Chapitre 4 - Partie 3

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  Après qu'il eut enfermé les autres femmes à double tour, je le suivis à travers de larges couloirs. Contrairement à la chambre, ils étaient tous sauf pauvres et décrépits. De belles boiseries dorés ornaient les murs blancs et anis. De nombreux tableaux en tout genre habillaient l'espace : paysages, portraits, natures mortes, et d'autres, plus étranges, avec des formes géométriques et très simples qu'un enfant aurait été capable de peindre. Des tableaux de l'Ancien Temps.

  –Dis-moi, que fait une Illiosimerienne aussi loin de chez elle ?

  Surprise, je sursautai et m'arrêtai. L'homme se retourna.

  –Alors ?

  –Qui vous dit que je suis Illiosimerienne ?

  –Je reconnaîtrais ce grain de peau doré entre mille.

  L'éclat de luxure dans son regard me donna une bonne idée de la façon dont il appris à connaître aussi bien ce « grain de peau doré ». Un frisson de dégoût me traversa.

  –Je voyage...

  –C'est tout de même loin, commenta-t-il en se remettant en marche.

  –Et vous ? Pourquoi rassemblez-vous des filles ?

  Si mon ton accusateur ne lui échappa pas, il n'en montra rien ; il avait de nouveau ce sourire qui me perturbait. Il fit demi-tour et s'avança vers moi. Je reculai instinctivement mais finis par me retrouver bloquée entre lui et le mur. Il plaça ses mains de part et d'autre de mon visage, puis se pencha vers moi. J'eus du mal à respirer.

  –En te voyant toute tremblante, j'ai cru que tu avais perdu ta hargne, Émis. Je suis heureux de constater qu'il n'en est rien.

  –Je ne vous ai jamais vu, rétorquai-je d'une voix tranchante.

  –Mais bien sûr que si : il y a quelques heures dans le bureau Gérard.

  Avec le patron de la maison Irigyés ? Je plongeai mon regard dans le sien, dans ses yeux profonds, brillants d''intelligence, d'un vert si clair... un vert semblable à du péridot. Mon cœur bondit dans ma poitrine. Cette couleur... Je l'avais vu juste avant de m'endormir ! Cet homme était l'inconnu qui avait empoisonné Magdalena avant de me droguer ? Mais comment était-ce possible ? Il avait au moins pris vingt ans depuis ! Pourquoi certaines personnes avaient-elles vieilli ou rajeuni en mettant les pieds ici ? Je ne comprenais pas, c'était inconcevable. Si encore elles avaient été des Métamorphes, il y aurait eu une explication. Mais Hermine et Ottilie avaient les cheveux noirs et les yeux bruns ; cette combinaison ne se trouvaient que chez les humains si je croyais ce que j'avais appris chez Freyja.

  –Pour répondre à ta question, Émis, reprit l'Inconnu, je suis un collectionneur.

  Il sortit le trousseau de clefs de sa poche, puis ouvrit la porte la plus proche. D'un geste de la main, il m'invita à entrer dans la pièce.

  –Après toi.

  Je m'y rendis à pas lents, appréhendant ce qu’elle renfermait.

  Rien n'aurait pu me préparer à cela.

  –Impressionnée, pas vrai ? s'amusa mon kidnappeur.

  Bouche bée, je fis un tour sur moi-même. Tous les objets autour de nous dataient de l'Ancien Temps ! Je n’en croyais pas mes yeux ! Jamais je n’en avais vu autant rassemblés dans un même endroit. Des bibliothèques étranges longeaient une partie des murs. Des meubles aux lignes géométriques, dont certains défiaient la gravité, occupaient l’espace avec plus ou moins d’harmonie. De nombreuses plaques en verre sombre, parfois fissurées, entourées d'un revêtement emplissaient une partie des étagères. Les plus grandes reposaient même sur un pied, dans leur largeur. Certaines d'entre elles étaient reliées à des boitiers plats avec une fente. Il y avait aussi plusieurs de ces plaques de verre qui se rabattaient sur une tablette remplie de touches avec des lettres, chiffres et symboles étranges. D'énormes caissons se tenaient aux quatre coins de la pièce. Un fin tissu noir couvrait la face tournée vers nous, laissant entrevoir des cercles incurvés vers l'intérieur par transparence. Une guitare à la caisse en forme de triangle mais sans rosace pour la résonance reposait sur un présentoir. Une grosse statue de chien rose à chapeau, mais avec une oreille et une patte manquantes, était disposée sur la surface d'un buffet. D'autres figurines de toutes tailles, de toutes formes et de tous matériaux décoraient la pièce, dont des petites voitures sans chevaux, semblables à celles que j'avais offertes à mes enfants.

  Au milieu de cette multitude de reliques, une seule chose accapara cependant mon attention : l'homme sans vie assis sur le canapé en forme de nuage qui lévitait à plusieurs dizaines de centimètres du sol.

  –Vous l'avez tué ?

  L'Inconnu s'en approcha et posa une main sur son épaule.

  –Qui ça, lui ? (Il éclata de rire.) Bien sûr que non, il n'a jamais vraiment vécu.

  –Comment ça ?

  –C'est un robot.

  –Un robot ?

  Il pencha le corps en avant, puis appuya sur sa nuque. Je retins un cri quand une petite trappe s'ouvrit dans sa chair. Il en sortit une toute petite carte noir parcourue d’une multitude de fils de bronze.

  –Tu vois, il n'a rien d'humain. Sans cette carte puce et électricité, il ne peut pas bouger.

  Il remit la carte à sa place, l'enfonçant dans la nuque, et referma la trappe avant de repositionner correctement le robot sur le canapé. J'avais envie de vomir.

  –Vêtements, ordinateurs, téléphones portables, guitare électrique, consoles de jeu, hoverbords, enceintes, dispositifs de vol personnel, lunettes de réalité augmentée, imprimeurs de vêtements, drones, enregistreurs de rêves, téléporteurs, même des robots dernière génération, énuméra l'Inconnu en me montrant certains objets. Je possède tout et même plus que tout ce que tu as déjà vu de l'Ancien Temps. Mais ma collection... (Il fronça les sourcils.) Pourquoi pleures-tu ?

  Comment ?

  Je passai mes doigts sur ma pommette et fus surprise de la sentir trempée. J'étais vraiment en train de pleurer. Mais pourquoi ? Je n'étais pourtant pas triste, seulement stupéfaite par cette abondance de reliques.

  L'homme revint vers moi et posa sa main sur ma joue. Je la retirai d'un revers violent. De quel droit me touchait-il ?! Alors que je reculai d'un pas, il revint à la charge. D'un geste vif, il emprisonna mes poignets et empoigna mon visage avec force.

  –Je disais donc que ma collection n'était pas encore complète, reprit-il. Mais maintenant que j'ai mes cinq... six petites femmes, elle l'est.

  –Nous ne sommes pas des objets, crachai-je.

  –Cela ne change rien, tu m'appartiens, objet ou pas, précisa-t-il froidement. Alors maintenant, finis les questions, tu vas jouer pour moi.

  Il relâcha mon visage, mais garda mon poignet fermement prisonnier de sa main pour me forcer à le suivre.

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