Chapitre 58 - Partie 2

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  –Bien sûr, que je le sais. Mais que veux-tu que nous fassions, Lunixa ? Démanteler la Cause ? Ses racines s'étendent dans l'ensemble du pays, dans toutes les couches de la société. Il faudrait au moins réduire au silence ses dirigeants et détruire l'ensemble de ses bases pour espérer faire pencher la balance en notre faveur, et je ne les connais pas tous. Même si je suis la pièce maîtresse de leur plan, je ne fais pas partie du conseil. J'aurais dû avoir un siège, mais j'ai fait quelque chose qui les a mis dans une colère noire il y a quelques années et ils me l'ont retiré. Depuis, je ne suis qu'un pion entre leur main et ils ne me confient que ce qu'ils jugent utiles. C'est à dire : par grand-chose.

  Ces mots comprimèrent mon cœur. Le courroux qu'il venait de citer, il devait s'agir de celui qu'il avait déclenché en aidant son ami à s'échapper. Kalor avait sacrifié sa liberté de pièce maîtresse pour lui rendre la sienne, devenant le pion qu'Alaric aurait dû être.

  –Quand bien même je saurais tout ce qu'il y a à savoir, continua-il, nous ne sommes que six, tout au mieux. Je ne sais pas si Magdalena et Freyja prendraient part à une telle opération. Quoi qu'il en soit, c'est bien trop peu. Nous ne ferions jamais le poids. Et même si nous y parvenions, il y aurait toujours un risque que des partisans reforment le conseil et poursuivent le plan de leurs prédécesseurs. Seule une véritable campagne contre la Cause pourrait éventuellement mettre un terme à ses agissements, mais il faudrait alors impliquer l'armée et le conseil ne se laisserait pas arrêter sans réagir. Une véritable guerre civile en découlerait.

  Je savais déjà que voir la Cause disparaître n'était qu'un rêve éveillé, mais l'entendre de la bouche de Kalor tua le maigre espoir que je nourrissais malgré tout.

  –Nous sommes donc condamnés à vivre le reste de notre existence en regardant au-dessus de notre épaule ? murmurai-je.

  Un air coupable gagna ses traits, me faisant aussitôt regretter mes mots. Je n'eus toutefois pas le temps de m'excuser qu'un éclat déterminé le chassa.

  –Non, ma chérie, ce ne sera pas toujours le cas. Je suis là et je compte bien te permettre de baisser ta garde et de vivre pleinement. À chaque fois que tu te trouveras avec moi, quand nous nous autoriseront quelques vacances, lorsque nous en saurons plus sur les intentions d'Ulrich, durant ton sé...

  Je fronçai les sourcils.

  Durant mon sé ?

  Kalor ne termina pas sa phrase. Soudain tourné vers une bibliothèque remplie de dossiers, il la fixa un instant, puis s'y dirigea à grandes enjambées. Il récupéra un épais porte-document, noyé au milieu d'une pile du rayonnage inférieur.

  –Kalor ?

  Sans me répondre, il s'installa à son bureau, puis inscrivit quelque chose à l'intérieur. Je voulus voir de quoi il s'agissait, mais il le referma avant que j'aie le temps d'y jeter un œil. Quoi qu'il ait noté, cela le travaillait. La tension dans ses épaules allait et venait, de même que son air sombre, comme s'il n'était pas certain de ce qu'il venait d'écrire. Il m'avait même semblé avoir une légère hésitation avant de poser sa plume sur le papier.

  –Qu'est-ce que c'est ? réitérai-je.

  Il ne s'agissait sûrement pas d'un simple rapport concernant une ville sous sa juridiction ou d'un simple dossier de comptabilité. Il ne se serait pas penché sur de tel document au beau milieu d'une conversation sur la protection de notre filleul.

  –Pour le moment, pas grand-chose, déclara-t-il en le rangeant. Je t'en parlerai quand cela ne sera plus le cas.

  Je le dévisageai sans comprendre, mes sourcils se fronçant de plus belle.

  –Pourrais-tu être plus cl...

  –Quoi qu'il en soit, reprit-il en me refaisant face, tu n'auras pas à vivre continuellement sur tes gardes et ce ne sera pas non plus le cas de Baldr, je t'en fais la promesse. Mais entre ces moments de relâchement, vous devrez absolument être sous bonne escorte. Magdalena, Val et moi nous en chargerons, mais pas seulement : je vais convaincre mon père d'assigner des soldats à la protection de Baldr.

  Ce mystérieux dossier n'eut soudain plus aucune importance.

  –Comment ?

  Il n'allait certainement pas lui avouer la vérité.

  Comme s'il avait lu dans mes pensées, Kalor secoua la tête.

  –La Cause n'était pas la seule à espérer que Baldr soit un enfant illégitime ; c'était aussi le cas des nombreux nobles qui se sont détournés de mon frère pour voir en moi le futur Roi. Certains pourraient essayer de s'en prendre à lui pour s'assurer que cela arrive.

  Comme si nous n'avions pas assez d'ennemis !

  –Mon père en est tout à fait conscient, poursuivit-il, donc je ne doute pas un seul instant qu'il accepte. Je suis d'ailleurs certain qu'il y a déjà songé de son côté... Même si je préférerais que Val, Magdalena ou moi soyons en permanence avec vous, nous avons besoin d'être secondés. Comme tu l'as signalé, nous ne tiendrons jamais sur la durée si nous vous suivons à longueur de temps, et nous épuiser pourrait s'avérer encore plus dangereux que de vous laisser sans surveillance.

  Une boule d'angoisse lesta mon estomac. Moi aussi, j'aurais préféré qu'ils assurent continuellement la garde de Baldr. Je ne doutais pas que Kalor choisirait l'élite de l'élite pour protéger notre neveu, mais serait-ce suffisant contre des Lathos ? Au moindre problème, lui et Valkyria pouvaient nous téléporter à l'abri dans la seconde. Quant à Magdalena, il ne lui fallait pas plus de temps pour détruire un esprit. Les gardes seraient-ils aussi réactifs ? Ils ignoreraient tout du réel danger menaçant Baldr.

  Mais, avions-nous vraiment le choix ?

  Mes yeux se baissèrent sur mes mains et je me revis porter Baldr, ce petit miracle d'à peine deux heures et pourtant déjà menacé.

  L'espace d'un instant, le visage de mon filleul se substitua à celui d'un tout autre bébé. Ferment les yeux, je m'arrachai à cette illusion douloureuse et tentai de repousser la culpabilité qui sourdait en moi, rendu encore plus forte par le regard de Kalor, posé sur moi. Je devais arrêter de songer à ces enfants chimérique, fruits de notre amour. Je ne pouvais plus en avoir, pas avec tous les risques que cela impliquait pour mes secrets.

  Et quand bien il n'y en aurait eu aucun, j'aurais tout fait pour éviter de tomber enceint. Jamais plus je ne condamnerais un enfant à mort avant même de lui donner la vie.

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