Chapitre 54 - Partie 2

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  Surpris, je clignai des paupières à plusieurs reprises. Je m'étais attendu à bien des réponses, mais certainement pas à celle-ci.

  –Frigg n'a pas seulement jouer à me faire peur dans la salle de bain, poursuivit-elle, elle m'en a aussi parlé et entre ses lèvres, cette légende paraissait très réelle. (Une sensation désagréable glissa le long de mon échine.) Je voulais donc voir si cette histoire s'appuyait sur des faits réels, comme des massacres de Lathos.

  –C'est pour ça que tu étais aussi effrayée à mon arrivée, compris-je. Pas parce qu'elle s'était amusée avec ta bague ou à faire « les yeux qui font peur », mais parce qu'elle t'a parlé de Syriane et Enkelion.

  Lunixa se crispa imperceptiblement, puis opina.

  –Et ce qu'elle disait était inquiétant.

  Mes épaules s'abaissèrent.

  –Ma chérie...

  Je reposai le livre, puis m'assis au bord du lit. Ma belle Illiosimerienne releva timidement les yeux au contact de ma paume sur sa joue.

  –Tu n'as pas à les craindre, Lunixa. Les histoires qu'on raconte sur eux sont aussi horribles les unes que les autres, cependant elles restent ce qu'elles sont : des histoires. Syriane et Enkelion ne sont que des légendes.

  –Mais n'y a-t-il pas toujours une part de vérité dans les mythes ?

  –Non, pas toujours. As-tu trouvé la moindre preuve pour appuyer leur existence ?

  –Non, mais j'ai tout juste commencé.

  –Alors laisse-moi t'épargner le travail : tu ne trouveras rien, car ils n'ont jamais existé. Bon nombre de Lathos se sont déjà penchés sur la question et ils n'ont jamais trouvé la moindre preuve de leur existence.

  –Et les Gardiens ? Ne les sentent-ils pas dans leur réseau ?

  –C'est ce qu'ils doivent assurer quand tu les interroges, reconnus-je, mais comment vérifier leurs dires ? Ils sont les seuls à avoir accès à leur réseau et cette histoire facilite bien leur tâche : comme les parents avec des enfants turbulents, ils n'hésitent pas à utiliser le nom du Néant et de la Créatrice pour nous inciter à rester sages. N'est-ce pas bigrement commode qu'ils déteignent un tel moyen de pression ?

  Cette remarque l'interpella, je le vis dans ses yeux. Alors que ses sourcils se fronçaient, son regard se perdit sur le côté et elle, dans ses pensées.

  –Et si nous nous réfléchissions à tout cela demain ? proposai-je avant qu’elle ne s’y plonge complètement. Tu y verras plus clair après une bonne nuit de sommeil.

  Sans lui laisser le temps de répondre, je lui volai un baiser, puis roulai de mon côté du lit en l'entraînant avec moi. Elle se retrouva blottie dans mes bras, la tête posée sur mon torse. Sentir son corps lové contre le mien déversa une vague de bien être dans mes veines et échauffa ma peau malgré nos vêtements respectifs. Alors que j'éteignais la bougie par la pensée, je raffermis mon étreinte autour de sa taille. Toutes les questions qui m'avaient travaillé depuis notre passage chez Magdalena me paraissaient bien lointaine à présent.

  –Kalor ? murmura Lunixa, comme si elle craignait de rompre cette bulle de sérénité qui venait de nous envelopper. Avant de dormir, peux-tu me parler un peu d'eux ? À part ta brève introduction, les seules connaissances que j'en ai me viennent de Frigg.

  Un léger soupir m'échappa. Je n'en avais pas trop envie ; je désirais juste la tenir entre mes bras et la sentir s'endormir contre moi. Mais je pouvais bien lui accorder quelques éclaircissements, ne serait-ce que pour lui éviter d'y songer toute la nuit.

  Mes doigts se glissèrent entre ses boucles.

  –Que veux-tu savoir ?

  –Leur pouvoir sont-ils vraiment similaires à celui des Élémentalistes ?

  –Plus ou moins : ils se transmettent aussi d'hôte en hôte (son souffle caressa ma peau), mais contrairement à nous, ils n'ont pas de pair. Ils sont uniques. Ce qui, allié à leur véritable conscience, leur vaut d'être considérés comme des dieux, là où nous ne sommes que des demi-dieux.

  –Et de quoi sont-ils capables ?

  –De tous : Enkelion aurait le pouvoir de destruction absolu. D'un simple toucher, voire d'un simple regard, il pourrait réduire le palais à néant en quelques instants et sans en laisser la moindre trace. Quant à Syriane, elle aurait la faculté de créer absolument tout ce qu'elle désire en un claquement de doigt, son pouvoir n'ayant de limite que son imagination. Ils sont si puissants que de nombreux Lathos seraient mort pour mettre aux Gardiens de les enfermer.

  –Pourquoi vous détestent-ils autant ?

  –Parce que les tous premiers Lathos, les Lathos originels, en auraient fait leurs souffre-douleurs.

  –Leurs souffre-douleurs ? répéta-t-elle d'une voix incrédule.

  Elle commença à se redresser pour me regarder et voir si je me moquais d'elle malgré l’obscurité, mais je la ramenai contre moi et hochai la tête.

  –À l'origine, le Néant et la Créatrice n'étaient pas du tout considérés comme des dieux : puisque les deux personnes qui les possédaient n'avaient pas d'autre pouvoir, contrairement aux Élémentalistes, notre espèce les voyait comme de simples Lathos. Des Lathos sans aucun semblable, très faible – car ils l’étaient – et qui ne pouvait se multiplier : le Néant était un homme et la Créatrice, stérile. Les Lathos ont très vite cessé de les considérés comme leurs égaux et le harcèlement a commencé. Le Néant et la Créatrice ne pouvaient plus sortir sans être pointés du doigt, sans subir des moqueries, des intimidations. Ils étaient incomplets, imparfaits, impuissants, les rebuts de notre espèce ; personne ne leur accordait la moindre commisération.

  » Au bout d'un moment, cette attitude a fait naître en eux un ressentiment qui ne s'est jamais éteint. Jour après jour, les brimades continuaient et renforçaient leur colère, encore et encore ; jusqu’au jour où toute cette haine a fini par exploser. Alors qu'ils avaient toujours été les plus faibles, la rage a embrasé leur pouvoir et ils sont devenus les plus puissants d'entre tous. Les Lathos n'ont compris que trop tard que leur attitude les avait changés en monstres ; les premières victimes étaient déjà tombées. Terrifiés par leur puissance, leur impitoyabilité, ils ont essayé de s'excuser, de les ramener à la raison, en vain. Le Néant et la Créatrice s'étaient jurés d'éradiquer toute notre espèce pour les faire payer et ils n'avaient aucune intention de s'arrêter avant d'être arrivés au bout de leur tâche, repoussant quiconque se mettait de leur route. Même la mort. À leur décès ou quand les Gardiens ont tenté de les détruire, ils l'ont déjouée comme si de rien n'était et sont revenus à la vie, plus funestes que jamais. Ils en étaient devenus les instruments, la personnification même, et les Lathos ont fini par les rebaptisés en conséquence. Ils n'étaient plus seulement la Créatrice et le Néant, mais Syriane et Enkelion, les dieux Lathos. Nos dieux de la mort.

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