Nous étions arrivés au monastère. Tout y était plongé dans l'ombre, pas un chat. La lune était encore haute dans un ciel dégagé, nous avions le temps. Je quittai Arthur à l'entrée et marchai lentement dans les couloirs sombres. Si tout avait été différent, aurais-je pu passer quelques années tranquilles entre ces murs ? Qu'aurait été ma vie si je n'avais pas rencontré Jake ce jour-là ? J'aurais plus que certainement continué ma petite existence banale. J'aurais été en cours, vécu tranquillement avec ma famille, sans me douter une seule seconde du pouvoir qui sommeillait en moi.

Je caressai la petite montre dorée à mon poignet. C'était le seul objet qui me rattachait à ma vie d'avant. Je pensai à mes parents. Ils ne sauraient jamais que j'étais partie et se demanderaient ce que j'étais devenue. Quoique, vu mon silence de ces dernières années, ils avaient déjà dû s'inquiéter plus que de mesure. Penser à eux me rendit triste et nostalgique et j'eus envie de les appeler. Je connaissais le numéro de la maison, ce ne serait pas un problème… Puis, je me raisonnai : cela ne servirait à rien. Non seulement je n'irais pas les voir mais cela pourrait même les mettre en danger. Je savais que la Confrérie ne reculerait devant rien pour m'atteindre. Ce soir, j'avais eu de la chance, beaucoup de chance.

Je poussai doucement la lourde porte en bois du dortoir des apprentis. Tout était tranquille, on n'entendait que le souffle régulier des dormeurs dans la pièce. Mes pas faisaient à peine grincer les lattes de bois tandis que je me frayais un chemin entre les malles et les lits.

Je m'arrêtai devant l'un d'entre eux. J'aimais bien regarder Ian dormir. C'était un enfant particulier, je l'avais su dès le premier jour. Bon, d'accord, tous les enfants ici avaient les mêmes dons mais, pour moi, Ian resterait toujours mon petit apprenti. Même si le temps passait bien trop vite…

Je fus soudain prise d'un doute. Avais-je le droit de décider ainsi pour lui ? Je pouvais me retourner et partir, il aurait un avenir ici, une vie heureuse. Je me rendis compte qu'Arthur avait raison : Lor pourrait se révéler dangereux, trop dangereux pour y emmener un enfant.

— Eileen ? Qu'est-ce que tu fais là ? Dis, on s'en va enfin ? S'il te plaît…

Je me perdis dans ses grands yeux tristes. Non, je ne pouvais décidément pas l'abandonner ici. Je me maudis pour ma faiblesse. Un jour, je le savais, il m'en voudrait.

— Chut, mon trésor… Ne réveille pas les autres. Habille-toi vite, on n'a pas beaucoup de temps.

Il se leva, excité comme jamais. Pendant qu'il mettait ses vêtements, je me rendis rapidement au bout du couloir pour prendre mes quelques affaires. Mon sac était déjà prêt depuis huit semaines, je n'avais rien déballé depuis mon arrivée au monastère. J'y ajoutai mon carnet et ceux de Jake, puis regardai une dernière fois autour de moi. Cet endroit aurait pu devenir ma nouvelle maison…

Nous descendîmes silencieusement en bas. Je ne savais pas où pouvait bien être Arthur et je fus surprise de m'en inquiéter. Je sentais Ian trépigner d'impatience et me forçai à me calmer. Pour l'instant, tout se passait bien.

Arthur revint avec des cordelettes et deux gros sacs. Je ne savais pas ce qu'il avait pu mettre dedans mais ils pesaient un bon poids.

— C'est pourquoi ces cordes ? demandai-je.

— Ah ça, ce sont des liens magiques. Tu en verras l'utilité tout à l'heure. On y va ?

Je hochai la tête. Ian ne semblait pas convaincu mais acquiesça tout de même. Je pouvais sentir la question dans son regard. Pourquoi lui ?

— Je ne sais pas, mon trésor… Tu me crois, dis ?

— Oui.

— C'est bien. Tout va bien…