Chapitre 5 - Partie 1
KALOR
Lancé à grand galop, Skinfaxi fondait vers la ville, ralentissant à peine lorsque la route s'incurva à mi-chemin. Les contours de la capitale se dessinèrent enfin au loin. Vu notre vitesse, nous y serions d'ici quinze minutes.
Nous...
Mes muscles se crispèrent tandis que je coulais un regard sur le côté. Le Marquis Marcus me suivait toujours un peu en retrait, sans mot dire. Répondant en écho à mon malaise, mon pouvoir s'agita à nouveau ; je m'empressai de le remettre à sa place. J'avais promis à Freyja de faire des efforts, de ne plus l'enfermer et le renier ainsi, mais avec cet homme je ne pouvais le laisser parcourir mes veines.
Un Gardien... Qu'avais-je fait pour me retrouver dans une situation pareille ? Je n'aurais pu tomber sur pire compagnon. Pourquoi n'était-il pas un simple humain ? Il m'aurait été si facile de lui fausser compagnie et enquêter librement. Chose impossible avec un Lathos de sa race. Il me serait impossible de le semer tant que je me trouverais dans son rayon de détection ; même au milieu d'un centaine de Voyageur, il saurait me localiser. Je pouvais toujours me téléporter, mais cela risquerait de me le mettre à dos et je ne pouvais me le permettre. Je ne pouvais non plus retrouver Freyja à présent. Elle fuyait la Cause comme la Punition et elle m’attendait chez la mère de Magdalena, une Liseuse. Il était hors de question que je guide un Gardien jusqu’à elles.
Pourquoi le général Marcus n'avait-il pas choisi quelqu'un d'autre ? Seulement parce qu'il était son fils ?
Je me forçai à détacher mon attention de ses yeux dorés pour l'étudier un peu plus en détails. Comme tout à l'heure, son regard et son visage n'exprimait nulle émotion ; malgré la situation, il était parfaitement calme. Il avait un physique plus svelte que le mien, mais indéniablement musclé... un physique bâti pour la vitesse. Au lieu d'une épée, comme chez la plupart des soldats, trois poignards ceignaient sa taille du côté droit et deux autres sa cuisse. En avait-il autant du côté gauche ? Un tel équipement ne se trouvait qu'entre les mains de ceux préférant le combat rapproché. En plus de toutes ces lames, il possédait un carquois plein et une arbalète loin d'être courante : une arbalète à double traits. Je ne connaissais qu'une poignée de personne capable de se servir correctement d'une telle arme.
Le Marquis César Marcus ne l'avait pas envoyé uniquement parce qu'il était son fils ; l'enjeu était trop important, trop lourd de conséquence en cas d'échec. Il l’avait envoyé car il s'agissait de son meilleur élément, et malheureusement pour moi, un Gardien.
Mais, une seconde... Le général avait les yeux bruns et les cheveux noirs, même s'ils s'étaient éclaircis avec l'âge ; ce qui signifiait qu'il était humain. L'homme qui m'accompagnait était-il vraiment son fils ? Les Gardiens étaient pourtant connus pour être la seule race à avoir conservé leur pureté, à ne pas avoir introduit de sang humain dans leurs lignées. Était-ce différent à Illiosimera ? Le Marquis Arès Marcus était-il vraiment un métis ? Dans le cas contraire, sa mère avait-elle eu une aventure avec un Lathos afin d'avoir un descendant au sang pur, ou avait-elle eu son fils d'un premier mariage avec un Lathos, puis s'était remariée avec le Marquis César Marcus, à la suite du décès de son premier époux ?
–Prince Kalor ?
Je ramenai immédiatement mon attention sur le visage du jeune Marquis. Il avait conduit sa monture à ma hauteur et quitté la route des yeux pour se tourner vers moi. Mon malaise empira lorsque son regard doré plongea dans le mien.
–Mon père ne m'a que très succinctement expliqué la situation avant de m'envoyer vous rejoindre. Pouvez-vous me donner plus de détails ? Depuis quand votre femme a-t-elle disparu exactement ? Y a-t-il eu une demande de rançon ? Savez-vous par où commencer nos recherches ?
