Chapitre 59 - Partie 2

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  Mon cœur manqua un battement et l'espace d'un instant, tout feu destructeur me quitta.

  –Oui, tu m'as bien entendu, poursuivit Lokia, je suis venue t'offrir le moyen d'épargner ton neveu.

  Avec une lenteur dont je n'avais jamais fait preuve, je me retournai pour la regarder dans les yeux. Aucune plaisanterie ne transparaissait dans ses prunelles. La tête haute et le regard assuré, elle soutenait le mien avec plus de sérieux que jamais.

  –Pour qui me prends-tu ? cinglai-je. Tu pensais vraiment que j'allais me laisser avoir ? Comme si la Cause allait le laisser vivre. Lunixa ne représente aucun obstacle comparé à lui.

  L'ombre d'un sourire frôla ses lèvres pleines, couverte d’un rouge écarlate.

  –Peut-être, admit-elle. Mais il existe un moyen de le mettre hors d'état de nuire sans le tuer, ni même l'arracher à ses parents.

  Une vague d'espoir des plus traîtresses que je m'empressais de balayer me gagna. Je ne devais pas l'écouter. Seul du venin franchissait désormais ses lèvres.

  Hélas, Lokia n'avait pas manqué l'étincelle que ses mots avaient brièvement allumée dans mes yeux et elle ne chercha plus à masquer son sourire. Désormais certaine d'avoir mon attention et le contrôle de la situation, elle se mit à parcourir le salon comme si de rien n'était.

  –Je n'ai jamais dit que cela serait facile ou sans douleur, mais oui, il y a bien un moyen. Il suffit qu'il soit comme son père : stérile.

  Mon sang s'embrasa violemment.

  –Si vous posez une seule main sur lui...

  –Réfléchis bien à cette proposition, Kalor, me coupa-t-elle d'une voix sombre, toute sourire envolé, car il n'y en aura pas d'autre. Baldr ne pourra peut-être plus avoir de descendance et contrairement à ton frère, nous nous assurerons que ce soit vraiment le cas – il n'y aura pas d'enfant miracle – mais il vivra. C'est bien plus que nous devrions lui offrir.

  Un étau sembla se refermer sur ma poitrine.

  –Et que demandez-vous en échange de cette généreuse proposition ?

  –Une preuve que tu reviens dans les rangs. Une vie pour une vie.

  Elle glissa sa main dans son décolleté et, sans me quitter des yeux, en ressortit un petit flacon qu'elle posa sur la table basse.

  –Celle de Baldr contre celle de ton humaine.

  Pendant un instant, je ne réagis pas, toute mon attention rivée sur la petite bouteille et non sur sa gorge qu'elle me dévoilait ostensiblement, toujours penché en avant. Puis mon pouvoir se déchaîna en moi.

  –Avez-vous perdu la tête ? explosai-je.

  –Loin de là, contra-t-elle sans se départir de son assurance. Comme je te l'ai dit, je déteste te voir souffrir, mon amour, c'est pourquoi j'ai convaincu mon père de me laisser te faire cette proposition ; car même si cette idée me met hors de moi, je sais que tu souffriras s'il met son plan à exécution et que ton humaine souffre. La mort n'a pas à être douloureuses, Kalor, et elle n'a pas besoin de frapper plusieurs personnes. Une seule suffit. Alors songes-y sérieusement, car c'est toi qui as toutes les cartes en main, à présent : soit tu rejettes cette offre, et tu ne pourras t'en prendre qu'à toi-même pour ce qui suivra. Soit tu l'acceptes, tu verses le contenu de cette fiole dans le verre de ton humaine, et tu lui offres une mort paisible. Tout peut se terminer en douceur, Kalor. Ton humaine n'a pas à souffrir ; Baldr n'a pas à mourir.

  Tout en prononçant ses mots, elle traversa la pièce.

  –Tu n'as pas à souffrir, conclut-elle une fois devant moi. Pas autant que si mon père se charge d'eux. Et je me doute que cela risque de t'être difficile, mais je serais là pour t'aider. (Un tendre sourire fleurit sur ses lèvres.) Je serais toujours là pour toi, mon amour.

