Chapitre 49 - Partie 2

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  Que devions nous faire ? Elle n'était clairement pas en état de m’ausculter.

  Magdalena nous adressa un regard d'excuse et commença à formuler tout haut ce que nous pensions tous. Freyja l'interrompit en se laissant tomber sur la table basse et me fit signe d'approcher.

  –Venez.

  L'estomac noué, je finis par la rejoindre. Je m'en voulus tout de suite de l'avoir écouté une fois à ses côtés. Je ne l'avais pas remarqué jusqu'à présent, mais elle avait du mal à respirer.

  –Freyja. Magdalena a raison, ce n'est pas...

  –Kalor, me coupa-t-elle. Viens lui tenir la main.

  Disputée entre le désir de savoir la vérité et son inquiétude à l'égard de la Guérisseuse, il lui obéit en nous observant à tour de rôle. Ses doigts brûlant se refermèrent sur les miens avec force. Magdalena se plaça derrière elle.

  –Très bien, souffla Freyja. Serrez les dents, maintenant.

  Je m’exécutai et fermai les yeux. Tout mon corps se tendit en prévention de ce qui allait arriver, mais cela n'atténua en rien la douleur. Lorsque les doigts de la Guérisseuse se posèrent sur mon sternum, un brasier se déclara dans mes poumons. Une plainte étouffée m'échappa. Avec une lenteur effroyable, loin de sa vitesse habituelle, il se déversa dans mes veines, ravageant tout sur son passage, et se dirigea vers mon bas-ventre. Je me mis à m'agiter, à gémir, ne pouvant supporter une telle souffrance. Des mains m’immobilisèrent.

  Lorsque la lave atteignit enfin sa destination, elle se mua soudain en un torrent de d'épines, qui explosa en moi et me lacéra de l'intérieur. Un haut-le-cœur me secoua ; la paume sur mes lèvres ne parvint à contenir mon cri ; je me tordis sous la douleur.

  Puis tout s'arrêta d'un coup. À bout de force, le corps encore traversé par les échos des aiguilles, je m'affaissai sur le canapé. Il me fallut plusieurs seconde pour rouvrir les yeux et découvrir que Freyja n'était pas en meilleur état que moi. À moins que mon esprit ne me joue des tours, elle avait encore blanchi, son souffle déjà faible s'était raccourci et sa migraine la faisait grimacer de plus belle. Pourtant, son regard n'avait rien perdu de son intensité et me dévisageait comme si j'étais l'animal le plus incongru de la terre.

  –Lunixa ? m'interpella Kalor.

  Sa voix eut du mal à m'atteindre. Cillant plusieurs fois, je me détournai de la Guérisseuse pour lui accorder mon attention. Ses magnifiques prunelles argentées étaient rongées par l'inquiétude.

  –Comment te sens-tu ?

  –Comme si un carrosse venait de me rouler dessus, mais je vais m'en remettre.

  Un maigre sourire étira le coin de ses lèvres. Il passa tendrement la main sur ma joue, puis m'aida à me mettre assise.

  –Freyja ? fit Magdalena. Qu'as-tu senti ? Son Altesse est-elle enceinte ?

  Nous nous reconcentrâmes sur l'intéressée, qui m'étudiait toujours avec grand intérêt. Sa paupière tressauta sous la douleur.

  –Oui.

  Mon cœur s'arrêta. Un gouffre sembla s'ouvrir sous mon corps et j'eus l'impression de m'effondrer. Sous mes doigts, toute chaleur déserta Kalor.

  Non, c'est impossible, je ne peux pas. J’ai pris toutes les précautions nécessaires, j’ai…

  –Et non.

  Ma chute se stoppa brusquement.

  –Pardon ?

  Oui et non ?

  Sa mâchoire se contracta.

  –C'est très étrange. Votre corps me criait que vous êtes enceinte, alors je m'attendais à trouver un fœtus hors de l'utérus. Ça aurait expliqué pourquoi je ne l'avais pas détecté la dernière fois. Mais il n'y a rien. Rien du tout. Vous êtes enceinte sans être enceinte.

  Je la dévisageai comme si elle avait perdu la tête. Sa migraine l'empêchait-elle de réfléchir ? De procéder à une analyse correcte ?

  –On dirait que vous avez fait une grossesse nerveuse pousser à l'extrême.

  –Une grossesse nerveuse ? répéta Kalor.

  Elle opina, ce qui lui arracha une nouvelle grimace.

  –C'est une pathologie. La femme est tellement persuadée d'être enceinte que le corps commence à en mimer les symptômes. Cependant, cela ne ressort jamais de façon positive sur le test, ni lors d'un examen comme le mien, car elle ne se met pas à sécréter d'hormones de gravidité. Alors que vous, vous en avez produit... (Elle se massa les tempes.) Pourquoi le médecin a-t-il voulu voir si vous étiez enceinte ?