La tension dans mes épaules s'accentua. Dame Nature, comment pouvais-je expliquer la présence de Lunixa dans un lupanar ?! Puisque je ne pouvais me débarrasser de lui, il allait finir par savoir qu'elle avait mis les pieds dans un tel établissement. Je devais absolument trouver une justification qui ne la condamnerait pas !
–Elle a disparu cette nuit, vers trois heures du matin, commençai-je d'une voix posée malgré mon état. Il n'y a pas eu de demande de rançon... mais je crois savoir ce qu'il s'est passé et qui est responsable.
–Je vous écoute.
–Elle... Vous n'êtes pas sans savoir que ma femme est d'origine roturière. (Il opina). Il se trouve que le poids de la cour et des responsabilités lui pèse parfois, alors il lui arrive d’aller en ville pour se mêler au peuple et se changer les idées.
–Je ne voudrais pas paraître grossier, mais avec sa chevelure, elle ne passe pas inaperçu.
–Je lui ai donné l'autorisation de la teindre en noir pour cacher son identité. Je sais que ce n'était pas prudent ; ses cheveux blancs sont loin d'être discrets mais ils la rendent reconnaissable au premier coup d’œil ; personne n'oserait s'en prendre à elle impunément. Cependant, ils l'empêchaient aussi de prendre cette bouffée d'air frais dont elle avait besoin, alors quand elle m'a demandé si elle pouvait les teindre, j'ai dit oui.
Lorsque cette histoire parviendrait aux oreilles de mon père, j'allais recevoir le blâme du siècle, mais au moins, sa colère ne serait pas entièrement dirigée contre Lunixa.
–Donc celui qui l'a enlevé ne sait pas forcément qui elle est réellement, conclut le Marquis Marcus en reportant son regard sur la route.
–Il y de forte chance.
–Et concernant son identité ? Vous disiez avoir une idée.
Alors que je pensais que j’aurais du mal à trouver une justification, le mensonge vint de lui-même.
–Lunixa s'est lié d'amitié avec quelques personnes sous cette apparence, dont une courtisane.
–C'est inattendu.
–Elle l'a seulement découvert il y a un mois, quand cette femme l'a emmenée dans une maison de plaisir pour la présenter à son patron. Et cet homme... lui a proposé de commencer la formation des filles de plaisir. Lunixa m'a avoué ce qu'il s'était passé dès son retour au palais et je lui ai tout de suite ordonné de ne plus la fréquenter, ce qu'elle avait déjà décidé de faire.
» Puis, il y a une semaine, une enquête a été ouverte à cause de la disparition de plusieurs prostitués de cette même maison. Alors j'ai demandé à Lunixa de ne plus aller en ville seule, même pendant la journée, tant que le coupable ne serait pas arrêté. Elle m'a obéis sans contester.
–Pourtant, elle est sortie cette nuit.
J'opinai et repris l'histoire sans avoir à réfléchir ; les mots continuaient de s'enchaîner avec la même fluidité qu'au début.
–Après tous ces mois loin d'Illiosimera, elle était très stressée par votre arrivée. Elle a dû avoir envie de se changer les idées et s'est rendue à la capitale par habitude.
–Si je comprends votre raisonnement, vous pensez que le responsable des disparitions est celui qui a enlevé votre femme.
–Exactement. Le suspect principal de l'enquête est le patron qui lui a été présenté. Lunixa lui avait clairement fait de l'effet, sinon il ne lui aurait pas proposé de devenir une courtisane aussi vite. C'est pourquoi j'étais devenu aussi strict sur ses sorties ; je craignais que d'une façon ou d'une autre, cet homme s'approche à nouveau d'elle pour de mauvais desseins. Certes elle n'est pas une fille de plaisir, contrairement aux autres disparues, mais lorsqu'elle sortait avec les cheveux noirs, elle devait passer pour une étrangère sans famille. Alors...
–Alors elle constituait une cible de choix, compléta le Marquis. Si ce proxénète est bien responsable et qu'il la désirait vraiment, comme vous le sous-entendez, il a dû être frustré par son refus et de ne plus la revoir. Donc s'il l'a croisé cette nuit, seule et sans défense, il n'a pas dû laisser passer l'occasion de se l’approprier.
Se l'approprier...
Mes doigts enserrèrent les rênes avec force tandis que mon pouvoir se rependait à nouveau dans mes veines sans mon assentiment. Cet homme allait regretter d'avoir posé la main sur elle, j'en faisais le serment.
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