Chapitre 69 - Partie 2
–Bonté divine, Magda ! Tu. Es. Une. Femme de chambre ! Une femme de chambre ! Pas une soldate ! Arrêtes de te comporter comme tel !
Assise sur une chaise de la cuisine, complètement surplombée par Freyja qui venait de se redresser d'un coup, Magdalena accusa son regard brûlant sans détourner les yeux ni s'enfoncer dans son dossier.
–Je ne me prends pas pour une soldate, rétorqua-t-elle d’une voix posée.
–Alors cesse de t’exposer au danger !
–Et les laisser tomber, leur tourner le dos pour me cacher alors qu'ils ont besoin de moi ?
–Oui ! Dois-je te rappeler ce qu'il s'est produit la dernière fois que tu as voulu les aider ?
Un profond malaise m'envahit tandis que la température de Kalor s'accentuait. Le souffle court à cause de notre voyage, il me lâcha pour s’appuyer au dossier du fauteuil à côté de nous.
–Non, tu n'en as pas besoin, répondit Magdalena, mais ne leur jette pas la pierre, Frey. Personne ne m'avait forcé la main et j'ai aussi commis des erreurs, ce soir-là ; tu le sais très bien. Je n'aurais pas dû partir seule avec la Princesse sans prévenir son époux et je n'aurais pas dû être persuadée qu'elle ne risquait rien avec moi sous prétexte que je suis une Liseuse. Comme tu l'as dit, je reste avant tout une camériste, sans la moindre compétence au combat. La puissance de mes pouvoirs n'aurait pas dû me le faire oublier.
–Alors demain, une fois que tu auras fini de l'apprêter, reviens ici.
Un sourire navré souleva les lèvres de Magdalena.
–Je ne peux pas, je suis désolée. Je ne serais plus capable de me regarder dans un miroir s'ils leur arrivaient quelques choses parce que j'ai préféré me cacher.
Une expression douloureuse envahit le visage de Freyja.
–Si je t'attache à ton lit, tu seras dans l'incapacité de les aider. Tu n'auras pas à te sentir coupable.
Ma femme de chambre secoua la tête.
–Ne dis pas n'importe quoi.
–Je ne dis pas n'importe quoi, répliqua sa sœur de cœur. Je suis prête à le faire. Je suis même prête à t'injecter de l'havankila si je dois en arriver là pour t'empêcher de faire cette connerie magistrale.
Au lieu de s'emporter ou d'être horrifiée par cette menace, Magdalena sembla seulement ressentir une profonde peine.
–Frey...
Elle était sur le point d'ajouter quelque chose, mais elle cilla soudain plusieurs fois et aucun mot ne franchit ses lèvres. Une seconde passa, puis elle ferma les yeux dans un soupir avant de se tourner vers nous.
–Altesses, nous salua-t-elle avec un faible sourire.
Freyja pivota vivement dans notre direction. Dès que ses yeux se posèrent sur nous, un brasier incendiaire embrasa ses prunelles et leur couleur se mit à vaciller.
–Vous allez finir par la livrer à la Cause ou la tuer si vous continuez à l'utiliser !
Mon sang se glaça à cette perspective et j'accusai un mouvement de recul. Mon dos se heurta au torse de Kalor, bien plus crispé et plus brûlant qu'une seconde plus tôt.
–Freyja !
La voix de Magdalena cingla avec tant de force que j'en eus le souffle couper. Jamais encore je ne l'avais entendu s'exprimer avec tant d'autorité.
Freyja, quant à elle, ravala brusquement le reste de ses accusations et ses yeux se figèrent sur une couleur alliant bleu glace et vert forêt. Serrant les dents, elle tourna la tête vers son amie, qui s'était finalement levée pour lui faire face.
–Personne ne m'utilise, Freyja, reprit Magdalena d'un ton toujours ferme, alors cesse de les accuser. Je comprends que cela t'inquiète, mais je ne suis pas ma mère, ni une enfant qui agit sur un coup de tête pour prouver sa bravoure ; je suis capable de faire mes propres choix et c'est mon choix de les aider. Ma décision. S'il te plaît, respecte-la.
