Chapitre 10 - Partie 2

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  Je me redressai en sursaut, le visage ravagé de larmes et le corps secoué de violents tremblements. Où étaient mes enfants ? Où était l'Horloger ? Je ne voyais plus rien, me trouvais de nouveau plongée dans les ténèbres.

  Un bruit que je ne m'attendais pas du tout à entendre s'éleva soudain autour de moi. Était-ce un léger... ronflement ? Lorsqu'il se produisit à nouveau, la brume autour de mon esprit s’estompa. Une vague de soulagement me submergea. Ce que je venais de vivre n'était pas réel. J'étais prisonnière de cette chambre, de ce manoir, de l'Horloger ; je ne pouvais avoir assisté à l'arrestation de mes enfants et il ne pouvait les avoir tués avec son pouvoir. Tout ça n'avait été qu'un effroyable cauchemar. L'aveu de Magdalena par rapport à ma véritable identité, notre enlèvement... Autant de chocs en aussi peu de temps était mauvais pour mes terreurs nocturnes.

  Encore secouée, je ramenai mes jambes contre moi et posai le front sur mes genoux.

  Ils vont bien, ne t'inquiète pas. Tout ça n'était que le fruit de ton imaginat...

  –Un cauchemar ?

  Mon cœur manqua un battement. Surprise, je relevai la tête et balayai l'obscurité du regard, à la recherche de l'adolescent à qui devait appartenir cette voix juvénile.

  J'eus beau me concentrer, il y avait tant d'arbres devant la fenêtre que seuls de très fins filets de lumière lunaire parvenaient dans la pièce. Mes yeux n'arrivaient pas à distinguer ce qui se trouvait à plus d’un mètre de moi.

  –Qui est là ?

  Les pieds d'une chaise raclèrent le sol, puis des bruits de pas s'approchèrent. Mes muscles se tendirent. Au bout de quelques secondes, une silhouette se découpa dans l'obscurité. Elle s'avança encore et je parvins enfin à le voir. Il s'agissait d'un jeune adolescent, entre quatorze et quinze ans. Mais il possédait cet éclat dans le regard... un éclat qu'aucun garçon de son âge ne devrait avoir. Un vague de nausée me gagna.

  L'Horloger...

  Instinctivement, je remontai la couette sur ma poitrine et m'écartai de lui. Il s'arrêta à côté du lit, puis s'assit sur le bord du matelas. Mes muscles se crispèrent davantage lorsque je vis ses yeux m'inspecter avec minutie.

  –Ton cauchemar devait être particulièrement violent pour que tu trembles encore, ma douce. De quoi as-tu rêvé ?

  Entendre son intonation doucereuse, la même qu’il avait plus âgé, de la bouche d'un jeune garçon me donna envie de vomir. Jamais de ma vie je n'avais vu quelque chose d'aussi malsain, pas même le robot de sa collection.

  –Que faites-vous ici ? demandai-je. Et pourquoi cette apparence ?

  Le coin de ses lèvres se souleva. L'air suffisant que cela procura à son visage juvénile accentua ma nausée.

  –Je me suis toujours endormi plus facilement à cet âge-là mais cette nuit, je pensais à trop de choses pour y arriver. Alors je suis venu ici, admirer les pièces maîtresses de ma collection. Vous observer dormir est… apaisant. Maintenant, parle-moi de ton cauchemar.

  –Non.

  Hors de question !

  Aussi vif qu'un éclair, il saisit mon visage en coupe et plongea son regard dans le mien. Je me raidis totalement.

  –Allons, ma douce. Si tu n'en parles pas, il risque de se reproduire et de te maintenir éveiller le reste de la nuit, alors que tu as besoin de dormir. N'oublie pas que notre union à lieu demain.

  Un frisson dévala mon échine. Comme si je pouvais oublier une chose pareille !

  –Donc dis-moi, quel horrible monstre hante tes songes ?

  Le désir de ne plus sentir sa main sur ma peau, de le voir s'éloigner de moi m'aida à rassembler mes esprits et à concocter un mensonge.

  –J'ai rêvé que mes parents avaient abandonné l'idée de me retrouver et qu'ils quittaient Talviyyör, ne pouvant rester plus longtemps dans le pays où j'ai disparu.

  –C'est vrai que contrairement à ce que tu avais assuré à Gérard, tu as une famille...

  –Oui... et dans mon rêve, j'avais beau les appeler, leur dire que j'étais là, ils ne se sont pas retournés et sont montés sur le navire pour retourner à Illiosimera.

  –Je vois...

  Il se leva, puis s'écarta enfin. Mes poumons se remplirent à nouveau. Je n'avais pas remarqué que j'avais retenu ma respiration depuis la seconde où ses doigts s'étaient posés sur moi. Même s'il se trouvait à présent près de la fenêtre, le regard perdu dans l'horizon et les traits adoucis par la très faible luminosité, je ne baissai pas ma garde : mes yeux le fixaient avec méfiance, surveillaient le moindre de ses gestes.

  Sans détourner son attention du paysage nocturne, il pencha la tête sur le côté.

  –Illiosimera... murmura-t-il, songeur. Ça me rappel tant de choses.

  Un sourire empreint de nostalgie se dessina sur son visage. Il resta plongé dans ses souvenirs durant près de cinq minutes avant de reprendre la parole.

  –Célébrez-vous toujours la fête de l'Anamnisi ?

  –Oui.

  Qu'il la connaisse n'aurait pas dû m'étonner puisqu'il avait passé du temps à Illiosimera, mais une pointe de dégoût me gagna. Savoir que cet homme avait un jour mis les pieds dans mon pays natal me rendait malade. Y avait-il aussi enlevé des femmes ? Qu'avait-il fait de toutes celles qui nous avaient précédées ?

  –Je la préfère à la fête du Renouveau, poursuivit-il. Elle ne rend pas directement hommage à Dame Nature, les activités sont divertissantes et les costumes... intéressants.

  À ces mots, son sourire changea du tout au tout, passant de la nostalgie à la luxure. Il se tourna vers moi et me détailla avec convoitise.

  –Tu es grande et fine. Porter une robe fendue jusqu'en haut de la cuisse doit t'aller comme un gant.

  Je l'incendiai du regard. Comment osait-il salir les coutumes de mon pays avec ses pensées perverses ? Oui, certaines femmes, même des nobles, se permettaient de dévoiler leurs jambes en ce jour, mais cela n'avait rien de vulgaire ! Nous célébrions une époque où nos ancêtres vivaient en harmonie avec la Déesse !

  Ne supportant plus de le voir ou de lui parler, je me rallongeai et remontai la couette jusqu'à mon nez. Je ne fis toutefois pas l'erreur de lui tourner le dos. Je serrai les dents lorsqu'il revint près de moi pour passer la main dans mes cheveux.

  –Pardonne-moi, ma douce, je parle, je parle et j'en oublie que tu te dois reposer. Tu peux fermer les yeux sans crainte, je vais veiller sur toi et ton sommeil.

  Il déposa un baiser sur ma tempe, puis retourna s'asseoir autour de la table. J'avais beau savoir qu'il se trouvait au milieu de la chambre, à quelques mètres de moi, j'avais encore l'impression qu'il se tenait à mes côtés, allait caresser mon visage d'un instant à l'autre. Sa présence m'oppressait.

  Mes muscles parvinrent seulement à se détendre quand il quitta la pièce, longtemps après mon réveil.

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