Chapitre 21 - Partie 2
–Votre Altesse ? intervint le commandant Raspivitch. Je conçois que la tenue de Mademoiselle Veneitri n'est pas appropriée pour une femme. Néanmoins, si vous me le permettez, j'aimerais me porter garant d'elle.
–Vous la connaissez ? m'étonnai-je alors que le docteur fronçait les sourcils.
Comme il n'avait pas dit un mot depuis qu’elle était arrivée, j'avais supposé que Magdalena ne les avait pas présentés.
–Oui, c'est une amie proche de la famille, expliqua-t-il. Elle et ma femme se connaissent depuis plus de dix ans et elle était chez nous quand on m'a annoncé son enlèvement. Je lui ai dit où je me rendais avant de partir, sans penser qu'elle finirait par me suivre.
Je contins mon soulagement. La garantie d'un commandant changeait tout.
–Vous confirmer donc tout ce qu'elle nous a dit ? m'assurai-je pour la forme.
–Tout à fait.
J'assimilai cette réponse d'un hochement de tête, puis reportai mon attention sur le praticien.
–Maintenant que nous savons que Mademoiselle Veneitri est digne de confiance, que pensez-vous de son offre ?
–Si le commandant se porte garant d'elle, je ne vois rien qui vous retienne de l'accepter, admit-il.
–Et par rapport à mon père ?
Je ne voulais pas qu'il remette en question l'examen et en exige un nouveau car celui-ci n'aurait pas été réalisé dans les règles. Obliger Lunixa à le passer une fois était déjà une fois de trop.
–Tant que je suis celui qui analyse le prélèvement, je ne pense pas que sa Majesté aura quelque chose à redire. Les sages-femmes n'apprennent pas à en faire durant leur formation.
–Très bien, dans ce cas, allez me chercher Mademoiselle Veneitri, j'aimerais discuter avec elle avant de la conduire auprès de ma femme.
Les deux hommes s'inclinèrent. Dès qu'ils eurent quitté la pièce, mes muscles se relâchèrent d'un coup. Je poussai un profond soupir en passant une main dans mes cheveux. Qu'aurais-je fait sans l'aide du commandant ? Il ne s'en doutait pas et n'en saurait jamais rien, mais il avait toute ma gratitude.
Mon bras retomba le long de mon corps lorsque Freyja apparut au bout du couloir. Elle le traversa d'un pas vif, claqua la porte, puis s'approcha. Il ne restait plus qu'une dizaine de centimètres entre nous quand elle s'arrêta. Son regard, bien plus sombre que celui qu'elle avait lancé au soldat, se planta dans le mien.
Puis sa main partit d'un coup.
J'interceptai son bras juste avant que sa paume n'atteigne ma joue. Ses yeux s'embrasèrent au point qu'un vert profond commença à lécher le bleu glace de ses iris.
–Magdalena est comme une sœur pour moi, fulmina-t-elle. Tu n'avais aucun...
–Oui, tu as raison. Je n'avais aucun droit de t'écarter de la sorte, même si un Gardien s’est joint à moi entre temps, et je m'en excuse. Si j’étais à ta place, je m’en voudrais aussi. Mais peux-tu mettre ta rancune et ton envie de me gifler de côté pour le moment, s’il te plaît ?
Freyja arracha son bras de ma poigne, puis se détourna. Quelques secondes passèrent avant qu'elle ne me refasse face, les yeux de nouveaux entièrement bleus.
–De quoi voulais-tu me parler ? s'enquit-elle. Le docteur m'a déjà expliqué ce que vous avez convenu.
–Pourrais-tu y aller en douceur avec Lunixa ? Elle est... vraiment très fragile actuellement. Sur tous les plans.
La dureté de son visage s'accentua.
–Que lui a-t-il fait ? Magdalena n'a pas pu me donner beaucoup de détails.
–C'est elle qui t'a demandée de venir ?
–Oui, dès qu'elle a senti que ses pouvoirs commençaient à revenir, elle a essayé de me contacter. Ça aura pris près d'une demi-heure pour que je capte quoi que ce soit d'intelligible, mais elle y est parvenue.
–Alors que tu étais à la capitale ? Comment peut-elle...
–Longue histoire pour un autre jour, m'interrompit-elle. Le fait est qu'elle m'a dit de me rendre à ce point de commandement et si vous n'y étiez pas, elle m'indiquerait le chemin d'un certain manoir dans la forêt. Heureusement, elle n'a pas à le faire.
–En effet...
–Et donc, concernant ta femme ?
–L'Horloger a tenté de la déshonorer. Elle m'a juré qu'elle ne l'avait pas laissé faire, mais elle tremble comme une feuille dès qu'on sort d'une pièce et son corps... Elle est couverte de contusions et a de nouveau horriblement maigri.
–Je vois... Et s'il s'avère qu'il l'a violée ?
Le feu de mes veines s'embrasa violement à ses mots. La cuisine perdit même toutes couleurs. Je fermai les yeux quelques instant pour essayer de me reprendre, sans grand succès. Lorsque je les rouvris, le monde monochrome avait disparu mais mon pouvoir ne s'était pas calmé. Freyja, elle, n'avait pas bougé d’un pouce. Les bras croisés sur sa poitrine, elle me fixait avec toujours autant d'intensité.
–Alors, reprit-elle, que ferais-tu s'il se trouve qu'elle n'a pas réussi à te dire la vérité et que ce salopard est allé jusqu'au bout ?
–Ce ne serait pas sa faute, grondai-je, dents serrées.
–Ça n'a aucune importance aux yeux de la loi.
–Ça en a aux miens ! m'emportai-je. Un viol et une infidélité volontaire n'ont rien à voir !
–Dois-je en déduire que tu ne la dénoncerais pas ?
–Oui.
Alors que je toisais Freyja de toute ma hauteur, le souffle court, je me rendis soudain compte de ce que je venais de dire. Je lui avais assuré que s’il le fallait, je détournerais la loi pour protéger Lunixa. Je n'eus toutefois pas le temps de m'en inquiéter : un demi-sourire rempli d'insolence fendit son visage.
–C'est ce que tu voulais entendre ?
–Tout à fait.
Je lui en voulais d'avoir joué avec mes nerfs pour obtenir cette réponse, mais en même temps, j'étais rassuré : nous étions du même côté sur ce point-ci.
–Alors tu me diras ce qu'il en est vraiment ? m'assurai-je, tendu.
L'idée que l'Horloger ait forcé Lunixa me terrifiait toujours. Cependant, si je voulais l'aider à aller mieux, je devais savoir ce qu'il lui était arrivé.
Les lèvres de Freyja retombèrent et elle retrouva tout son sérieux.
–Oui et tu pourras aussi compter sur mon soutien si c'est le cas. Personne ne devrait subir une horreur pareille.
–Merci.
–Hm… Et si tu me conduisais à elle à présent ?
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