Chapitre 92 - Partie 2
Alaric maudit la Déesse, puis libéra son pouvoir dans toute sa grandeur. Nul n'y échappa. Dans la salle de réception, dans les couloirs alentours, sur le balcon, tous furent écrasés par sa puissance et ployèrent le genou. Le garde en perdit son contrôle sur le Marionnettiste, qui tomba finalement à terre. Un simple élancement traversa le partisan à l'impact – la chute n'avait pas été assez longue pour être douloureuse – mais interdit, perdu, il n'essaya pas de se relever. Cette démonstration de force atteignit également son but : qui qu'il soit, le Scintillant cessa de diriger et concentrer la lumière devant Alaric.
Celui-ci ne retrouva toutefois pas la vue tout de suite. Je tentai de le diriger via les yeux du Prince Kalor, sans succès. Les soldats et le Marionnettiste commencèrent à retrouver leurs esprits, à lutter contre cette pression qui les maintenait tous à genoux. Dans un coin de la pièce, une femme ne faisait pas que combattre l'emprise d'Alaric : elle avait relevé la tête et balayait discrètement la salle du regard. L'homme à ses côtés la dévisageait avec effroi.
–Ne bouge pas, semblait-il lui dire. Fais comme les autres.
L'hésitation de la noble s'accentua. J'espérais qu'elle suivrait son conseil et ne ferait rien, mais son regard finit par se poser sur le Marquis Dragor.
–Alaric !
Il cilla encore et, au milieu des tâche blanches éblouissante qui l’aveuglaient, il parvint enfin à distinguer le Marionnettiste. Il chercha aussitôt l'élever du sol. Sa main invisible se heurta à une barrière. Celle de la noble, une Bouclier.
–Bon sang...
Un vrai duel de volonté commença entre les deux Lathos alors que derrière le rempart, le Marquis se redressait sur les coudes, de plus en plus déconcerté. Avec difficulté, je plongeai dans l'esprit de la femme et lui demandai d'arrêter. Ma soudaine intervention, plus que mes mots, la choquèrent tant que sa barrière tomba. Alaric ne perdit pas un instant. Il attrapa le Marionnettiste, puis quitta la salle en rappelant son pouvoir. Leur mobilité retrouvée, de nombreux gardes se lancèrent à sa poursuite, mais il allait bien trop vite. Sous le yeux stupéfaits des soldats dans les couloirs, il traversait le palais à toute vitesse pour atteindre le salon de l'aurore.
Ne sachant pas où on l'emmenait, le Marionnettiste paniqua, voulut se défaire de la poigne d'Alaric, lui échapper en se glissant dans un soldat. Non seulement, Alaric ne le laissa pas en toucher un seul, mais je me tenais prête à l'en empêcher, ignorant l’évanouissement qui me guettait. Il devait quitter son hôte, il devait quitter le Marquis Dragor...
Épuisée comme rarement je l'avais été, je me vis contrainte de rompre ma connexion avec le Prince pour transmettre mes instructions à Alaric. Je faillis tourner de l'oeil avant qu'il ne parvienne à sa destination, dont il pulvérisa la porte. Le partisan à l'intérieur, déjà dérouté par l'alarme, n'eut pas le temps de réagir. Alaric le défenestra et le transperça avec les débris de la porte et de la vitre avant de se poser avec le Marionnettiste au centre de la pièce, à côté du canapé jaune orangé où reposait un homme endormi.
–Regagnez votre corps, vite.
Le père de famille écarquilla les yeux.
–Comment savez...
–Je le sais, c'est tout. Maintenant, retournez dans votre corps avant qu'il ne soit trop tard.
Des images du Métamorphe et du Lathos tué à l'instant traversèrent l'esprit du Marionnettiste. Il secoua la tête et fit un pas en arrière. Alaric le repoussa aussitôt vers son propre corps.
–Ne pouvons vous aidez, plaida-t-il.
–Non, vous voulez juste me tuer.
–Pas du tout. C'était notre intention à l'origine, mais nous savons à présent pourquoi vous êtes là. (Le partisan retint son souffle.) Nous savons pour vos enfants et nous pouvons les aider. Vous aidez.
Le partisan le dévisagea un instant, puis secoua la tête.
–Non, personne ne le peut. La Cause est trop puissante.
–Puissante, mais pas invincible, contra Alaric. (Les bruits d'une course naquirent dans le couloir.) J'étais à votre place, avant. Ils m'ont ôté à ma famille pour faire de moi une arme. Sauf que j'ai refusé et ils m'ont passé les fers. Pendant trois ans, ils m'ont gardé enchaîné, torturé et empoisonné dans l'espoir de me briser. Et regardez-moi aujourd'hui. Je suis défiguré et jamais je ne finirai ma croissance à cause des injections quotidienne d'havankila, mais je suis libre et j'ai réussi à vous arracher à eux. Vous, leur dernière acquisition, l'une de leur carte maîtresse.
