Chapitre 36 - Partie 2

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  –Que...

  Mes lèvres s'agitèrent encore, mais je fus incapable de prononcer un autre mot, soufflée par les siens.

  Moi, une petite vi...

  Un rire nerveux me gagna.

  –Oh non, tu n'as pas... Moi ? Une viveuse ?

  Kalor haussa un sourcil qui accentua son air espiègle et eut raison de moi. Une vague de tendresse se déversa dans mes veines. Je tentai malgré tout de conserver ma mine choquée pour poursuivre ma remontrance, en vain. Un sourire en coin souleva d'abord la commissure de mes lèvres, puis je ne pus contenir un petit gloussement.

  –Comme si tu espérais seulement dormir avec moi, murmurai-je en secouant la tête. Tu ne m'auras pas avec tes prétendues idées chastes, espèce de libidineux. Tu parlais exactement de ce à quoi je pensais.

  Son rire répondit au mien et un air un faussement coupable gagna ses traits.

  –Bon d'accord... Je pensais bien ça.

  Dans un soupir amusé, je fermai les yeux et secouai à nouveau la tête, avant de m'écarter de lui pour aller récupérer mon diadème. Du moins, en avais-je l'intention, car il ne me laissa pas faire un pas en arrière.

  –Kalor, murmurai-je en posant une main contre son torse et en plongeant dans son regard. J'adorerais rester seulement avec toi, mais le dîner commence bientôt et nous devons encore mettre nos couronnes.

  –Je sais, mais nous n'avons pas encore décidé ce à quoi j'aurais droit si j'arrive à convaincre mon père de nous laisser partir demain. Ou du moins bientôt, rectifia-t-il, car ce ne sera tout bonnement pas possible demain. Enfin. As-tu une proposition ? À moins que la mienne t'aille.

  Pensant que cette histoire de récompense était juste une plaisanterie après ce qu'il venait de se passer, je cillai plusieurs fois, prise de court par sa question, et eus du mal à rassembler mes esprits.

  –Euh... Eh bien...

  Je n'étais pas contre l'idée de lui en offrir une, seulement pas... cela. Rien qu’y penser suffisait à me refaire rougir. Mais que pouvais-je lui proposer en échange et qui le contenterait tout autant ?

  –Lunixa ? (Je me figeai imperceptiblement.) Détends-toi, je plaisantai.

  Mes lèvres s'ouvrirent en un O parfait sous le coup de la surprise, puis la tension qui m'avait gagné retomba d'un coup. Je venais de me faire avoir pour la seconde fois... en à peine deux minute. Vexée, je le réprimandai d'une petite frappe du revers de la main contre son torse, ce qui augmenta l'éclat amusé de ses yeux.

  –Pourquoi n'arrêtes-tu pas de me mener par le bout du nez, ce soir ?

  –Je suis désolé, s'excusa-t-il sans se départir de son sourire. C'est juste... Je me sens si bien aujourd'hui. Il faut croire que je ne sais pas comment utiliser le surplus d'énergie que cela éveille en moi.

  –Oh... Et puis-je savoir d'où te vient cette bonne humeur ?

  –Tu le sais très bien.

  Je serais sûrement redevenue écarlate s'il avait de nouveau fait allusion à notre union avec un air luxurieux, mais il n'en était rien. Il avait retrouvé son sérieux et me fixait désormais d'un regard rempli d’amour et de tendresse qui m’enveloppa comme une douce éteinte.

  –Moi aussi, je me sens mieux depuis, avouai-je après une hésitation. Cette nuit était...

  –Merveilleuse ? proposa-t-il.

  J'opinai.

  –Dans ce cas faisons en sorte que celle-ci le soit également, même c’est pour une toute autre raison, déclara-t-il en me donnant un baise-main. Cela fait si longtemps que nous n'avons pas dansé ensemble.

  –Trop longtemps, appuyai-je.

  Après tout, c'était au milieu d'une soirée dansante que nous nous étions avoué notre amour. Depuis cette confession, danser ne se résumait donc plus à un enchaînement de pas ; à nos yeux, c’était devenu un rappel constant de ce moment.

  Tous deux plongés dans les souvenirs de cette nuit à l'auberge, nous restâmes perdus dans le regard l'un de l'autre un long moment, sans mot dire. Puis, toujours dans un silence religieux, je finis par m’éloigner de la, ma main glissant sur sa paume, et allai chercher mon diadème. Je songeai encore tant à ce bref, mais intense instant que nous venions de vivre que je n'eus aucune appréhension pour la coiffer. Ce ne fut qu'en voyant mon reflet dans le miroir qui trônait au-dessus du coussin en velours bleu roi sur lequel elle reposait qu'une vague de malaise me gagna.

  Arès allait me voir avec une couronne... comme autrefois, lors de nos soirées au palais.

  Ma main fut agitée par un tremblement que je bloquai tout de suite en refermant mes doigts dessus.

  Regarde bien cette couronne, couarde. Artémis en portait peut-être une similaire, mais ce n’est pas la sienne. Il s'agit de celle de Lunixa.

  Relâchant ma main, je redressai la tête et affrontai le regard de la femme qui me faisait face dans le verre. Pas le regard éteint d'un fantôme du passé, mais celui bien vivant de la princesse de Talviyyör.

  Celui qu'Arès et César, et tous nos invités, verraient ce soir.