  –Euh... (Je tentai de rassembler mes esprits.) J'ai eu des nausées et une terreur nocturne particulièrement violente hier soir.

  Un éclat d'intérêt naquit dans ses prunelles.

  –Vous souvenez-vous de cette terreur nocturne ?

  Un frisson me traversa. Oui, je m'en souvenais bien. Trop bien. J'aurais souhaité ne jamais savoir que j'avais rêvé d'Arès prenant à nouveau possession de moi, ni du plaisir que j'avais ressenti sous ses assauts, ni qu'il avait assassiné l'enfant... de Kalor.

  Mon souffle se coupa.

  –Madame ? fit Magdalena.

  –Enceinte..., murmurai-je. J'étais enceinte de plusieurs mois.

  –Se pourrait-il..., souffla Kalor.

  –Que cet état se soit répercuté dans la réalité ? termina Freyja. Ça paraît tiré par les cheveux, mais j'ai l'impression que c'est ce qu'il s'est passé. Elle n’a pas fait de fausse couche et les terreurs nocturnes ne sont pas que de simples cauchemars. Les... (Un élancement lui fit fermer les yeux.) Les personnes qui en sont victimes sont incapables de les différencier de la réalité ; même à leur réveil, ils ont du mal à comprendre que rien n'était vrai et cela se ressent parfois physiquement. Ils souffrent comme si on les avait vraiment frappés, ont dû mal à respirer, comme si on les étranglait vraiment... Alors pourquoi pas se réveiller enceinte, comme si on l'était vraiment ? Le psychisme agit bien plus sur le corps qu’on ne le pense. En général, une grossesse nerveuse ne suffit à déclencher la production de celles qui y sont liées, mais couplée à l'intensité et la relative réalité d'une terreur nocturne ? Surtout si elle était vraiment très intense ? Ça ne me semble pas si insensé comme... (Elle grimaça.) Comme raisonnement.

  –Donc elle n'est vraiment pas enceinte ?

  –Non. Pour moi, ce n'est que son corps qui a réagi en écho à son cauchemar. D'ici quelques jours, le taux d'hormones va retomber et les tests ressortiront négatifs.

  Le soulagement balaya si brutalement la pression qui m'écrasait que je m'écroulai contre le dossier, les doigts serrés sur ceux de Kalor. Je sentis quelques larmes m'échapper, mes poumons se remplirent vraiment... Je me sentis revivre.

  –Oh Dame Nature, merci.

  Alors que je portais une main à mes lèvres, je me retrouvai soudain prisonnière d'une puissante étreinte. Délivré de la crainte qui le dévorait, le corps de Kalor tremblait contre le mien. Dans un soupir plus libérateur que jamais, il resserra ses bras autour de moi et guida ma tête au creux de son épaule.

  –Par la Déesse...

  –Allez-y, donnez-lui tout le crédit, je ne dirais rien.

  Les épaules de Kalor s'agitèrent. Refoulant l'hilarité qui le gagnait, il s'écarta de moi, me couva d'un regard débordant de tant d'amour que je cessai de respirer, puis se tourna vers celle qui venait de nous libérer de nos peurs.

  –Merci, Freyja.

  Un sourire en coin suffisant souleva ses lèvres charnues.

  –Ah, quand même.

  Encore incapable de parler, je l'appuyai d'un hochement de tête et Magdalena nous offrit un sourire chaleur.

  –Et moi, on me dit pas merci ? s'enquit une voix boudeuse, tandis que j'essuyais mes larmes.

  Tous nos regards se tournèrent vers l'escalier. Assise à cheval devant la rembarre, les pieds ballant dans le vide, Frigg nous fixait d'un air grognon.

  –J'avais dit qu'il y avait pas de bébé, nous rappela-t-elle. Mais vous m'avez pas écoutée. Vous m'écoutez jamais.

  –Tu as raison, Maman, admit Magdalena avec tendresse. Pour une fois, nous avons eu tort.

  Sa mère retrouva aussitôt le sourire.

  –C'est rien, ma petite madeleine en sucre. Les enfants écoutent jamais les parents. C'est normal. Ils font toujours des bêtises. En raconte aussi. Comme le dieu du feu tout à l'heure : il a dit qu'on pouvait pas avoir de bébés avec les humains, mais c'est pas vrai.

  –Je n'ai pas dit que c'était impossible, Frigg, la reprit gentiment Kalor. Seulement qu'il fallait au moins attendre cinq ans.

  –Eh non, tu te trompes encore. Une fois, deux fois, trois fois, c'est parfois tout ce qu'il faut, pas vrai, Freyji ?

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