Chapitre 87

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LUNIXA


  Je crus que l'ensemble de mon être allait se rompre. À l'instant où les flammes passèrent de simple pensée à besoin, une migraine insoutenable explosa à mes tempes, toutes mes forces s'envolèrent, ma vision se teinta de rouge et une horrible chaleur éclata dans mes veines.

  Mais plus encore au creux de mes mains.

  Vidée, submergée par toutes cette souffrance, incapable de le supporter, je ne pus même pas hurler. Alors que je me crispais, un misérable geignement m'échappa.

  Aussitôt, les yeux flamboyant de Kalor se posèrent sur moi et le temps sembla s'arrêter. Malgré ma vue troublée, je vis son visage se détendre et la haine déserté ses traits. Son regard se perdit à travers moi, se focalisa sur le faible feu dans mes mains. Ses prunelles n'eurent soudain plus seulement l'air flamboyantes. Elles s'illuminèrent véritablement de l'intérieur, se changèrent en deux naines rouges miniatures.

  Puis il releva la tête, se concentra sur un point au-dessus de mon épaule, et le temps repartit dans une éruption de douleur.

  D'un coup, la chaleur sur mes paumes se mua en véritable fournaise qui me brûla les mains, me lécha le dos à travers mon corsage, me mordit la naissance de la nuque. Pendant une seconde, je crus que ce brasier allait me dévorer. Un cri de souffrance et de panique se bloqua dans ma gorge. Pourtant, un hurlement me déchira les tympans, à moitié étouffé par le rugissement d'un feu qui s'emballe. L'étau fermé autour de mes poignets me relâcha brusquement en me poussant. Alors que je tombais en avant, le feu déserta ma peau.

  Un couinement m'échappa lorsque mes paumes brûlées heurtèrent le sol et je m'effondrai sur ma hanche. Un nouveau mugissement incendiaire étouffa ma faible plainte ; le cri redoubla d'intensité ; la chaleur se décupla.

  Terrifiée, je pivotai sur mon séant pour me redresser et m'éloigner. Je me retournai cependant dans le mouvement et ce que je découvris me pétrifia.

  Une silhouette ignée s'agitait en tous sens et en poussant des hurlements d'orfraie. Il ne restait plus rien du Lathos qui m'avait tenue ; le feu l'avait complètement submergé, donnant l'impression que son corps était composé de flammes et non de chair. Le parquet s'embrasait sous ses pas.

  –Tove, arrête-le ! éructa le Marquis

  M'arrachant à cette vision d'horreur, je reportai mon attention sur le reste de la pièce. Les deux femmes qui avaient immobilisé Kalor étaient figées d'effroi. Alerté par les cris, le Lathos dans le couloir ouvrait la porte. Quant à Kalor, les yeux toujours incandescents, il se tournait vers son. Une gerbe de feu jaillit du sbire enflammé, droit vers sa cible. Le Puissant bondit en arrière. Les flammes le manquèrent de si près qu'elles firent rosir ses joues avant de s'écraser sur le fauteuil qu'il occupait plus tôt. Le meuble s'enflamma immédiatement, puis le tapis à ses pieds pris feu à son tour ; les odeurs de chair, bois et vernis brûlés et la fumée commencèrent à se propager dans l'air. Une première quinte de toux m'irrita la gorge. Mes mains brûlées serrées contre moi, je poussai sur mes jambes pour m'éloigner de toute cette folie, me traînant sur les fesses sans la moindre dignité, tremblant de peur et d'épuisement ; le goût du sang se répandait dans ma bouche.

  –Tove ! répéta le Marquis.

  Un spasme agita l'une des deux Lathos et elle se mit à chanter. Mon époux fit subitement volte-face et un nouveau torrent de flammes traversa la pièce. Comme le Marquis, les partisanes s'écartèrent, mais les langues incandescentes touchèrent la manche de la Sirène et la veste de l'autre femme. Mon cœur avait beau pulser comme un fou, un battement plus tard, elles s'embrasaient toutes entières, comme si elles avaient été plongées dans de l'huile à brûler.

