Chapitre 33 - Partie 3

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  Le temps était radieux. Seul maître dans le ciel, le soleil déversait sur la forêt ses rayons qui, finalement bloqués par les feuillages des arbres, créaient sur le sol un magnifique tapis d'ombre fines semblable à de la dentelle. Les parties lumineuses paraissaient briller de mille feux, presque chatoyer. Le chant des oiseaux, ainsi que le murmure de la brise qui suivait notre progression, apportaient la touche finale de ce magnifique tableau. Tout était réunis pour que nous passions un excellent moment, pourtant, je n'arrivais pas à en profiter. Depuis que nous avions mis un pied dans la forêt, je me tenais sur mes gardes, à l'affût du moindre bruit ou mouvement suspect. Chaque élément alentour me rappelait l’Horloger. Des souvenirs de notre combat dans le bois où se trouvait son manoir ressurgissaient dans mon esprit, semblaient parfois se superposer avec la réalité. À plusieurs moments, je tirai brusquement sur les rennes de Nattsvart, pensant l’avoir vu jaillir de derrière un tronc. C'était complètement idiot, je savais qu'il était mort ! Mais c'était plus fort que moi. Comme je ne songeais guère à lui depuis que j'étais de retour au palais et que j'arrivais à me servir de ce qu’il m’avait fait subir pour justifier mon comportement étrange, je croyais avoir surmonté cet horrible moment de ma vie, mais il n'en était rien. Cette histoire était loin d'être derrière moi. La peur qu'Arès découvre la vérité à mon sujet l'avait simplement occultée et ici, dans ce lieu où presque tout me rappelait ma lutte contre l'Horloger, le fantôme de ce dernier parvenait à la surpasser pour me hanter.

  Je finis par être tant à fleur de peau qu'un cri m'échappa lorsque je sentis quelque chose se poser sur mon épaule. D'un violent revers de main, je la balayai et une boule de poils pâle se retrouva projetée contre un arbre.

  –Par la Déesse, hoquetai-je.

  Alors qu'elle chutait, je descendis en vitesse de selle et m'accroupis là où elle disparut dans l'herbe. Je dus écarter les brins pour le trouver. Un profond soupir de soulagement franchit mes lèvres en voyant un petit écureuil au pelage blanc-crème se redresser sans trop de difficulté. Je ne l'avais pas poussé assez fort pour qu'il s'assomme contre le tronc.

  –Dame Nature, j'ai eu si peur, soufflai-je.

  Mes paupières se fermèrent un instant. Quand elles se rouvrirent, mon regard se posa sur le rongeur. Il s’était placé juste devant moi et m'observait désormais la tête penchée sur le côté et son museau remuant sans cesse. Si je ne me trompais pas, c'était un signe de bonne santé.

  –Altesse ?

  Je me tournai vers le garde.

  –Oui, soldat ?

  –Vous semblez nerveuse depuis quelques temps. Désirez-vous écourter la promenade pour rentrer au palais ?

  –Je...

  Mon attention glissa vers mes compatriotes.

  –Ne vous souciez pas de nous, Princesse, intervint la Duchesse Aligas d'une voix bienveillante. Nous avons déjà fait une belle balade et retourner au château pour changer d'activité ne nous dérangerait pas.

  J'hésitai encore un instant avant d'accepter la proposition du garde. Même si je me forçais à continuer, mon état risquait seulement d'empirer et leur gâcherait à coup sûr le reste de la promenade. Je m'en voulais de l'interrompre maintenant, mais mieux valait y mettre un terme à quand elles pouvaient en garder un bon souvenir.

  Me redressant, je reportai mon attention sur le petit écureuil qui n'avait toujours pas bougé. Il émit un cri sec, puis courut vers l'arbre. Mes yeux s'agrandirent de surprise lorsqu'il l'escalada. Un surplus de peau reliait ses pattes avant à ses membres antérieurs.

  –Par la Déesse, s'exclama une Illiosimerienne. Mais qu'est-ce donc ?

  Bien qu'elle se soit exprimée dans notre langue, les soldats comprirent sans mal la raison de notre stupéfaction : tous nos regards convergeaient sur l'étrange rongeur perché sur le tronc.

  –Vous ne connaissez pas cet animal, Princesse ? (Je secouai la tête.) Il s'agit d'un polatouche. Un écureuil volant. Il ne peut pas voler à proprement parler, mais la peau entre ses pattes lui permet de planer d'arbre en arbre.