La voix de Magdalena avait retrouvé sa douceur naturelle au fil des mots, mais les traits de Freyja se tordirent dans une nouvelle grimace douloureuse. Mon cœur se serra de la voir déchirée entre son besoin de savoir sa sœur de cœur à l'abri et celui la traiter comme une égale, d'accepter ce choix qu'elle savait réfléchi, quand bien même elle le détestait.
Sentant le tiraillement de son amie, Magdalena posa une main sur sa joue.
–Je ferai attention, je te le promets. J'ai retenu la leçon avec l'Horloger.
Alors que je n'osais pas m'insinuer dans leur échange, Kalor n'eut pas d'hésitation. Se redressant de tout son mètre quatre-vingt-dix-sept, il fit un pas vers elles.
–Je ne peux pas te promettre qu'il ne lui arrivera rien, Freyja, mais Magdalena ne devrait pas être exposée au danger. Elle sera cachée et aussi éloignée de la salle de réception que son pouvoir le lui permet. À moins qu'un Gardien bien plus puissant que la normal ait rejoint la Cause et soit présent sur l'ordre d'Ulrich, personne ne devrait se douter de sa présence.
–Personne ? cracha Freyja. Si les partisans se retrouvent assailli les uns après les autres d'intenses migraines, il ne faudra pas dix secondes pour que quelqu'un comprenne qu'un Liseur en est à l'origine. Aucun autre Lathos n'est capable d'infliger de telles souffrance.
–J'en ai conscience.
–C'est pourquoi il m'a demandé de me concentrer sur la recherche des sbires du Marquis Piemysond, intervint Magdalena, en particulier le Marionnettiste, ainsi que de servir de relais de communication pour qu'ils puissent converser malgré la distance. C'est tout ce que je suis censée faire. Je ne m'en prendrais aux esprits des partisans qu'en dernier recours.
Ses lèvres pulpeuses toujours réduites en une ligne tordue, Freyja la fixa un instant sans mot dire avant de la planter brusquement sur place. En trois enjambées, elle fut sur nous. Son expression était devenue si glacial que je dus me faire violence pour ne pas reculer d'un nouveau pas et affronter son regard.
–S'il lui arrive quoi que ce soit, si elle rentre ne serait-ce qu'avec une seule égratignure, je jure sur cette maudite Déesse que je vous en tiendrais pour responsable.
Loin de se sentir menacé, Kalor hocha solennellement la tête. Pour le soldat en lui, la question ne se posait même pas. C'était lui qui avait demandé à Magdalena de nous prêter main forte et lui aussi qui dirigerait les opérations ; il serait évidemment responsable de ma camériste et de tout ce qui lui arriverait. Cela devait même être déjà le cas.
Freyja dut lire dans son regard qu'il ne se défilerait pas, car sans ajouter un mot, elle reprit sa route et gravit les marches quatre à quatre. Sitôt qu'elle eut disparu dans le couloir du premier étage, les épaules de Magdalena retombèrent.
–Je suis désolée. Pour cette scène et l'attitude de Freyja.
–Tu n'as pas à t'excuser, l'arrêtai-je. Ses inquiétudes sont légitimes et ses accusations... pas dénuées de vérité.
C'était en partie de notre faute que Magdalena s'exposait au danger et se retrouvait à jouer les espionnes pour Kalor. Un rôle qu'une femme de chambre n'aurait jamais dû porter.
–Comme je l'ai dit à Freyja, personne ne me force la main, répliqua Magdalena. Vous n'avez pas à vous sentir responsable de moi. Cela risque de vous détourner de ce qui est important.
–Tu es importante, rétorquai-je.
Surprise, elle écarquilla les yeux, puis un air chaleureux gagna son visage et un doux sourire fleurit sur ses lèvres.
–Merci, Lunixa.
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