Chapitre 18 - Partie 1
LUNIXA
La flèche jaillissait du front de l’Horloger sur plusieurs centimètres. Une autre suivit dans la seconde et transperça sa gorge. Du sang coula le long des traits, sur leurs pointes, puis goûta sur mon visage et mon cou. Le même liquide écarlate s'échappait de la blessure que je lui avais infligée à l'abdomen et ruisselait sur mon ventre. Il en apparut à la commissure de ses lèvres.
Lorsque je vis ses yeux péridot se baisser vers moi, perdus, mon cœur manqua un battement. Il... n'était pas mort ? L'air s'alourdit au point de me comprimer la poitrine et le bois des traits commença à vieillir.
Une nouvelle flèche se ficha dans son crâne. Une quatrième le traversa juste après et la pointe ressortit par sa bouche entrouverte. L'Horloger s'écroula sur moi. Coincée sous son corps qui m'empêchait de respirer et vidée de toute force, j'eus un mal fou à me débarrasser de lui, puis à me redresser en position assise. Je passai une main tremblante sur ma joue, celle qu'il avait touché avec son poignard. Mes doigts se retrouvèrent couverts de sang à leur tour mais j'étais trop ahurie pour réagir. Lentement, mon regard se posa sur les quatre flèches plantées à travers l'Horloger.
Pas des flèches.... Des carreaux d'arbalètes.
Les yeux de l'Horloger bougèrent. Je poussai un hurlement strident, puis vidai mon arme sur lui. Chaque tir se propageait dans mes bras comme une onde de choc et déviait un peu ma trajectoire. Chaque nouvel impact secouait son corps, perforait son torse et ses vêtements imbibés de sang, en faisait gicler un peu plus. Quand la détente ne produisit plus que des faibles cliquetis, je continuai à appuyer dessus et posai une main par terre pour prendre appuis sur le sol et m’écarter de lui sur les fesses, incapable de me mettre debout.
Des bruits de sabots s'élevèrent soudain dans le silence environnant. Ma peur se décupla. Sans cesser de m'éloigner de l'Horloger, je pivotai mon arme en direction de ce son. L'obscurité encore trop importante m'empêcha de voir quoi que ce soit d'aussi loin. Craignant que le Lathos se remette à bouger, je reportai mon attention sur lui. Puis sur le bruit caractéristique du galop. Puis à nouveau sur l'Horloger. Puis sur le galop. Cette fois-ci, j'aperçus la silhouette d'un cheval ainsi que celle de la personne qui le montait. Je me concentrai à nouveau sur l'Horloger. Puis encore sur le cavalier. Un homme d'après sa carrure. Qui était-ce ? Celui qui avait tiré ? Un allier de mon ravisseur ? Je n'avais vu personne d'autre au manoir mais qui me garantissait qu'il était seul ? Le patron de la maison Irigyès lui avait bien fourni ses victimes !
Mes yeux écarquillés par la peur ne cessèrent de jongler entre les deux hommes. Mon cœur était devenu fou. Je ne savais plus qui surveiller. J'osais à peine ciller, continuais à reculer aussi vite que mes membres tremblants me le permettaient.
Lorsque le cavalier fut suffisamment proche pour que je remarque qu'il avait une arbalète à l'épaule et la dirigea vers l'Horloger, un semblant de soulagement me traversa. Je reportai mon attention sur le Lathos et ne le quittai plus des yeux, prête à lui tirer à nouveau dessus au moindre mouvement.
Le cheval s'arrêta à la limite de mon champ de vision, puis les jambes de l'homme y entrèrent. Il se plaça entre mon ravisseur et moi. Du bout du pied, il le poussa pour le mettre sur le dos. Il y eut un froissement de tissu, puis il s'accroupit pour poser les doigts sur sa carotide. La faible lueur du jour jouait dans les cheveux blonds du cavalier et son arbalète se trouvait désormais dans son dos. Une arbalète à double tir, comme je n'en avais jamais vue.
Tandis que je continuais à viser l'Horloger, le regard rivé sur lui, l'homme se redressa et ses jambes se tournèrent vers moi. Il s'approcha.
–Princesse.
Cette voix résonna en écho dans mon esprit. Mon cœur s'arrêta. Plusieurs secondes s'écoulèrent sans que je ne fasse le moindre geste. Puis, interdite, je relevai lentement les yeux vers le visage du cavalier.
Le monde s'écroula.
Dans un geste désespéré, je braquai le canon vers lui. Il s’arrêta dans la seconde. Si mon arme le surprit, il n'en montra rien.
–Princesse...
–Je suis une Comtesse ! hurlai-je.
Il ne faut pas.... Il ne doit pas m'appeler Princesse !
–Très bien. Si vous préférez que je vous appelle Comtesse, je vais vous appelez Comtesse. Alors s'il vous plaît, Comtesse, baissez ce revolver.
Je secouai la tête. C'était mon dernier rempart entre lui et moi. Moi et la mort.
Malgré l'arme toujours pointée vers lui, il fit un nouveau pas dans ma direction. J'appuyai immédiatement sur la détente. Il n’y eut qu’un cliquetis, pourtant, il n’alla pas plus loin.
–Comtesse, je sais que nous ne nous sommes jamais rencontrés, mais je suis le Marquis Arès Marcus, soldat d'Illiosimera et de sa Majesté Zeus VII. Je suis là pour vous aider.
Non... C'est impossible.
Ma vue se brouilla de larme. Il ne pouvait pas être ici. Pas lui, un membre de l'escadron noir.
Arès se remit en marche.
–Ne m'approchez pas ! criai-je en le visant toujours.
J'étais tellement terrifiée que ma voix partit dans des aigus incontrôlables.
–Je suis là pour vous aider, répéta-t-il.
Ma main se mit à trembler, non, mon corps tout entier se mit à trembler comme une feuille. Je ne pouvais pas... C'était trop... Ça ne pouvait être vrai... C'était un cauchemar.
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