L'agent tapotait sur l'écran de sa tablette, concentré. Il semblait avoir mis ses soupçons de côté pour le moment.

— Les voraces sont juste des prédateurs, commença-t-il pensivement. Un fléau dont on essaie tant bien que mal de se débarrasser… Les strys sont quant à eux bel et bien intelligents ! Et ils n'accordent pas leur confiance à n'importe qui. On dit même qu'ils sont capables de lire au fond de notre cœur… Mais cela n'a jamais été prouvé ! Quoi qu'il en soit, bienvenue à Milasi !

Il me tendit deux médaillons transparents attachés à de fines chaînes argentées.

— Gardez-les tout le temps bien en vue, dit-il en indiquant le sien. Ce sont vos passe-droits partout où vous allez. Sans cela, pas de toit ni de repas !

Il se baissa ensuite pour fouiller dans l'un des tiroirs du bureau avant d'en sortir deux tablettes semblables à la sienne.

— Les pads sont à configurer avant utilisation. Ils vous seront très utiles que ce soit au travail ou aux études. En parlant de cela, dépêchez-vous de trouver un établissement pour votre fils avant la rentrée. À l'automne, tous les enfants doivent être inscrits à l'école ! Bon, maintenant, je suis à votre disposition si vous avez des questions. Je suppose que vous avez du remarquer des choses étranges en arrivant en ville, non ?

— Bien sûr ! L'aubergiste nous a affirmé qu'il n'était pas nécessaire de payer pour le repas. Et puis, il n'y avait pas l'électricité à l'intérieur alors que dehors bien.

— Bien observé ! Ce sont en effet deux grosses différences entre Lor et la Terre.

— Comment ça ?

— Je vais tenter de vous expliquer avec une image que vous avez déjà dû voir. Regardez, je montre ceci à tous les nouveaux arrivants.

Il tourna l'écran de sa tablette vers nous. On pouvait y voir deux représentations d'une tête vue de profil. Mais à la place du cerveau, c'étaient des zones de différentes couleurs qui s'affichaient. On pouvait y lire « argent », « joie de vivre », « aide à la communauté » et d'autres. Je comparai rapidement les deux schémas et la différence me sauta immédiatement aux yeux.

— Je crois que je comprends, dis-je. Quand l'argent n'est plus une préoccupation constante, on pense plus à d'autres choses comme le fait d'aider son prochain ou de développer sa créativité.

— C'est exactement ça ! A Lor, l'argent n'existe pas. Il a été remplacé par une monnaie bien plus valable : le temps. Tous les adultes ont un travail. Le temps que vous passez à travailler est comptabilisé dans la puce contenue dans le médaillon. Quand vous avez besoin de vous procurer quelque chose, il suffit de passer le pendentif devant le pad du commerçant.

— Alors on ne peut pas tout avoir ?

— Non, pas tout de suite en tout cas. Certaines choses prennent plus de temps à produire. Il faut alors travailler plus longtemps pour pouvoir se les offrir.

— Mais comment se fait-il que tout le monde travaille ? Il n'y a pas de chômage ?

— C’est un problème purement terrien. Nous avons choisi un modèle de développement différent. Contrairement à ce qui se passe sur Terre avec vos gigantesques entreprises tentaculaires, chaque cité de Lor est auto-suffisante. Cela signifie par exemple que tout ce qui est consommé à Milasi est produit dans ses environs. On n'importe que très peu de produits de l'intérieur des terres. De plus, nous n'utilisons pas d'énergies fossiles. Comme l'électricité est assez difficile à produire, cela signifie beaucoup moins de machines. Tout le monde doit donc contribuer, du petit producteur au commerçant de la place du marché.

— C'est donc pour cela que nous ne pouvions pas allumer la lumière hier soir ?

— En effet. Cette région de Lor est très ensoleillée. Le rendement des panneaux solaires assure donc l'apport en énergie pendant la journée. Mais cette électricité n’est que difficilement stockée. Nos ingénieurs ont bien entendu mis au point des batteries performantes, mais elles ne peuvent couvrir toute la consommation de la ville. Alors une fois le soleil couché, ce ne sont plus que les éoliennes et l'énergie des vagues qui l’alimentent. Quelques fois, quand il y a peu de vent comme hier, cela ne suffit plus et on rationne alors certains quartiers, afin de garantir l’approvisionnement des objectifs critiques. Mais cela n'arrive pas très souvent à Milasi, rassurez-vous ! Par contre, plus à l'intérieur des terres, la différence est notable.

— Je comprends mieux, dis-je. Alors, pour pouvoir vivre ici, je devrai me trouver un travail assez rapidement…

— Oui, mais ça ne posera pas trop de problèmes dans votre cas. Il est assez difficile de trouver un traducteur compétent de nos jours… Vous avez complété le dossier dans la langue locale et je lis ici que vous parlez allemand, français et un peu d’anglais. Si vous le souhaites, Alma a un arriéré de dossiers assez conséquent !

— C'est assez tentant en effet, dis-je avec un sourire. Je vous remercie pour votre temps !

Il écrivit rapidement un petit mot à destination de son collègue à Alma avant de nous laisser partir. Sans le savoir, l’homme me poussait à me rendre exactement là où je voulais aller.

Arthur avait l'air de s'ennuyer ferme dans la salle d'attente.

— Qu'est-ce qui vous a pris aussi longtemps ? demanda-t-il.

— Oh rien ! Je me suis juste trouvé un travail…

— Et sinon, tout s'est bien passé ?

— Excellent, dis-je en indiquant nos médaillons.

— Moi aussi.

Nous quittâmes l'immeuble pour la rue bruyante où les passants me semblèrent encore plus nombreux que ce matin. Du haut de cette colline, on pouvait distinguer au loin le reflet de la mer turquoise ainsi que les mâts de quelques voiliers.

— Et maintenant ? demanda Arthur.

— Maintenant, on va à Alma ! s'exclama Ian.

— Oui, Alma, confirmai-je.

Le sorcier me jeta un coup d’œil malicieux.

— Et c'est par où, cet endroit ?

— Aucune idée, dus-je avouer.