Chapitre 15 - Partie 1

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KALOR


  Les derniers rayons du soleil avaient disparu. Une journée... J'avais de nouveau passé une journée à courir à travers les bois sans rien trouver. Combien de temps allait-il nous falloir pour tomber sur ce maudit manoir ? L'idée que Lunixa passe une nouvelle nuit prisonnière de l'Horloger faisait gronder la colère en moi, attisait mon pouvoir. Les soldats que j'avais croisé cet après-midi m'avaient indiqué le déploiement des équipes dans la forêt, aussi le Marquis Marcus et moi avions pu orienter nos recherches. Pourtant cela ne m'avait pas avancé davantage. Je n'avais pas vu l'ombre d'une habitation au milieu de ses innombrables arbres. Les soldats ou le Marquis avaient-il eu plus de chance ? Il restait quelques heures avant que je ne retrouve ce dernier pour faire le point. Quelques heures durant lesquelles je pouvais encore progresser.

  Skinfaxi sauta au-dessus d'un tronc affaissé tandis que je balayais l'horizon du regard. Ce soir, le ciel découvert permettait à la lune de déployer sa clarté. Elle peinait à filtrer à travers les feuillages mais le peu qui y parvenait me suffisait. Des restes de neige renforçaient cette très faible lumière en la réfléchissant et le vent qui soufflait à travers les branches les déplaçait légèrement, permettant aux rayons de ne pas toujours tomber au même endroit et d'éclairer davantage d'espace. Mes yeux s'étaient aussi habitués à l'obscurité ambiante et voyaient assez loin pour que je dirige ma monture sans avoir à allumer de torche.

  Apercevant un énorme rocher du coin de l’œil, je me concentrai sur ma direction et intimai à mon cheval de ralentir, le temps de le contourner. Je le relançai au galop dès que cet obstacle se retrouva derrière nous.

  Quelque chose jaillit soudain des fourrés à ma gauche.

  Par la déesse !

  Je tirai immédiatement sur les rênes pour arrêter Skinfaxi. Il se cabra dans la seconde en poussant un hennissement puissant et un cri lui répondit. Alors que ses sabots retombaient sur le sol dans un bruit mat, je baissai les yeux, surpris par ce son. Ce n'était pas un cri animal, mais humain. Mon regard rencontra celui d'une fillette par terre. Tremblante de la tête aux pieds, les yeux écarquillés, elle me fixait d'un air horrifié. D'où venait-elle ? Avec son étrange accoutrement qui me rappelait les tenues de l'Ancien Temps, elle semblait sortie d'une autre époque.

  –Otti ? Tout va bien ? s'écria une femme.

  Cette dernière jaillit à son tour des broussailles. En me voyant, elle se précipita vers la petite, la redressa, puis la fit passer dans son dos, comme pour faire rempart de son corps entre l'enfant et moi. Lorsqu'elle releva son visage pour me faire face, le pouvoir sous ma peau s'enflamma. Sa photo se trouvait dans le dossier des disparues.

  De nouveau bruissement se firent entendre.

  –Ne viens pas ! hurla la jeune femme sans me quitter des yeux. Il y a quelqu...

  –Berta Dobrota ?

  Elle cilla plusieurs fois.

  –Vous... me connaissez ?

  Avant que j'aie le temps de répondre, les feuillages s'agitèrent encore et une nouvelle femme vêtue à la mode de l'Ancien Temps nous rejoignit. Une femme bien plus petite que moi et à la chevelure aussi flamboyante que le feu qui couvait dans mes veines.

  Mon cœur manqua un battement tandis que tout l'air de ses poumons lui échappait

  –Magdalena...

  –Alt... Kal... murmura-t-elle.

  Je descendis de selle et m'avançai vers elle, interdit. Ses cheveux avaient sauvagement coupé. Le clair de lune ne devait pas aider, mais elle me semblait plus pâle que d'habitude. Ses yeux brillaient d'un léger éclat fiévreux et elle était essoufflée. Cependant, elle n'avait pas l'air d'être blessée. Le soulagement qui m'envahit à ce constat fut si grand que je l'attirai contre moi dans une brève étreinte. Magdalena se crispa.

  –Merci, soufflai-je en la relâchant. Si tu n'avais pas averti Freyja, nous n'aurions pas su où commencer.

  Des larmes gagnèrent ses grands yeux.

  –Elle a eu mon message ?

  –Oui, et elle me l'a transmis.

  Submergée par ses émotions, elle laissa échapper un petit rire et ses larmes roulèrent sur ses joues. Gardant une main sur son épaule, je me tournai vers les fourrées mais personne d'autre n'en sortit. Elles étaient six à avoir été enlevée ; il n'y en avait que deux autour de moi, ainsi qu'une enfant. Non... pas une enfant, une jeune femme rajeunie que Dobrota surnommait Otti. Ottilie Herstski.

  Le soulagement que j'avais ressenti disparu, chassé par une vague de douleur qui m'enserra le cœur et de colère qui raviva le brasier en moi.

  –Où sont les autres ? Où est Émis ?

  –Je suis navrée, s'excusa Magdalena en essuyant son visage. Je n'en ai aucune idée. Nous ne savons pas exactement ce qu'il s'est passé. Elle est revenue dans la chambre pour nous dire qu'il fallait partir. Ça a mis notre ravisseur dans une rage folle et il a voulu l'arrêter. (Mes muscles se bandèrent.) Tout est allé si vite quand il est arrivé... Émis a fermé la porte et le temps que j'aille la rouvrir, ils avaient déjà disparu. J'ai essayé de les rattraper mais je n'y suis pas parvenue. J'ai seulement trouvé la porte du manoir où nous étions enfermées ouverte.

  Lunixa était dans la forêt, seule, avec cet homme ?!

  –Nous n'avons pas vu Hermine de la journée, ajouta Dobrota. Et Hedwige n'a pas voulu nous suivre quand on est parties. Elle avait trop peur de ce qu'il pourrait nous faire s'il revenait et nous retrouvait.

  –C'était un Lathos, Kal. Un Horloger. Il est capable de...

  –Je sais très bien de quoi il est capable, la coupai-je. (Mes yeux passèrent sur la jeune femme rajeunie.) Est-ce que...

  Je n'eus pas besoin de formuler le reste de ma question pour que Magdalena comprenne. Elle secoua la tête.

  –Elle avait toujours son âge quand je l'ai vue mais elle était blessée et terrifiée.

  Mon pouvoir ne fit qu'un tour en moi. Que lui avait fait ce salopard ?

  Je détachai mon regard de Magdalena et le plongeai dans la profondeur des bois alentours. Lunixa était là, quelque part, sûrement poursuivie par l'Horloger, ou pire. Je dus me faire violence pour ne pas remonter en selle dans la seconde et partir à sa recherche. Foncer tête baisser ne me servirait à rien. Je devais garder mon sang-froid et réfléchir à la situation avant d'agir. Magdalena et deux filles de plaisir se trouvaient avec moi ; je ne pouvais pas les abandonner à leur sort alors qu'elles venaient d'échapper à l'Horloger. La meilleure chose à faire les concernant était de les ramener auprès des soldats, à l'abri. Mais les différents postes de commandement qu'ils avaient installé le long de la forêt se situaient à plusieurs heures d'ici et je refusais de perdre autant de temps. Lunixa était si proche ! En plus, je savais désormais d'où elle était partie. Si je m'y rendais et parvenais à remonter sa trace depuis ce point...

  Il ne me fallut pas une seconde de plus pour prendre ma décision. Je reportai mon attention sur Magdalena.

  –Pensez-vous pouvoir me conduire au manoir ?

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