  Le visage du Marquis se tordit de rage. Profitant que Kalor soit tourné vers ses subalternes, il se jeta sur moi. Un vent de panique me submergea. Je poussai sur mes jambes de plus belle alors que Kalor se relevait en pivotant vers nous. Mais j'étais exténuée et m'empêtrai dans mes jupons. Je n'avais pas reculé d'un centimètre et Kalor n'avait pas encore lancé une nouvelle attaque que le Puissant fut sur moi. D'un geste sec, il me redressa, me plaqua contre son torse et plaça son poignard sous ma gorge. Incapable de rester debout, je sentis mes jambes m’abandonner et la lame mordit ma chair.

  –Il suffit, Kalor ! cracha-t-il en me redressant sèchement, toute maîtrise envolée. Éteins-moi cet incendie tout de...

  Me servant de l'élan qu'il m'offrit en me relevant, je projetai la tête en arrière. Un craquement sec retentit. Le Marquis grogna de douleur et, sous la violence du choc, sa prise se desserra et il fit un pas en arrière. Privée de soutien, je m'écroulai, me penchant en avant dans l'espoir de lui échapper.

  Les doigts du Puissant agrippèrent ma manche au moment où ceux de Kalor se refermèrent sur mon poignet. La température de mon époux me fut intolérable. J'en glapis de douleur et ne pus m'empêcher d'avoir un mouvement de recul. Un mouvement vers celui que je cherchais vraiment à fuir.

  Kalor me tira aussitôt au lui et, dans un bruissement de tissu déchiré couvert par un nouveau rugissement, je me retrouvai prisonnière de son étreinte infernale.

  Kalor n'eut alors plus aucune hésitation. Ses yeux rayonnèrent de plus belle et un torrent igné nous frôla. Cette fois-ci, le Marquis n'eut pas le temps de s'écarter. Le feu toucha de plein fouet son torse.

  Le Puissant avait vu ce qu'il était advenu de ses sbires, une fois touchés. Il arracha immédiatement veste et chemise pour tenter d’échapper à leur sort. Les flammes étaient toutefois trop rapides. Elles avaient déjà traversé les différentes couches de tissus et atteint sa peau ; celles qui consumaient ses vêtements s'étaient rué vers ses doigts et les atteignaient déjà.

  Alors, tout comme ses sous-fifres, il s'embrasa à son tour et se changea en véritable torche humaine.

  Tout comme eux, il se mit à pousser à des hurlements effroyables, à s'agiter dans l'espoir de se défaire de ce brasier qui le consumait.

  Dans une tentative désespérée de nous nuire, il réussit pourtant à faire deux pas vers nous. La température de Kalor s'accentua en réponse et les flammes qui dévoraient son tortionnaire doublèrent de taille. Le cri de Piemysond devint encore plus terrifiant avant de se couper net tandis qu’il s’écroulait à nos pieds. Terrorisée, je me collai encore plus à Kalor afin de m'éloigner de ce corps en feu, ignorant sa chaleur à peine tolérable malgré nos vêtements respectif.

  Kalor ne s’en écarta pas d’un pas.

  Aussi rigide qu'une pierre, les prunelles toujours semblables à deux minuscules soleils, mon mari fixait son chef tandis que celui-ci se tordait de douleur sur le tapis en feu. Même quand le Puissant s'immobilisa, Kalor ne bougea ni ne le quitta des yeux.

  –Kalor ?

  Il ne réagit pas. Le feu qui ravageait la pièce se rapprochait de nous, mes jambes tremblaient tellement que j'étais à deux doigts de m'effondrer malgré son soutien et la fumée me brûlait tant la gorge que je me mis à tousser sans interruption. Pourtant, il restait de marbre.

  –Kalor, c'est fini, insistai-je entre deux quintes de toux. Il... Il est mort.

  Cela n'eut pas plus d'effet. Le regard toujours rivé sur la dépouille enflammé de son bourreau, à la fois absent et brûlant de rage, presque fou, et les traits si tendus qu'ils semblaient sur le point de se rompre à tout instant, Kalor restait complètement immobile, son corps vibrant contre le mien, comme plongé en transe.

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