Chapitre 81 - Partie 1
LUNIXA
Mon cœur manqua de jaillir de ma poitrine. Réalisant soudain ce que j'avais fait, la conséquence de mon geste et l'impossibilité de revenir en arrière, je fondis sur Piemysond alors qu'elle redressait la tête, le regard dévoré par la haine.
Malgré sa fièvre naissante et la perte de ses pouvoirs, elle dévia mon bras d'un geste assuré et son poing fusa vers mon visage. Je le parai de justesse, puis enclenchai ma prochaine offensive. Ses yeux virèrent au bleu glace.
Un vertige me frappa et ma gorge s'assécha.
–Attrape-moi cette chienne !
Étourdie, je m'écartai maladroitement d'elle et pivotai sur mes talons, le bras tendu en arrière pour lancer mon poignard sur son complice. Le temps qu'il passe l'ouverture du mur pour revenir dans le salon, il faisait une cible idéale.
Je n'eus pas l'occasion de jeter mon arme. Le temps que je me tourne vers lui, le Lathos se tenait déjà devant moi. Il me plaqua avec violence et le monde bascula.
Une vive douleur éclata à l'arrière de mon crâne à l'impact du sol ; je crachai tout l'air de mes poumons et manquai de lâcher mon arme. L'espace d'un instant, tout disparut sous un éclat blanc aveuglant. Puis la vision me revint et je me retrouvai nez à nez avec le Lathos. Avant qu'il ne m'immobilise totalement, je ceinturai sa taille de mes jambes, basculai mes hanches et inversai la situation, me retrouvant à cheval sur lui. La seconde d'après, je fichai mon poignard dans son cœur.
Sans rencontrer la moindre résistance
Sans que la moindre goutte de sang ne jaillisse.
Sans que le moindre spasme convulsif ne secoue le Lathos.
Ma lame le traversa comme un couteau dans du beurre jusqu'à la garde, puis celle-ci s'enfonça à son tour dans sa poitrine.
Par la Déesse !
Le Lathos se redressa d'un coup et ma main disparut elle aussi dans son torse. Il plaqua ses paumes contre mes tempes, puis rejeta la tête en arrière. Comprenant ses intentions, je l'imitai à la dernière seconde et une nouvelle explosion de douleur éclata dans mon crâne lorsque nos fronts se heurtèrent. Des tâches noires envahirent ma vision. Un grognement lui échappa. Le sentant chercher à inverser nos positions malgré le choc, je bondis hors de sa portée, me réceptionnai dans une roulade et me relevai maladroitement, encore à moitié sonnée et mon second poignard empoisonné à la main.
Un Éthérien... Dame Nature, pourquoi avait-il fallu que ce soit un Éthérien ! Qui plus est un Éthérien assez puissant pour choisir quelle partie de son corps il rendait immatérielle ? J'aurais presque préféré un Puissant ! Cette race m'effrayait mais au moins pouvais-je les toucher à tout instant ! Et pas seulement quand ils étaient tangibles.
Mon adversaire se releva en vitesse et se jeta sur moi. J'esquivai le premier coup et frappai. Ma lame passa derechef à travers lui alors que son poing fondait vers moi. Je tentai de parer avec mon bras, mais ne rencontrai que du vide. Le coup me cueillit en pleine mâchoire.
Le même schéma se reproduisit durant la salve d'offensives qui suivit. Que j'attaque ou que je me défende, je n'arrivais à rien ; même lorsque je fis exprès de laisser passer un coup dans l'espoir de toucher l'Éthérien lorsqu'il m'atteindrait, comme je l'avais fait avec notre coup de tête. À la dernière seconde, il se rendit intangible et en fin de compte, aucun de nous ne toucha l'autre. J'en étais réduite à esquiver ses attaques, sans avoir la possibilité de surveiller la Marquise, restée sur le côté, tant ses offensives s'enchaînaient à un rythme effréné.
Il devait pourtant y avoir un moyen de l'atteindre ! Une simple coupure, c'était tout ce qu'il me fallait !
J'y réfléchissais tout en me battant et m'apprêtais à bondir sur le côté quand un nouveau vertige me prit. Je titubai sur la droite et avant que je ne reprenne mes esprits, un violent coup de pied me frappa à l'abdomen. Je partis en arrière. Un mur m'arrêta net.
–Le couloir ! cingla Piemysond. Conduis-y la !
L'Éthérien fondit sur moi. Je voulus plonger sur le côté, mais mes jambes chancelaient encore et un torse bien tangible interrompit ma tentative, m'écrasa contre les boiseries.
Un étrange fourmillement me traversa tout entière. Je sentis le buste de l'homme contre ma poitrine, la pression de son corps entraîné par le mouvement contre le mien, ses bras qui se refermèrent autour de mes épaules.
Puis d'un coup, tout cessa.
Il nous avait traversés. Le mur et moi.
La bouche de Piemysond s'entrouvrit.
–Mais...
Je n'attendis pas de savoir ce qui n'allait pas pour m'éloigner du mur et faire volte-face. L'Éthérien réapparut dans la seconde, son corps encore à moitié dans le mur, les yeux ronds et bouche-bée.
Cette fois-ci, je ne laissai pas passer ma chance. Profitant de leur stupeur, je pivotai sur moi-même et créai un poignard que je lançai sur la Puissante. Elle se tourna de côté bien trop vite pour une femme fiévreuse et un éclair écarlate trancha l'air, juste devant mon poignard. Un tintement aigu retentit. Ma lame partit sur le côté et finit par se planter dans le sol.
Ce fut à peine si le bruit du métal se fichant dans le parquet me parvint. Pétrifiée, je n'avais plus d'yeux que pour l'arme entre les mains de mon ennemie.
Une petite dague, sans garde, comme taillée dans du rubis.
Une dague de sang gelé.
Oh Dame Nature, si elle pouvait contrôler le sang une fois qui s'était écoulé d'une blessure...
Paniquée, je fis volte-face en brandissant mes poignards pour contrer toute attaque.
Mais j'avais tout juste amorcé le mouvement qu'une douleur stridente éclata dans mon flanc. Je cessai de respirer.
Au niveau de ma taille, une fine lance d'hémoglobine traversait mon flanc de part en part, façonnée à partir de la mare carmin dans laquelle baignait le Sirène.
Le temps sembla s'arrêter. Mon cerveau refusait de croire ce qu'il voyait et je restai là, à fixer d'un air ahuri cet arme qui jaillissait de mon corsage, semblable à la plus pure des pierres précieuses. Cette lame ne pouvait m'avoir empalée. Elle avait simplement traversé ma robe. Le sang frais qui coulait dessus n'était pas le mien, elle commençait juste à fondre.
Puis, comme au ralenti, je vis la lance coulisser vers l'avant et dans une explosion de douleur, le temps reprit son court. L'arme allait et venait à un rythme frénétique, me lacérant de l'intérieur. Un glapissement pitoyable franchit mes lèvres. Je m'effondrai à genou.
–Qu'attends-tu, imbécile, assomme-la !
Une forme floue jaillit à la lisière de mon champ de vision. Je voulus la repousser, mais la lance bougea encore. Je faillis tourner de l'œil.
Le coup de l'Éthérien finit par s'en charger.
Je le sentis frapper ma tempe de plein fouet, puis je perdis connaissance.
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