Chapitre 28 - Partie 3

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  Un soupir m'échappa. J'aurais dû m'attendre à cette discussion.

  –Le Marquis Marcus, précisa-t-elle.

  –J'avais bien compris de quel Gardien vous vouliez parler. À ma connaissance, il n'y en a pas d'autre dans les environs.

  Je m'installai sur le canapé tandis que ma mère prenait place sur l'un des fauteuils face à moi.

  –Il sait qui nous sommes, enchaîna-t-elle.

  –En êtes-vous certaine ? marmonnai-je en allumant une cigarette. Peut-être ses pouvoirs sont-ils très faibles.

  –Kalor, me reprit-elle durement. Je suis sérieuse et je te demande de l'être également.

  Alors qu'un premier nuage de fumée blanche franchissait mes lèvres, je posai enfin les yeux sur elle. Ses traits étaient tendus, sa jambe s'agitait sous les épaisseurs de sa robe pourpre, elle triturait ses ongles, détruisant peu à peu sa manucure, et une pointe de nervosité assombrissait le gris de ses yeux. Tous ces petits signes trahissaient l'inquiétude que lui inspirait la présence du Marquis. Mon énervement retomba avec mes épaules.

  –Je vous écoute, mère, déclarai-je, finalement attentif.

  Cela la détendit imperceptiblement.

  –Tu as passé du temps avec lui. T'a-t-il posé des questions sur nous, sur notre position ?

  –Nous étions occupés à chercher les filles alors nous n'avons pas beaucoup abordé ce sujet. Il m'a juste demandé si notre nature était connue du peuple.

  Cette réponse ne la soulagea guère. Elle alla même jusqu'à me demander une cigarette, alors qu'elle fumait très peu. Je nous servis également de quoi boire.

  –Est-il puissant ? s'enquit-elle en recrachant sa première bouffée.

  Vu sa nervosité, mieux valait éviter de lui révéler que les pouvoirs du Marquis surpassaient de loin ceux des autres Gardiens. Quand je repensais à la vitesse avec laquelle il avait ôté l'essence du Muraille et du patron de la maison Irigyès... Si ma mère l'apprenait, elle m'enfermerait dans l'un des abris de la Cause, le temps que la délégation reparte.

  –Il ne lui reste que deux jours au château. Ne vous tracassez pas pour cela.

  –Je ne peux pas, Kalor. Nous ne savons rien de ce Gardien et son père est humain. Un Gardien avec un père humain ! insista-t-elle. Comment un tel enfant a-t-il pu voir le jour ?

  Je comprenais son désarroi ; découvrir que le fils du général Marcus était un Gardien m'avait aussi profondément choqué. Cette race se targuait d'être la seule à avoir préservé la parfaite pureté de son sang : elle ne s'unissait ni aux humains, ni aux autres Lathos. Même si les Gardiens s'en vantaient et se considéraient comme les plus respectables de notre espèce à cause de cela, cette absence de mixité n'avait rien de volontaire. Leurs pouvoirs les attiraient simplement entre eux. La crainte qu'ils inspiraient à la majorité d'entre nous et qui maintenaient cette barrière entre eux et le reste des Lathos n'avait pas non plus aider à la mixité. C'était d'ailleurs pour cette raison que nous pouvions les reconnaître du premier coup d’œil : les premiers Gardiens avaient eu les cheveux et les yeux dorés, et ses traits physiques n'avaient jamais quitté leurs lignées.

  Alors comment le jeune Marcus pouvait-il exister ? La question de ma mère était légitime.

  –Peut-être que le général n'est pas son père biologique, pensai-je tout haut. Peut-être est-il issu d'un premier mariage.

  –Je l'espérais, mais ce n'est pas le cas, assura-t-elle. Au cours d'une conversation, j'ai réussi à amener la question des enfants et il s'agit bien de son fils. Son unique fils.

  –Pas de sœur ?