  Elle tendit la main vers mon visage, mais alors que ses doigts n'étaient plus qu'à un centimètre de ma peau, tout son corps se pétrifia. Interdite, elle me dévisagea tandis que je pressais un peu plus le lame que je venais de poser contre sa gorge, la faisant crisser contre la glace dont elle avait instantanément couvert son cou pour se protéger.

  –J'ai dit : sors d'ici, Lokia.

  Ses lèvres retombèrent brusquement. Dans la seconde, ma salive se raréfia, mais je ne bougeai pas mon poignard.

  –Très bien, souffla-t-elle finalement en reculant. Puisque tu souhaites réfléchir seul, je vais te laisser y réfléchir seul, mon amour.

  Ses yeux retrouvèrent leur couleur bleu proche de l'indigo, puis elle gagna la sortie alors que la salive me revenait.

  –Une dernière chose, dit-elle juste avant d'ouvrir la porte. Tu as cinq jours pour accepter mon offre et la mettre à exécution. Pas un de plus.

  Après qu'elle eut refermé le battant derrière elle, je ne pus contenir la violence de mon pouvoir plus de quelques secondes. Il se propagea dans chaque parcelle de mon être, gagna mes yeux ; l'intense chaleur qui se dégagea de ma peau troubla l'air, le monde disparut sous un voile monochrome.

  Je m'étais préparé à une attaque frontale, comme la nuit de nos renouvellements de vœux, ou bien légèrement détournée, à l'instar de la fête du renouveau. Pas à cela.

  Le souffle court, je posai les yeux sur la fiole.

  Leur cruauté n'avait-elle aucune limite ? Comment pouvait-il me laisser un choix pareil ? Il était hors de question que j'accepte la proposition de Lokia ! Autant m'arracher le cœur !

  « La mort n'a pas à être douloureuses, Kalor, et elle n'a pas besoin de frapper plusieurs personnes. Une seule suffit. »

  « Verses le contenu de cette fiole dans le verre de ton humaine, et tu lui offres une mort paisible. »

  Ces mots résonnaient avec force dans mon esprit, distillant un peu plus le poison de Lokia, et je secouai la tête pour essayer de m'en débarrasser.

  Une douce mort ne pouvait être la seule délivrance que j'étais capable d'offrir à Lunixa et elle n'avait pas à payer pour le bonheur d'autrui ! Je lui avais promis des moments de bonheur et je comptais bien tenir cette promesse ! Quoi qu'ait prévu Ulrich, nous trouverions un autre moyen de l'en empêcher. Un moyen qui ne demanderait aucun sacrifice. Il en existant forcènement, je refusais de croire le contraire.

  J'avais beau me le répéter, le passage de Lokia m'avait mis dans un tel état que j'avais du mal à repousser le venin de ses paroles. Dès que mon attention glissait sur la petite bouteille, tout ce qu'elle avait dit se rejouait dans mon esprit et un horrible doute s'instaurait en moi.

  Et si elle avait raison ? Et si sa proposition était le seul moyen de sauver Baldr et d'épargner à Lunixa la souffrance que lui réservait Ulrich ?

  Révulsé par la tournure de mes pensées, je me saisis soudain du flacon et l'envoyai contre le mur. Le verre explosa en milliers d'éclats. Plusieurs passèrent à deux doigts de mon visage et l’un d’eux toucha même ma joue, mais enfin, je respirais : la solution de Lokia ne pouvait plus empoisonner mon esprit et perturber mes pensées sans son damné poison à porter de main.

  Après ce geste, il me fallut malgré tout encore quelques minutes avant de retrouver un semblant de calme et le contrôle de mon pouvoir. Mais dès que ce fut le cas, je me précipitai hors de mon bureau. Je devais prévenir Lunixa et Valkyria du retour de mon ancienne fiancée ; j'avais déjà bien trop tardé.

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