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Le lendemain, j'étais à nouveau présente dès l'ouverture. J'errai dans les rayons, sans la moindre idée d’où commencer. Je n'avais qu'une seule pensée en tête : trouver des pistes sur le rituel de Hopper. La recherche s'avérait ardue. J'espérais encore tomber par hasard sur un livre écrit dans l'ancienne langue, mais il ne semblait pas y en avoir à ce niveau.
Je m'arrêtai brusquement au détour d'une étagère. Une jeune fille rousse se trouvait dans l'allée. Elle était plantée devant une échelle qui montait jusqu'aux plus hautes planches du rayonnage, une moue pensive face au tas de livres à ses pieds. Je l'observai discrètement. J'avais pris soin d'éviter les autres lecteurs au vu des regards peu amicaux qu'ils me lançaient.
— Eh ! m'interpella soudain l’apprentie.
— Moi ?
— Oui, toi ! Vois-tu quelqu'un d'autre dans les parages ? Tu veux bien m’aider ?
Je m'approchai lentement, méfiante. La fille portait une cape bleue, tout comme Édouard et sa clique. Ça pouvait tout aussi bien être un nouveau piège.
— J'ai besoin d'un coup de main pour ranger ces livres, dit-elle avec un geste vers la pile. Tu veux bien aller là-haut ?
Je souris et attrapai l'un des livres. Je le tins quelques instants entre mes mains.
— Ne me dis pas que tu as le vertige toi aussi !
Je regardai la jeune libraire avant de tapoter la couverture de l'ouvrage. Comme je m'y attendais, le livre s'éleva doucement pour aller se glisser à sa place. L’apprentie me rendit mon regard, bouche bée.
— Saurais-tu le refaire ?
— Bien-sûr !
Je fis de même avec la plupart des autres volumes de la pile. Ils prirent leur envol et regagnèrent rapidement leur étagère respective. Il en resta trois, plus récents, qui ne contenaient pas le sort nécessaire.
— Ça ne fonctionnera pas avec ceux-là, dis-je.
— Pas de problème, tu m'as déjà bien aidée !
Elle prit les livres de chimie et les posa sur la planche qui se trouvait à hauteur de mes yeux, exactement dans la bonne section.
— C'est toi la fille de la Confrérie, je suppose.
— Oui, c'est moi. Mais je ne fais pas partie de la Confrérie ! Je ne serais pas ici sinon.
— Peu importe, affirma-t-elle. Moi, c'est Kaylee.
— Eileen.
— Que dirais-tu de rencontrer Théophile ? Tu pourras nous expliquer comment tu t'y prends avec les livres, ça me serait bien utile !
— Avec plaisir.
Je découvris que le bibliothécaire avait une petite loge située près de l'entrée. Des livres gisaient çà et là, des feuillets à demi-triés ensevelissaient les divers meubles qui constituaient l'ameublement. Au fond, un grand bureau foncé croulait sous les manuscrits et les cartes.
— Maître Théophile ! lança Kaylee. Vous ne devinerez jamais ce que…
— As-tu déjà fini tes tâches ? l’interrompit-il.
— Oui ! Eileen m’a aidée ! Elle peut faire s’envoler les livres !
Le vieil homme me jeta un regard étonné sous ses sourcils broussailleux. Je ne savais plus où me mettre, quelque peu gênée.
— Du calme, du calme… C’est un talent bien particulier que possède tu possèdes là, jeune fille. Assieds-toi donc ! Ne fais pas attention au désordre ! Je n'ai pas l'habitude de recevoir des invités, dit-il, une théière en main.
Je repoussai une pile de feuilles pour pouvoir m'asseoir. Kaylee fit de même. La pièce sentait le vieux papier, exactement comme dans la librairie de Jake. Et, des livres, j'en remarquai quelques uns tout à fait familiers. J’attrapai un volume à la couverture rouge, le premier que je voyais écrit dans l'ancienne langue !
Je l'ouvris au début et commençai à lire. Il traitait de botanique mais peu importe. J'étais bien trop contente de revoir enfin ces symboles qui représentaient la magie pour moi.