  Elle secoua la tête.

  –Et lui et sa femme ont eu des difficultés à concevoir : ils ne l'ont eu qu'après huit ans de mariage.

  Ce qui était normal pour un couple mixte. Le jeune Marquis semblait bien être un métis. S'agissait-il du premier de sa race ou les Gardiens n'avaient pas le sang aussi pur qu'ils le clamaient ?

  Ma mère aspira une grosse bouffée avant de libérer une épaisse volute blanche. Sa main s'agitait nerveusement.

  –Aucune Gardienne saine d'esprit ne se serait abaissée à un tel mariage, murmura-t-elle. D'une façon ou d'une autre, le général a réussi à lui retourner la tête et l'a écartée du droit chemin. S'est-elle perdue au point de considéré les humains comme nos égaux... voire supérieur à nous ? Dame Nature, cela se pourrait. À cause de sa faiblesse d'esprit, elle a déjà oublié la pureté de son sang et s'est uni à cet homme, elle a aussi pu être influencée par ses croyances...

  Une lueur d'angoisse traversa son regard.

  –Si elle a inculqué à son fils les idéologies humaines de son conjoint, il pourrait très bien voir notre position d'un très mauvais œil et agir en conséquence !

  –Mère...

  –Il est hors de question que mes enfants perdent leur pouvoir, me coupa-t-elle. Je ne le permettrais pas !

  –Mère, détendez-vous. Si notre position le dérangeait vraiment, nous aurions une toute autre conversation et vous auriez fait appeler Ulrich.

  Tout son corps se crispa à cette perspective. De longues secondes passèrent avant qu'elle ne reprenne, d'un ton dur.

  –N'as-tu que faire de ta nature, mon fils ?

  –Pardon ? Non, bien sûr que non, assurai-je, dérouté par sa question. Où êtes-vous allez chercher pareilles sottises ?

  Jamais elle ne m'avait accusé de renier ce que j'étais.

  –Alors comment as-tu pu partir seul avec ce métis étranger ? Je ne crois pas que tu te rendes comptes de la peur qui s'est emparée de moi quand j'ai réalisé que l'homme qui t’accompagnait ne faisait qu'un avec le Gardien dont ta sœur m'avait mise en garde. J'ai senti mon cœur s'arrêter ! Les Gardiens en qui tu peux avoir confiance sont ceux partisans de la Cause car ils te veulent sur le trône. Ils retireraient les pouvoirs de tous ceux qui te veulent du mal pour s'en assurer, jamais ils ne s'en prendraient à toi. Peux-tu en garantir autant du jeune Marquis ? fit-elle, le souffle court. Es-tu sûr qu'il n'a rien tenté contre toi lorsque vous étiez seuls ?

  –Oui, mère. Je vous l'ai dit, tout va bien.

  Un profond soupir lui échappa et elle se laissa tomber contre le dossier de son fauteuil. J'aurais peut-être dû être heureux qu’elle s’inquiète autant pour moi, mais je n'arrivais pas à être touché. Cette tirade venait de confirmer mes doutes : ma mère s'inquiétait surtout car les plans de la Cause étaient en jeu. Tout ne tomberait pas en ruine si le jeune Marcus décidait de me priver de mon essence ; un autre Gardien pourrait me redonner des pouvoirs de Voyageur.

  Cependant, il ne s'agirait pas des miens.

  Les Gardiens ne rendaient jamais l'essence exacte qu'ils avaient dérobée, ils en étaient incapables : au sein de leur réseau, tous les pouvoirs d'une même race se ressemblaient. Aussi, les Lathos jugés dignes de retrouver leur nature ne récupéraient que des pouvoirs compatibles avec leur corps, qu'ils devaient ensuite apprendre à maîtriser. Les siècles avaient malheureusement montré que presque personne n'y parvenait. Et il n'y avait rien de pire pour un Lathos que des pouvoirs incontrôlables.

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