  Voilà qui expliquait comment il s'était retrouvé sur mon bras. J'avais dû me trouver sur sa trajectoire.

  Tout en traduisant l'explication du garde à mes compagnes, je continuai d'observer le polatouche, qui gravissait encore l'arbre. Certaines lâchèrent un « Oh » de compréhension. L'écureuil s'arrêta à plus de trois mètres du sol, puis se tourna vers nous. L'instant d'après, il se jeta dans le vide et plana droit dans ma direction. Hébétée par ce spectacle, je ne réagis pas avant de le sentir atterrir sur mon jabot. J'eus alors un sursaut.

  –Attention, Princesse ! intervint un garde en sautant à terre. Malgré leur taille, ils mordent plutôt fort.

  Vraiment ? Il avait pourtant l'air tout à fait inoffensif avec ses grands yeux noir et son petit sourire. Je ne remis toutefois pas en question le soldat, qui s'y connaissait bien plus que moi, et ne bougeai pas, le temps qu'il s'approche pour l’ôter. Le rongeur poussa un bruit réprobateur lorsqu’il avança sa main vers lui, puis courut se cacher dans mon dos. L'homme tenta à nouveau de l'attraper, en vain. Le polatouche revint se placer au niveau de ma poitrine et frouilla dans la dentelle de mon col. Un sourire ourla mes lèvres tandis qu’un rire échappait à une Illiosimerienne.

  –N'est-ce pas adorable ? On dirait qu'il ne veut pas vous quitter.

  –En effet, acquiesçai-je. Ne vous fatiguez pas pour rien, soldat. Il descendra lorsqu'il en aura envie.

  Après s'être assuré que cela ne me gênait pas de l'avoir sur moi, il remonta en selle et je l'imitai, mon passager clandestin désormais niché sur mon épaule. Ce dernier resta sagement à sa place lorsque Nattsvart se remit en route. Les discussions reprirent leurs cours sur un ton aussi détendu qu'au début. M'en rendre compte délogea la pointe de culpabilité qui s'était insinuée en moi lorsque j'avais décidé de rentrer au palais : mes compagnes ne paraissaient vraiment pas dérangées par ce retour prématuré.

  Malgré mes tentatives pour le repousser et la présence du polatouche, l'Horloger ne tarda pas à me hanter de nouveau. Je le revis surgir des fougères, l'entendis m'appeler, sentis ses mains se refermer sur mes poignets... Cette dernière sensation venait juste de me traverser lorsqu'un second poids se posa sur mes épaules. Un nouveau sursaut me secoua et je manquai encore une fois de le balayer d'un revers violent. Ma main se figea toutefois dès qu’un plumage pourpre apparut dans mon champ de vision. C'était juste un rouge-gorge.

  –Les animaux semblent vous appréciez, Altesse, plaisanta la Duchesse Aligas

  –Ils doivent reconnaître ceux que notre Déesse a choisi pour régner, déclara la Comtesse Skiouros. Qu'ils soient nés de sang royal ou qu'elle les ait élevés au rang de la royauté par le mariage.

  Était-ce vraiment pour cette raison ? N'ayant côtoyé que des chevaux quand je vivais au palais, j'avais d’abord cru qu'il était normal que des animaux s'approchent autant des hommes quand un premier oiseau s'était posé sur ma tête, lors de ma fugue. J'avais ensuite pensé qu'ils se sentaient juste un peu mieux en ma présence que la moyenne, quand j'avais commencé à faire des balades en forêt avec Marco et Giulia et que le chat que nous avions adopté s’était mis à me suivre partout dans le manoir.

  Mais cette fois-ci nous étions dix. C'était la première fois que je faisais une balade avec un groupe aussi important, pourtant les deux animaux qui s'étaient joint à nous se trouvaient sur moi et ne montraient aucun signe d'intérêt pour les autres membres.

  Puis il y avait Bucéphalus, le cheval que personne ne pouvait approcher chez Giulia à part moi, les ours qui m’avaient encerclée quand nous avions joué dans la forêt avec Kalor, ainsi que le loup qui s’était jeté sur l’Horloger lorsqu’il s’en était pris à moi. Avait-il seulement senti le danger que représentait cet homme ou avait-il voulu... me protéger ?

  S’il s’agissait de la première possibilité, l’attitude plutôt étrange de l’étalon et des ursidés à mon contact n’était sûrement qu’une coïncidence. En revanche, pourrais-je encore mettre leur comportement sur le dos du hasard si la seconde hypothèse s’avérait être la bonne ?

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