Théophile me tendit une tasse de thé que je pris distraitement. Il remarqua alors l’ouvrage que je consultais.
— Tu… peux lire ces glyphes ?
Je relevai la tête, surprise.
— Pourquoi ? Vous ne les comprenez pas ?
— Si, bien entendu. Mais je ne peux pas lire couramment. Cela demande beaucoup de travail pour trouver le sens de ces mots. Pourtant, ça ne semble pas te poser de problème particulier.
— Vous en avez d'autres dans le genre ?
— Oui, quelques-uns dans une réserve au sous-sol.
— Des bleus aussi ? demandai-je en indiquant la couverture.
— Je pense que oui… La couleur a-t-elle une quelconque importance ?
Je souris, et essayai de trouver un moyen pour lui expliquer. J'avalai une gorgée de thé. Il était délicieusement brûlant. Je fixais pensivement ma cape verte. D'un coup cela me sauta aux yeux. Vert, bleu, rouge… Comment ne l'avais-je pas remarqué avant ? Lys avait raison : la Fondation et la Confrérie n'étaient pas si différentes après tout.
— C'est comme les capes de vos apprentis, dis-je.
Son regard passa du livre à moi. Il semblait réfléchir, les sourcils toujours froncés.
— Tu veux dire qu'il est sera plus facile de lire un livre bleu que celui-ci ? s’écria soudain Kaylee.
— Exactement ! Les ouvrages du premier et du deuxième niveau sont porteurs de sorts qui aident à la lecture. C'est comme ça que j'ai appris !
— Mais alors… s’étonna-t-elle, un pan de mon habit vert entre ses doigts.
— Ah ça ! C'est juste parce que je n'entre dans aucune de vos cases, je viens de l'extérieur. Si je devais deviner, je dirais que je suis quelque part entre le rouge et le beige. Mais vu que je ne connais pas le contenu de vos cours, il m'est difficile d'en être certaine.
Nous descendîmes dans les profondeurs du château. Théophile utilisait les clés de son trousseau pour déverrouiller les portes sur notre chemin. Je ne m'étais pas encore aventurée dans cette partie du bâtiment et fus surprise de ressentir une présence sinistre entre les murs. Plus notre destination se rapprochait, et plus la sensation devenait désagréable. Comme si l'air venait à manquer dans le couloir. Ajouté à la pénombre ambiante, cela créait un cocktail angoissant à souhait. J'eus soudain envie de faire demi-tour mais je me forçai à continuer : seul un sort très puissant pouvait avoir cet effet-là. Et j'avais envie de savoir ce qu’il pouvait bien dissimuler.
La dernière porte donnait sur une pièce circulaire pleine de livres, de poussière et de toiles d'araignées. J'allumai toutes les bougies d'un coup, au grand étonnement de Kaylee, ce qui nous permit de découvrir la réserve.
— Mon prédécesseur a entreposé ici tous les ouvrages qu'il considérait comme dangereux, nous apprit Théophile. Des chercheurs lui avaient demandé de ne pas les détruire car ils voulaient les étudier plus tard. Mais cela fait des années que je n'ai pas mis les pieds dans cet endroit !
Je ne l'écoutais plus. Mon attention était toute entière pour la vitrine qui se trouvait devant moi. A l'intérieur était rangé un épais grimoire de couleur noire. Je m'approchai, comme hypnotisée. Le pendentif que je portais était incandescent contre ma peau mais je n'y prêtais pas plus attention.
Car devant mes yeux se trouvait la dernière chose que j'aurais cru voir dans un bâtiment de la Fondation. Le seul, l'unique, l'original du journal de Hopper ! Je souris : Lor était enfin à ma portée !
— Tout va bien ? me demanda Théophile, pour me sortir de ma transe.
— Mieux que jamais, dis-je alors que je dévorais le livre du regard. Vous avez un vrai trésor ici, vous savez ?
— Ce vieux recueil de contes ?
— Ce n'est pas qu'une histoire. Et je rêve de mettre la main dessus depuis des années !
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