–Nous avons également tué un... un de leurs chefs, intervins-je. Le Marquis Ulrich Piemysond.
–Quoi ? lâcha Alaric alors que le Marionnettiste se figeait.
Cette voix...
Non... C'est impossible.
Les Liseurs...
–N'ont pas encore tous disparu, terminai-je. Quelques rares lignées ont survécu au nettoyage des races.
Ma voix résonnait dans son esprit tandis que son regard retournait sur Alaric, encore ébranlé par la mort de son tortionnaire.
Une Liseuse et un Télékinésiste d'une puissance inouïe...
–Nous... Nous avons d'autre allié, lui soufflai-je. Des alliés tout aussi précieux, qui peuvent vous venir en aide, à vous et votre famille. Tout ce qu'il vous faut faire pour... pour nous le permettre, c'est retourné dans votre corps.
Le Marionnettiste déglutit avec difficulté et observa son corps. Une bouffée d'espoir gonfla sa poitrine. Il se vit retrouver ses enfants, participer à leur libération avec Alaric, les serrer contre lui, leur promettre de ne plus jamais laisser quiconque leur faire du mal, tenir cette promesse...
Il tendit la main du Marquis vers sa propre main...
Et pris soudain conscience des bruits de pas dans le couloir.
« Échoue et ils en payeront le prix. »
–Non !
J'eus beau crier, je ne pus rien faire contre cette pensée. Aussi brutalement qu'il s'était rappelé la menace de ses bourreaux., elle balaya l'avenir heureux qu'il avait entrevu, raviva ses pires craintes. Corps brisé, pouvoirs volés, membres arrachés... Je subis l'assaut de ces peurs dans toute leur violence et perdis une part de notre lien.
Si au moins cet homme.. .
–Non, ne faites pas cela !
–Je n'ai pas le choix, murmura-t-il. Si je vous suis, ils leur en feront payer le prix.
–Non, s'il vous plaît, laissez-nous une chance !
Son esprit resta sourd à ma supplique. Déterminé, mais encore incertain de la démarche à suivre, il avisa la situation. Son propre corps, celui de son hôte, Alaric, ce qui pouvait servir d'arme.
–Alaric !
Le jeune Télékinésiste revint à lui dans un sursaut. Ce mouvement attira l'attention du Marionnettiste sur lui et il se rappela soudain l'incroyable puissance du garçon.
S'il reste libre de sa volonté...
Il tendit la main vers lui.
Tout alla si vite que je n'eus pas le temps d’avertir Alaric. Encore légèrement troublé, il ne réagit pas au geste du Marionnettiste, mais quelque chose de primaire, au plus profond de lui, le secoua. Alors que les doigts du Marionnettiste n'étaient plus qu'à quelques centimètres de lui, il le figea.
–Non ! hurla le Marionnettiste. Pitié, non, laissez-moi faire ! Mes enfants...
Alaric recula.
–Magdalena...
–Cet homme a déjà bien vécu ! geignit le Marionnettiste. Je vous en supplie !
–Et je... Je vous supplie de nous lassiez vous aider ! Si vous le tuez, nous... nous serons obligés de faire de même.
–Je m'en moque.
Au moins, mes enfants n'auront rien à craindre. J'aurais aidé la Cause. Elle n'aura rien à me reprocher, à leur faire payer.
–Monsieur…
–Ce n'est pas la peine d'insister, Magda, me souffla Freyja, il a fait son choix.
Une boule se forma dans ma gorge ; ma vue se troubla.
–S'il vous plaît, Monsieur, tentai-je une dernière fois. Ils n'ont pas à finir orphelins. Vous n'avez pas à mourir pour...
Une effroyable sensation coupa court à nos pensées respectives : un éclair de douleur, comme je n'en ressentais qu'en détruisant un esprit. Pourtant, je n'avais rien fait. Son esprit venait de se fissurer tout seul.
Sa limite... Il avait atteint sa limite.
En dépit de la douleur, le Marionnettiste comprit aussi ce qui lui arrivait. Toujours immobilisé par Alaric, il jeta un regard paniqué à son corps. J'allais ordonner au Télékinésite de le relâcher quand un relent de détermination gagna le père de famille. Oubliant son corps, il entreprit de s'enrouler autour de l'esprit du Marquis Dragor.
Comprenant ses intentions, je voulus le retenir, mais n'en avais plus la force. Son esprit craquelé me dépassa et impuissante, je ne pus que l'observer enserrer de plus en plus celui de son hôte.
–Non, par la Déesse, je vous en conjure...
–Je... suis désolé.
–Ne faites pas...
Son esprit vola en éclats.
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