Chapitre 44 - Partie 1

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LUNIXA


  Debout à la fenêtre de ma chambre, j'observai en silence les carrosses s'éloigner du palais. Mes compatriotes retournaient à Illiosimera alors que je restais là. Ma poitrine se serrait de plus en plus à mesure que les voitures rapetissaient et s'enfonçaient sur le chemin qui traversait le bois. J'aurais voulu me trouver dans l'une d'elle, monter sur le bateau et rentrer chez Giulia afin de prendre mes enfants dans mes bras et ne plus jamais les lâcher.

  Du moins, une part de moi le désirait et souffrait que cela ne soit pas le cas. Une autre, bien plus importante en cet instant, ressentait surtout un immense soulagement à voir les hauts arbres engloutir les carrosses. Enfin, Arès repartait.

  « Mon Artémis... »

  Un violent frisson me secoua. Refoulant sa voix et son visage, je resserrai le châle sur mes épaules. J'aurais dû prévenir Giulia que je l'avais vu, que nous avions conversé et même dansé ensemble, mais ce n'était pas une information qui pouvait être inscrite noire sur blanc et le calmant du médecin m'embrouillait encore trop l'esprit quand j'avais rédigé ma lettre. Même à présent, je ne me sentais pas tout à fait moi-même et n'aurais pas été en état de faire passer ce message de façon détournée. J'avais également eu si peu de temps pour rédiger ma missive, à peine une heure... Pourquoi personne ne m'avait réveillée plus tôt ? Il m'aurait fallu toute la matinée pour écrire mon pli correctement et chercher une meilleure photo. Celle que j'avais joint dans l'enveloppe...

  Je secouai la tête pour chasser ces pensées négatives. Même si ma lettre était bourrée de ratures, peu soignée, décousue, et le cliché inquiétant, Giulia et mes enfants allaient avoir de mes nouvelles. Des nouvelles qu'ils attendaient depuis des mois.

  Lorsque le dernier carrosse s'évanouit derrière la canopée, je me détournai de la fenêtre et gagnai le canapé du salon. Paulina m'adressa un maigre sourire.

  –Voulez-vous manger, Princesse ?

  Malgré mon manque d'appétit et ma peur d'avoir de nouvelles nausées, j'acquiesçai. J'étais bien trop maigre et avait bien trop vomi la veille pour me permettre de sauter un repas.

  Les lèvres de la jeune domestique s'incurvèrent davantage et elle rapprocha la desserte de la table basse avec plus de naturel qu'à son arrivée. Elle mesurait tant ses gestes à ce moment-là qu'on aurait cru qu'elle craignait que je réagisse au moindre mouvement trop important. Avec un air encourageant, elle déposa sur la table basse une soupe de lentille, une fine escalope de canard au riz et aux cèpes, une salade verte, ainsi qu'une bouillie de flocon d'avoine aux fruits rouges. Essentiellement des plats légers qui ne devraient pas me provoquer de haut-le-cœur. Rassurée sur ce point, j'attaquai mon potage.

  Je venais d'entamer ma salade lorsque deux coups retentirent contre la porte de mes appartements.

  –Oui ?

  –C'est Valkyria, annonça ma belle-sœur, la voix étouffée par le bois ouvragé.

  –Je t'en prie, entre.

  Le battant s'ouvrit et Valkyria s'engagea dans la pièce, suivie de Kalor. Mes doigts se crispèrent aussitôt sur ma fourchette et je détournai le regard. J'avais fini par comprendre que je ne m’étais pas unie avec Arès, que tout ceci n'avait été qu'un effroyable cauchemar. Pourtant, je m'en voulais toujours. Même s’il ne s’était rien passé, le simple fait d'avoir imaginé le contraire et d'avoir éprouvé du plaisir avec mon ancien fiancé, alors que Kalor dormait à mes côtés, me rongeait de remords. Et puis, nous n’avions peut-être pas partager de moment charnel la veille, mais nous l’avions fait des années auparavant.

