— Lys, tu ne nous avais pas dit que tu avais une sœur. Regardez-vous, on dirait des jumelles! s’esclaffa-t-il.
— On ne vous a jamais appris les bonnes manières, vous deux ? s’offusqua l’apprentie. Je te présente Shadi et Artank. Ils sont sympa, même s’ils ne se donnent pas la peine de le montrer ! Eileen ? Tu vas bien ? Tu es toute pâle.
— Ah, voyons! Quel titre allons-nous donner à cette histoire? Les sœurs perdues? Non, je sais : un reflet dans le miroir! poursuivit Shadi d’un ton amusé.
— Sérieux, mec… tais-toi. Ça devient ridicule, intervint Artank.
— Oh ! Si on ne peut même plus plaisanter…
Il leva les bras en l’air, en signe de défaite.
— Je meurs de faim ! Pas vous ? s’exclama Lys.
Nous la suivîmes à pas mesurés tandis qu’elle se dirigeait vers le réfectoire.
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