  D'un pas assuré, je quittai ma penderie et allai rejoindre Kalor dans le salon. Il m'offrit son bras, puis nous conduisit à ses appartements par la porte dérobée, afin qu'il puisse récupérer à son tour sa couronne. Quand il la prit en main, je fus surprise de le voir marquer un temps d'arrêt et l'observer avec une pointe de renoncement, avant d'en comprendre la raison.

  –Tu regrettes parfois d'être né prince ? m'assurai-je.

  –Parfois, admit-il. Et avant je regrettais aussi d'être né Lathos, comme je te l'avais avoué il y a quelques temps. Dans les deux cas, je ne serais pas ce Prince Lathos et mon existence aurait été bien plus paisible. Mais, dorénavant, chaque fois que songe à cette vie chimérique, je me rappelle que je ne t'aurais jamais connu si je n'étais pas un Prince, et soudain...

  Il mit sa couronne sans plus d'hésitation et se tourna vers moi, son regard brillant de nouveau de ces flammes qui dansaient au fond de ses yeux.

  –La porter ne devint plus un fardeau, conclut-il en me tendant la main.

  Touchée par ses mots, je posai mes doigts au creux de sa paume et lui offrit un sourire qu'il me retourna. Au même moment, l'horloge sonna dix-neuf heures. Kalor y jeta un rapide coup d'œil avant de replonger son regard dans le mien.

  –Prête ?

  J'opinai d'un franc hochement de tête.




  Pour la première fois depuis des jours, je ne me retrouvai pas tétanisée à la vue d'Arès. Ma détermination vacilla lorsque je le vis déjà attablé, à notre arrivée dans la salle à manger, mais l'image de la femme qui m'avait fait face dans le miroir me revint en mémoire et je réussis à repousser mes peurs.

  Détendue, je n’eus enfin plus l’impression de subir le repas comme une épreuve insurmontable. Je prenais plaisir à porter les aliments et les boissons à mes lèvres, à sentir leur goût imprégner ma langue et mon palais. Je n'avais pas à lutter pour conserver ce que j'avalais dans mon estomac. Je ne sursautais pas chaque fois que quelqu'un m'adressait la parole. Au contraire, j'entamai parfois la conversation, même avec César. Me revoir de nouveau moi-même attisa l'éclat de bonheur dans les yeux de Kalor.

  J'étais si sereine durant tout ce dîner que je ne vis absolument pas le temps passer. Je réalisai seulement qu'il était terminé lorsque mon beau-père nous invita à quitter la table pour nous rendre dans la salle de bal et prolonger cette soirée, annonçant par la même occasion mon quatre-mains avec Monsieur Sangos.

  Alors qu'un murmure appréciateur se propageait déjà parmi les convives, cette annonce fissura le reflet que j'avais en mémoire et, à travers la minuscule crevasse, apparut la frimousse d'une jeune fille de treize ans, aux grands yeux bruns et à la chevelure noire comme l'ébène. Mon cœur se mit aussitôt à battre plus vite. Mon attention faillit glisser vers Arès pour connaître sa réaction, mais je me fis violence pour ne pas le faire, me forçant aussi à détourner le regard de cette enfant.

  Mes traits. Je devais me concentrer sur mes traits.

  Focalisée sur mon visage au pommettes saillantes, mes prunelles à la couleur si singulière et au regard mature, mes cheveux aussi blancs que neige, je me levai et accompagnai nos invités dans la pièce voisine.

  –Après vous, Princesse, m'invita le compositeur, une fois devant le piano.

  Je le remerciai et pris place sur la banquette. La craquelure menaça de se transformer en brèche lorsque mon regard croisa celui d'Arès sur le bois vernis. Comme toujours, il était insondable et être incapable de savoir à quoi il pensait ne me soulageait en rien. Cependant, la surface miroitante de l’instrument me renvoyait également mon reflet. Celle de la princesse de Talviyyör.

  Ravivée par ce rappel, l’image que j'avais en tête commença à se reformer et la crevasse, à disparaître, renvoyant la jeune fille aux tréfonds de ma mémoire.

  Mais juste avant que cette lézarde ne se referme totalement, l'enfant se tourna vers moi, un sourire chagriné mais compréhensif aux lèvres. Une pointe de regret étreignit mon cœur.

  Désolée, Artémis...

  Toujours attristée mais souriante, elle ferma les paupières et disparut derrière la nouvelle Princesse que j'étais devenue. Troublée par cette vision, je déglutis avec difficulté et eu besoin d’un peu de temps pour me concentrer sur les touches sous mes yeux. Le visage du miroir finit alors par s’évanouir à son tour, puis tout ce qui m’entourait s’effaça également. Il ne restait plus que moi, le piano, mon binôme et Kalor. Le dernier spectateur dont je sentais encore la chaleur du regard.

  Savoir qu’il était là, qu’il allait entendre à nouveau l’un de mes morceaux, eut l’effet d’un baume sur mon cœur et une étrange quiétude, semblable à celle que j’avais ressenti lors du concert de Dame Nature, me gagna. Après tout ce temps, j’avais enfin la possibilité de jouer pour lui.

  Fermant les yeux, je laissai cette sérénité m’envahir et plaçai mes doigts sur le clavier.

  Ce morceau est pour toi, Kalor.

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