  –Tout va bien, Lunixa ? s'enquit ma belle-sœur en s'installant à mes côtés, tandis que Paulina se retirait pour nous laisser seuls.

  J'opinai sans grande conviction.

  –As-tu transmis ma lettre au général ?

  –C'était juste, mais oui, j'ai pu la lui remettre.

  Un poids se retira de mes épaules. À présent, je ne pouvais plus qu'espérer que Giulia irait mieux en la lisant. J'aurais peut-être dû lui donner des exemples de ce que j'avais fait ici pour appuyer mes mots, à l'instar de notre séjour à Radoscilo, du concert de Dame Nature, de la salle de musique que m'avait offert Kalor... Je regrettais tant de ne pas avoir eu le temps de tout lui expliquer.

    Pendant que nous parlions, Kalor ajouta une bûche dans la cheminée et raviva le feu qui y brûlait avec le tisonnier. Mon estomac se noua. Mon châle avait dû lui faire comprendre que j’avais froid malgré ma robe de chambre. Reportant mon attention sur mon assiette, j'essayai de poursuivre mon repas, mais j'avais encore plus de mal à manger qu'avant. Sa présence m'oppressait.

  –Tu n'as pas faim ? me demanda Valkyria.

  –Non, pas vraiment.

  –Val, peux-tu nous laisser ?

  Une boule se logea dans ma gorge. Je n'avais pas envie de me retrouver seule avec lui. Pas tout de suite ; c'était trop tôt. Cependant, je ne retins pas sa sœur, qui m'offrit un sourire réconfortant avant de partir. La porte sembla claquer trop fort à mes oreilles quand elle la referma, accentuant le lourd silence qui s'ensuivit.

  Dans cet atmosphère difficilement respirable, Kalor s'installa sur un fauteuil face à moi, sans mot dire. Je déglutis avec difficulté et me mis à jouer avec ma nourriture, me focalisant complètement sur la salade. Une odeur désagréable s'éleva dans la pièce et détourna toutefois mon attention des feuilles vertes. Une odeur... loin de m'être inconnue.

  Interdite, je relevai vivement la tête. Kalor était en train de fumer, le regard fixé sur le brasier dansant dans l'âtre.

  –Je t'avais demandé de ne jamais fumer dans mes appartements, murmurai-je.

  Il cessa soudain d'inspirer, puis ferma les paupières dans un soupir. Des veloutes blanches s’échappèrent entre ses lèvres.

  –Navré, j'avais oublié.

  Après avoir pris une dernière bouffée, il écrasa sa cigarette contre sa paume.

  –Kalor !

  Je me redressai d'un coup et contournai la table en vitesse pour examiner sa main. Pourquoi avait-il fait cela ? Je n'avais peut-être pas de cendrier, mais plusieurs objet aurait pu jouer ce rôle dans mes appartements ! Le cœur battant, je retirai la cendre au centre de sa paume, à la recherche de la brûlure qui devait marquer sa peau. En vain. Il n'y avait rien. Pas la moindre lésion.

  –Lunixa ? m'interpella-t-il d'une voix déroutée.

  –Je... Je ne comprends pas... Le bout d'une cigarette est incandescent ; tu devrais avoir une brûlure.

  –Ma chérie, le feu ne peut pas me blesser, me rappela-t-il en me dévisageant comme si j'avais perdu l'esprit.

  Il me fallut plus de cinq secondes pour comprendre pourquoi.

  –Par la Déesse...

  Dans une inspiration tremblante, j'étreignis sa main. À quel point le calmant du médecin était puissant pour que j'en arrive à oublier qu'en tant qu'Élémentaliste du feu, Kalor pouvait traverser un incendie sans craindre une seule brûlure ?

  –S'il te plaît, ne fait plus quelque chose de la sorte quand je suis à moitié droguée... Je n'arrive pas à réfléchir.

  Il m'observa avec attention, puis acquiesça sans un mot. Soulagée, je relâchai sa main pour retourner à ma place, mais je n'avais pas fait un pas que Kalor m'attrapa par la taille et me força à m'asseoir sur la table, juste en face de lui. Je me pétrifiai.

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