Chapitre 41 - Partie 2
–Alors, déclara Valkyria, Mère passe en tête avec 746 points et Nicholas en seconde place avec un score de 723. Thor, tu ne bouges pas, tu restes troisième avec 709. Quant à Kalor et moi, nous tombons aux dernières places avec 682 points pour Kal et 666 pour moi.
Un petit claquement de langue irrité m'échappa alors que mon père adressait un regard emplit de fierté à mère. Que m'avait-il pris de faire une enchère pareille avec le jeu que j'avais ?
–Eh bien, c'est serré, déclara mon frère. On voit que Mathy n'est pas là.
Ah ça…
Quel que soit le jeu, sa femme nous écrasait tous.
Nicho but une gorgée de vin, puis récupéra les cartes, les battit et les remit à Thor. La pendule sonna quatre fois pendant qu'il nous les distribuait. Les derniers invités nous avaient quittés depuis une bonne demi-heure à présent, mais au lieu d'aller nous coucher tout de suite, nous nous étions lancés dans une partie de tarot en famille. Cela s'était fait sur un coup de tête. Nous nous étions à l’origine rassemblé dans le salon beige afin de nous détendre avec un dernier verre ou une dernière cigarette, puis mon beau-frère avait énoncé l'idée d'en profiter autour d'un tarot. La seconde d’après, nous nous étions retrouvés autour de la table, jeu en main.
J’avais d’abord prévu de ne jouer qu’une manche avant de laisser ma place à mon père, afin de rejoindre Lunixa au plus vite. Cependant, jouer avec ma famille me faisait beaucoup de bien après cette soirée sous tension et j’étais finalement resté.
Expirant des volutes blanches, je récupérai mes cartes et un sourire menaça de me trahir. Voilà qui était beaucoup mieux qu'au tour précédent...
–Je passe, annonça Mère.
–Je passe aussi, fit Val.
–Je garde c...
Deux coups couvrirent la fin de mon enchère. Surpris, nous pivotâmes tous vers la porte.
–Oui ? autorisa mon père.
Le battant s'ouvrit sur un soldat qui s'inclina.
–Je suis navré de vous déranger, Majestés, Altesses, mais une jeune femme de chambre demande à vous voir, Prince Kalor. (Je fronçai les sourcils.) Paulina Skaldottir.
Cette précision me dérouta encore plus. La domestique devait avoir quitté Lunixa depuis des heures. Pourquoi venait-elle après tout ce temps ?
Laissant mon père me remplacer, je me levai en vitesse et quittai le salon. Le feu dans mes veines s'intensifia dès que mon regard se posa sur la jeune fille. Sa toilette était encore moins bien soignée que tout à l'heure : ses cheveux grossièrement rassemblés dans un chignon rebiquaient dans tous les sens, son tablier mal noué retombait sur ses hanches. Et elle n'arrêtait pas de le triturer, la tête rentrée dans les épaules.
–Que se passe-t-il, Paulina ?
Elle se figea, puis se recroquevilla encore plus.
–Je... Je suis vraiment désolé, Altesse, débita-t-elle d’une voix chevrotante. Je... J'aurais dû venir plus tôt mais... mais... mais...
–Respirez, Paulina. Dîtes-moi simplement ce qui ne va pas.
Elle renifla et jeta un œil aux gardes à côtés de nous. Comprenant qu'il valait mieux ne pas parler devant lui, je m'empressai de la conduire au salon d'en face.
–Alors, qu'y a-t-il ? m'enquis-je dès que nous fûmes seuls.
–Après que vous êtes parti, il... il s'est passé quelque chose, déclara-t-elle. (Mon cœur manqua un battement.) Je voulais vous prévenir tout de suite, mais la Princesse, elle... Elle m'a dit de ne rien dire, à personne. (Ses yeux se gorgèrent de larmes.) Je ne savais pas quoi faire, alors je lui ai obéi. Mais je n'arrivais pas à dormir en sachant que je ne vous avais pas averti. S'il arrive quelque chose à votre femme parce que j'ai gardé le silence...
–Paulina, que s'est-il passé exactement ?
Elle déglutit avec difficulté.
–Pendant que je délaçai son corsage, elle... elle s'est précipitée dans la salle de bain pour vomir.
–Vomir ? répétai-je d'une voix blanche. (Elle opina.) Beaucoup ?
–Oui...
–Par la Déesse !
La camériste eut un mouvement de recul alors que je détournais brusquement d'elle.
–Je suis vraiment désolée, Altesse. J'ai essayé de la convaincre d'accepter, mais... Mais elle a insisté pour que je me taise. Et son regard était si sombre que... qu'elle m'a un peu effrayée, alors...
Horriblement tendu, je pris une profonde inspiration.
–Vous a-t-elle dit pourquoi elle ne voulait pas me mettre au courant ?
–Non.
Mes paupières se fermèrent et ma mâchoire se contracta à m'en faire mal. Au plus profond de moi, mon pouvoir d'Élémentalistes s'agitait dangereusement.
–Je vois... Merci de m'avoir averti malgré son ordre. Vous pouvez disposer.
Après une seconde de flottement, le bruit de ses pas s'éloigna et la porte claqua derrière elle. Le brasier que je m'évertuais à contenir échappa aussitôt à mon contrôle et se déversa dans mes veines ; ma peau s'embrasa, la salle en nuance de bleu perdit toutes ses couleurs. Incapable d'attendre plus longtemps, je me téléportai directement dans la chambre de Lunixa.
Comme toujours lorsque mon pouvoir gagnait mes yeux et drapait le monde d'un voile monochrome, l'obscurité n'impactait plus ma vue. Même sans aucune source de lumière, je vis tout de suite Lunixa, son visage paisiblement endormi, son souffle ralenti, le soleil de boucles étalé sur l'oreiller...
La pression me quitta aussi brusquement qu'elle m'avait gagné et de légers tremblements agitèrent mes membres. Dans une profonde expiration, je me laissai tomber sur le matelas, la tête entre les mains. Mon cœur battait encore si fort qu'il résonnait à mes tempes.
Elle va bien...
Mais à quel point ? Et pourquoi avait-elle ordonné à Paulina de me cacher son état ?
Depuis la toute première tentative de meurtre de la Cause, je m'inquiétais continuellement pour elle, cependant mes angoisses s'étaient encore renforcées avec son rapt. Au moindre problème, j’accourais. À tort ou à raison ? Commençai-je à me faire trop de souci ? À frôler la paranoïa ? Nous n'avions parlé que du traumatisme de Lunixa ce soir, mais elle n'était pas la seule à avoir été fortement bouleversée par son enlèvement.
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